Les thérapies ciblées et, en particulier, les anticorps monoclonaux spécifiques d’antigènes de cellules tumorales ont amplifié le concept en cancérologie selon lequel il est possible d’acheminer un médicament de manière spécifique vers son site d’action. Le trastuzumab est l’anticorps monoclonal emblématique de cette approche thérapeutique : l’identification de HER2, puis son ciblage par le trastuzumab, a modifié la prise en charge et le pronostic des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique et exprimant HER2. Le T-DM1, c’est-à-dire l’association du trastuzumab à l’emtansine, poison du fuseau, est un « missile à tête chercheuse », un véritable cheval de Troie : en effet, l’internalisation du trastuzumab a été exploitée pour vectoriser de manière spécifique dans les cellules tumorales surexprimant HER2 un agent cytotoxique qui inhibe la polymérisation des microtubules. Cet antibody-drug conjugate (ADC) libère ensuite l’emtansine dans la cellule cancéreuse, épargnant dès lors les cellules saines et provoquant la mort de la cellule tumorale.
Magic bullet, un rêve devenu réalité
Cette idée de ciblage spécifique n’est pas nouvelle ; elle date du début du XXe siècle : Paul Ehrlich, prix Nobel de médecine en 1908 en reconnaissance de ses travaux sur l’immunité, rêvait déjà de ce concept de magic bullet. Depuis, on a assisté, aux côtés de l’utilisation exponentielle d’anticorps monoclonaux, à la mise au point de nanovecteurs à la fin du siècle dernier, qui concrétisent également voire amplifient le rêve de ce scientifique berlinois qu’était P. Ehrlich.
En effet, en 1977, Patrick Couvreur (CNRS) et Peter Speiser (École polytechnique de Zurich) observent pour la première fois que des nanocapsules permettent de faire entrer dans les cellules des molécules qui ne s’y accumulent pas spontanément. Cette découverte ouvre la voie à la nanovectorisation intracellulaire des médicaments. Ces nanosystèmes d’administration, de transport et de vectorisation des médicaments ont, en effet, pu être conçus grâce aux recherches menées à l’interface de la physique, de la chimie et de la biologie.
Les « nanovéhicules » permettent plus de spécificité… moins de toxicité
Ces « nanovecteurs » sont capables de protéger la molécule active de la dégradation par les enzymes de l’organisme, de l’adresser sélectivement vers le tissu ou la cellule cible et d’en contrôler la libération. Les assemblages nanoparticulaires sont de plus couplés à des agents stabilisateurs pour permettre une diffusion prolongée dans l’organisme et réduire leur reconnaissance et opsonisation par le système immunitaire.
Dès lors, de nombreux médicaments ont été développés en utilisant cette nanotechnologie : par exemple, le nab-paclitaxel, est composé de nanoparticules d’albumine – une protéine dont raffolent les cellules tumorales – qui encapsulent en leur sein du paclitaxel. Grâce à ce « nanovéhicule », ce taxane parvient plus efficacement à sa cible que s’il était utilisé seul. Plus spécifique, le traitement est alors moins toxique.
Citons d’autres exemples comme la doxorubicine liposomale pégylée, cette nanoformulation permettant d’améliorer les caractéristiques pharmacocinétiques de la molécule active, en particulier le profil de biodistribution de la doxorubicine améliorant ainsi sa demi-vie et son accumulation dans le tissu tumoral, et donc l’index thérapeutique de cette anthracycline.
La recherche dans cette voie se poursuit et de nouvelles générations de vecteurs sont développées. Des systèmes nanoparticulaires à base de polymères biodégradables voient le jour. La squalénisation permettant d’encapsuler des quantités importantes de principe actif dans un nanovecteur à base d’un lipide naturel et biocompatible, le squalène, est en développement : a contrario des liposomes qui possèdent un cœur hydrophile et peuvent donc transporter en leur sein des molécules elles aussi hydrophiles, les Lipidots®, acceptent en leur cœur des molécules lipophiles qui ont des affinités avec les particules lipidiques. En France, des nanoparticules biodégradables chargées en doxorubicine pour le traitement de l’hépatocarcinome avancé résistant ont été élaborées. Ce candidat nanomédicament, doxorubicine Transdrug®, est actuellement en phase III.
Repousser les limites de la radiothérapie
Les nanotechnologies sont également en train de repousser les limites de la radiothérapie. Nanobiotix, société de nanomédecine française, a développé une arme absolue pour démultiplier la puissance des radiothérapies sans toucher les cellules saines. Baptisée NanoXray, cette prouesse repose sur l’utilisation de nanoparticules de hafnium, un élément ultraréactif aux radiations qui, sous l’action de la radiothérapie, permettent de maximiser l’absorption des rayons X à l’intérieur des cellules cancéreuses. Plusieurs patients atteints d’un sarcome des tissus mous ont déjà été traités dans le cadre d’essais cliniques par cette innovation thérapeutique, en particulier à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif). Des résultats positifs ont été obtenus dans l’essai de phase I/II avec le NBTXR3, amplificateur de radiothérapie, pour le traitement des cancers localement avancés de la cavité buccale, de la langue ou de l’oropharynx chez les patients fragiles et âgés.
