• Pourquoi rénover la politique vaccinale en France ?
Le contexte est lourd. Le taux de vaccination antigrippale a chuté de 13 points depuis 2008. Les professionnels de santé constatent une baisse de vaccination des nourrissons et s’inquiètent d’une résurgence de la rougeole en France. Si la vaccination est un objet de controverse depuis de très nombreuses années, il semblerait que la méfiance s’étende désormais au-delà des mouvements anti-vaccins au point de compromettre, à terme, la sécurité sanitaire collective.
« La vaccination est l’un des acquis fondamentaux du XXe siècle en matière de santé (…) elle a permis de faire reculer, voire d’éradiquer, des maladies dramatiques longtemps considérées comme une fatalité : la diphtérie faisait 3 000 morts par an en France avant l’introduction du vaccin en 1945, le tétanos entraînait environ 1 000 décès chaque année », rappelle Marisol Touraine.
Mais aujourd’hui, les facteurs de défiance sont multiples. Désinformation, non-perception de la résurgence attendue des maladies aujourd’hui disparues à l’arrêt de la vaccination, lisibilité insuffisante de la politique vaccinale, tensions d’approvisionnement…
• Le débat public est-il nécessaire ?
« Il s’agit là d’un vrai débat de société qu’il est nécessaire d’ouvrir », affirme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, qui se dit favorable aux recommandations et au plan d’actions présenté par la ministre de la Santé pour relancer la politique vaccinale en France. « Sur ce sujet, les avis sont tranchés, y compris chez les professionnels de santé. Il faut absolument comprendre les Français », estime-t-elle.
Le lancement d’une consultation est une belle idée, estime également Patrick Errard, président du LEEM (Les entreprises du médicament). Pour lui, Marisol Touraine a raison de s’interroger sur les pratiques vaccinales de la France, de rassurer la population et de vouloir harmoniser le plan vaccinal avec les autres pays. Ne serait-ce que pour mettre en adéquation la demande française avec l’offre des industriels qui, elle, répond à des besoins mondialisés, tout en précisant que les fabricants français et allemands fournissent 80 % des vaccins mondiaux.
Dans le cadre de son plan pour redonner confiance aux Français dans la vaccination, la ministre de la Santé souhaite en effet lancer une grande concertation citoyenne afin de mieux comprendre les inquiétudes concernant, par exemple, les adjuvants aluminiques, le vaccin HPV, la différence entre vaccination obligatoire et recommandée. « On ne peut balayer d’un revers de la main ces préoccupations au motif qu’elles ne seraient pas rationnelles, estime Marisol Touraine. Nous devons comprendre pour agir. » Pour elle, la vaccination est un enjeu de santé publique, mais aussi une question de société.
• Faut-il revenir sur la vaccination obligatoire ?
Consciente que la coexistence de vaccins obligatoires et recommandés nuit à la compréhension de la politique vaccinale, la ministre de la Santé note que « dans le contexte actuel de défiance, renoncer au caractère obligatoire de certains vaccins aboutirait sans doute à fragiliser la couverture vaccinale (…) Le sujet est socialement trop sensible pour faire l’objet d’une réponse d’expertise administrative (…) Au débat de s’en saisir et d’identifier le meilleur moyen d’avancer ». Pour Patrick Errard, la question de la vaccination ne se pose même pas : « C’est une ineptie que de dire que la prévention est nocive. »
• Comment améliorer la disponibilité des vaccins ?
Patrick Errard considère que seule une consultation débouchant sur des règles de politique vaccinale nationale bien définies permettra un rapport plus clair entre la demande et l’offre des industriels. « En France, actuellement, on ne sait plus ce qui est imposé ou seulement recommandé, ceci manque de clarté et diffère de la plupart des autres pays. Aussi, le secteur, bien que très réactif, ne peut pas toujours s’adapter à temps aux variables endémiques et aux différences de pratiques », souligne le président du LEEM.
En ce qui concerne les vaccins hexavalents et tétravalents très contestés en France, il affirme que les industriels ne pouvant modifier leurs lignes de production facilement, s’efforcent de répondre au plus grand dénominateur commun à tous les pays. Patrick Errard refuse par ailleurs catégoriquement l’idée de sanctionner les industriels en cas de pénuries, envisagée par la ministre de la Santé. Une mesure qui, selon lui, ne permettra en aucun cas d’éviter les ruptures.
• Que peuvent faire les pharmaciens ?
Vacciner, bien sûr ! C’est en tout cas le souhait du président de l’UTIP, Alain Guilleminot. « C’est une pratique que nous revendiquons et pour laquelle nous avions déjà lancé des formations », rappelle-t-il. Et de réclamer l’unité de la profession pour répondre à cet enjeu de santé publique. « Je souhaite que nous dépassions les clivages syndicaux, pour que d’une seule voix, avec l’Ordre, nous défendions le principe de la vaccination à l’officine, indique Alain Guilleminot. L’intervention du pharmacien pourra faire évoluer de manière significative le taux de la couverture vaccinale. » Pour le président de l’UTIP, les officinaux ont aussi un rôle à jouer pour contrecarrer la défiance du grand public vis-à-vis des vaccins en engageant un dialogue au comptoir.
Une position partagée par la présidente de l’Ordre des pharmaciens. Car si Isabelle Adenot réaffirmait récemment son souhait de voir ses confrères pratiquer ce nouveau geste dans leurs officines, elle soulignait également leurs nombreuses autres contributions à la politique vaccinale. Informer et conseiller, encore et toujours, sur les bénéfices (et les risques mesurés) de la vaccination, mais aussi améliorer la circulation de l’information sur la disponibilité réelle des vaccins.
Pour cela, la profession dispose d’un outil maître : le DP-Ruptures. Enfin, la présidente de l’Ordre se félicite de l’extension de mémoire du DP pour les données relatives à la dispensation des vaccins, qui représente, à ses yeux, une autre façon pour les pharmaciens, de contribuer à améliorer la couverture vaccinale sur le territoire.
La ministre de la Santé est-elle prête à répondre favorablement à la demande des pharmaciens de vacciner ? Pour l’heure, elle préfère renvoyer la question à la grande concertation. « La question est de savoir comment on facilite l’accès à la vaccination, argumente Marisol Touraine. Les gens qui vont peu chez le médecin mais souhaitent être vaccinés semblent favorables à sortir du parcours de soins classique. On peut donc imaginer de proposer la vaccination en pharmacie, ou d’autoriser les médecins à stocker des vaccins dans leur cabinet. Nous verrons ce qui ressort du débat. »
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