Tribune libre

Vaccination : pour une extension des compétences des pharmacies

Publié le 28/01/2016
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Crédit photo : phanie

Partout en France il y a des pharmacies. Plus de 20 000 en totalité. C’est beaucoup et, plutôt que d’envisager uniquement ces officines comme des centres de coûts qui doivent fusionner, on ferait mieux de les considérer comme une infrastructure commerciale mais au service de la santé humaine et qui doit nous permettre d’augmenter l’offre de soins dans notre pays.

Pour le dire autrement, on ne peut pas pleurer sur les déserts médicaux ou sur la baisse de la couverture vaccinale et oublier ce maillage territorial médical qui est pour ainsi dire entre nos mains. L’un des maux français, dans le domaine de la santé comme ailleurs, vient de notre inclination à penser verticalement, avec des silos dans la tête : il y aurait les officines, les médecins généralistes, les hôpitaux, et le graal des politiques de santé serait d’améliorer la coordination entre ces mondes. Piètre ambition que cela.

La santé en France a moins besoin de construire des tuyaux pour relier des silos que de faire entrer une dose massive de liberté et de responsabilité dans le système de soins, ce qui n’exclut pas une régulation publique. C’est cette nouvelle philosophie que je compte proposer à l’actuel gouvernement (sans illusion excessive) et aux candidats à l’élection présidentielle qui ont la faiblesse de me consulter, en prenant un exemple aujourd’hui en débat : celui de la vaccination.

Recul de la couverture vaccinale

Marisol Touraine a eu raison d’ouvrir un débat sur le caractère pertinent ou non de l’obligation vaccinale. Obliger des individus peut être parfois moins efficace que les inciter. D’ailleurs on observe dans notre pays un recul de la couverture vaccinale, à la fois pour des vaccins facultatifs comme la grippe, mais aussi pour des vaccins obligatoires.

Ainsi, la couverture vaccinale de la grippe manque chaque année son objectif, fixé à 75 % des populations à risque. Non seulement, avec à peine plus de 45 %, ce taux est faible, mais en plus il recule. Pendant l’hiver 2014-2015, cette mauvaise couverture a entraîné une surmortalité de plus de 18 000 personnes. La baisse de la couverture vaccinale a trois raisons principales.

Premièrement, la montée de l’idéologie anti-progrès fait des ravages dans la population, au point de faire croire que la balance coûts / avantages des vaccins peut être défavorable, y compris au niveau individuel. Notre pays a peur de tout, au point d’avoir parfois plus peur des potentiels effets secondaires de traitements ou de vaccins que du mal lui-même. Les vaccins combinés semblent faire l’objet d’une défiance qui tourne parfois à la paranoïa.

Deuxièmement, les complémentaires santé sont peu présentes dans les campagnes de prévention car il leur est difficile d’estimer précisément quelle rentabilité financière elles pourraient en tirer (j’ai fait des propositions concrètes sur ce sujet dans « L’Opinion » du 15 janvier 2016).

Troisièmement, et c’est l’argument central du présent article, s’il est simple et peu coûteux d’acheter un vaccin en France, se faire vacciner ou aller faire vacciner un enfant peut constituer une vraie barrière pour des actifs par ailleurs débordés et qui n’ont pas forcément la disponibilité d’esprit ou même le temps pour prendre un rendez-vous chez le médecin, passer du temps en salle d’attente et risquer d’attraper on ne sait quel virus pour se faire finalement inoculer un vaccin par un médecin dont les compétences sont surdimensionnées relativement au fait de faire une piqûre.

Au passage, le coût unitaire de la vaccination est, pour l’assurance-maladie, supérieur à son « juste niveau » dans la mesure où l’assurance-maladie rémunère cet acte comme un acte « moyen » et non pas un acte « simple ». Bien entendu, il existe d’autres moyens de se faire vacciner, par exemple par une infirmière ou un infirmier ou, pour les enfants, dans une PMI.

Mais on conviendra facilement (sauf éventuellement à être de fort mauvaise foi) que le mode d’inoculation des vaccins en France est totalement inadapté à une vaccination de masses dans un contexte où les vaccins sont eux-mêmes très fiables et avec des effets secondaires modérés (voire quasi-inexistants dans le cas de la grippe).

Un acte rémunéré

La vérité, c’est que le moyen le plus rapide et le plus efficace d’augmenter la couverture vaccinale est d’utiliser les 22 000 officines qui maillent le territoire. C’est ce qu’ont fait avec succès des pays aussi divers que le Canada, le Royaume-Uni ou le Portugal. Mais attention : une délégation de tâche, forcément verticalisée à partir d’une prescription médicale, n’aurait qu’un effet marginal.

Ce qu’il nous faut, c’est introduire de la liberté dans le système : étendre les compétences des pharmaciens (éventuellement sur la base d’un protocole d’expérimentation) et les autoriser à communiquer sur l’acte vaccinal car on ne peut pas distribuer un nouveau service si l’on n’en fait pas la publicité.

Mais la liberté sans responsabilité n’est que pur danger : c’est à l’Ordre d’être garant de la pertinence de la formation données aux pharmaciens, ainsi que, plus généralement, de leur capacité à vacciner selon une régulation légale et juridique qui reste à déterminer. D’autres pays l’ont fait avec succès. Alors pourquoi pas la France ?

Les officines sont des entreprises qui, en outre, connaissent des problèmes de rentabilité. Elles doivent être rémunérées pour l’acte de vaccination. À quel niveau ? Ce n’est pas très difficile à calculer. Simulons la diminution de dépense totale de santé à long terme permise par une augmentation progressive de la couverture vaccinale pour 10 vaccins cibles et répartissons l’économie ainsi réalisée à 50 % en baisse de déficit pour l’assurance-maladie et à 50 % en rémunération supplémentaire pour les pharmaciens.

Il paraît que nous, Français, sommes créatifs, alors montrons-le ! Et, pour aller plus loin, rêvons un peu. Rêvons que, dans le cadre du débat sur la vaccination, plusieurs syndicats de médecins libéraux et groupements pharmaceutiques s’accordent sur les modalités d’une extension des compétences des officines. Quelle formidable occasion de montrer que les professions médicales ne sont pas corporatistes ! À moins qu’elles ne le soient…

Nicolas Bouzou, essayiste et économiste français, directeur-fondateur de la société de conseil Asterès

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3235
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