D’autres applications de la nanovectorisation sont utilisées, notamment pour l’imagerie médicale, grâce aux vecteurs métalliques, système nanoparticulaire à base d’oxyde de fer.
Le sujet est intarissable : magic bullet et nanotechnologies sont bien ancrées dans le paysage de la cancérologie du XXIe siècle.
Article précédent
HTA : peut mieux faire
Article suivant
Imaginer la cardiologie de demain…
L’atout télémédecine
Patients fragiles et pré-fragiles : mission prévention
Les nouvelles recommandations de la SPLF
Les objets connectés vont-ils vraiment « révolutionner » la santé ?
Femmes à couper le souffle
Protection masculine ou manque de sensibilisation ?
Le serment de Galien et ses ancêtres
Un SESAM pour apprendre la médecine
Une nouvelle ère thérapeutique
Galien : J – 10
Le cerveau du cerveau
Les Européens à cœur ouvert
Regards sur l’œil du diabétique
Le cœur high-tech
Quand la réalité dépasse la fiction
PDA cherche cadre réglementaire
Des barrières de sécurité
La peau en danger
La BPCO tue 5 fois plus que la route
Une révolution dans le monde de la pharmacie
Deux types dans le viseur !
Les patients diabétiques bientôt tous connectés ?
À la recherche d’antalgiques puissants et bien tolérés
Le rouge de la honte
Galien : la comparaison « Nobel »
HTA : peut mieux faire
De la magic bullet au nanomédicament
Imaginer la cardiologie de demain…
Un leitmotiv : arriver à la « Aids-Free Generation »
Les clés d’une prise en charge optimale
Cap or
Ces cinq années qui ont permis de dompter l'hépatite C
Une révolution annoncée : voir au lieu d’écouter
La révolution du microbiote intestinal
Dix ans après : de plus en plus de champs thérapeutiques concernés
FODMAPs : une hypothèse qui fermente
Création du DU « e-santé et médecine connectée »
Le bébé en danger
Des avancées continues
Une arme de pointe en milieu carcéral
L’algorithme, futur bras droit du médecin ?
L’OFSEP : plus de 45 000 patients français à la loupe
Alcool cherche généraliste
Les médecines non conventionnelles à l’étude
Claude Galien, père de la pharmacie
De la fibrillation atriale à l’accident vasculaire cérébral
L'ado a rendez-vous avec la sexualité
L’école avec un grand H
Une avalanche de biomédicaments en rhumatologie
Roland Mehl, père du prix Galien
Menace intérieure sur la peau
Une décennie de révolution
Des données big data à l’immunothérapie dans l’asthme sévère
La montée en puissance des algorithmes
Lever les derniers freins
La peau… à rude épreuve !
Des pansements toujours plus intelligents
Les recommandations mises à jour
Les cinq cancers et l’hépatite C concernés
L’axe cerveau-peau
Quelles vaccinations ?
Zebda, Lhermitte, Garou et les autres
L’odyssée des AOD
Officines : 4 millions de personnes par jour
Les CeGIDD, une approche globale de la santé sexuelle
Big data : code en stocks
Zika : quand la peur permet d’éviter le danger
Lifting dans la gastro-entérite de l’enfant
Les biosimilaires arrivent en force
Maladie d’Alzheimer et syndromes apparentés
La ville sous le signe du cancer
Les nouveaux traitements en ligne de mire
Galien : les derniers crus
Traits de plume
Lombalgie : l’enjeu de la chronicisation
Les quatre de saison
Un passage exaucé par les aumôniers hospitaliers
Grippe : restaurer la confiance
L’homme trahi par sa prostate
La mauvaise e-réputation : prudence et vigilance
L’ASIP propose un guide aux éditeurs de logiciels
Nouveautés d’aujourd’hui, visions d’avenir
Une sécurité obligée
Couvrez cette peau…
Un rôle majeur dans l’organisation des soins
Passer de la cure au care – du soin à l’accompagnement
Alzheimer : des ateliers pour stimuler les patients
Il était une fois le Galien… Le tour du monde en 45 ans
Une évolution technologique fulgurante
Panser… demain !
Le LDL-cholestérol, une cible à privilégier
L’alcool, le fléau de l’hospitalisation
Une recherche clinique tous azimuts
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %