Une nouvelle fois, la dernière séance de négociations salariales s’est soldée par une fin de non-recevoir. Mais alors que la prochaine réunion est prévue le 18 novembre, les partenaires sociaux parviendront-ils à se mettre d’accord sur une revalorisation du point officinal ? Depuis la fin de la crise sanitaire, les rapports de force semblent avoir évolué entre des salariés, alors en position dominante dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, et des titulaires en quête désespérée de personnels. Le marché semble se détendre. Tout au moins dans les statistiques. Car, restent au centre des débats, l’attractivité des professions et les salaires qui y sont associés.
Comment expliquer que la rémunération des employés d’officine soit arrivée aujourd’hui à un tel point de crispation ? Neuf séances de négociation n’auront pas suffi aux partenaires sociaux pour trouver un accord sur la revalorisation du point officinal. Celle du 18 octobre s’est à nouveau soldée par un échec. L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) s’est arrêtée à une revalorisation du point à 0,8 %, quand la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) offrait 1,5 %, aboutissant à une suspension de séance, sur demande de Force Ouvrière (FO). La reprise de séance s’est terminée sur une contre-proposition de FO de 1,8 % avec un engagement à renégocier les salaires au 1er trimestre 2025. Si l’on peut comprendre le bras de fer de ces dernières années, tant les titulaires peinaient à recruter, les arguments des salariés pèsent-ils toujours autant, alors que le marché de l’emploi officinal semble se détendre ?
Selon Denis Millet, secrétaire général de la FSPF, bien que des difficultés régionales persistent, la situation s’est effectivement améliorée, et un poste de pharmacien proposé dans la région de Nantes est moins difficile à pourvoir qu’il y a encore quelques mois. La plupart des préparateurs et adjoints ont tiré leur épingle du jeu et trouvé leur place. La frénésie des recrutements redescend. D’autant plus qu’à l’occasion de regroupements ou de fermetures contraintes par des finances en tension, les syndicats expliquent que des titulaires ont été amenés à ne pas renouveler des postes, voire à licencier, diminuant ainsi l’offre.
Une dynamique fragile
Du côté des entreprises de recrutements et d’intérim, les constats sont les mêmes. Concernant les adjoints, s’il y a encore quelques mois, la situation était « encore très tendue » explique Armand Grémeaux de Pharm-Emploi. Elle l’est beaucoup moins depuis 2 à 3 mois. Ce n’est cependant pas le cas pour les préparateurs, poste pour lequel la demande reste très forte. Plusieurs offres d’emploi restent sans candidatures, tandis qu’un préparateur en recherche d’emploi trouve un poste dans l’heure. Mais c’est avant tout l’intérim qui a le vent en poupe. Particulièrement chez les jeunes, bien que l’on retrouve cette tendance aussi parmi les générations plus âgées. Armand Grémeaux l’explique par la volonté « d’être libre, de faire ce qu’on veut, de partir en week-end quand on en a envie, de diversifier les expériences, les lieux d’exercice ». Cet engouement pour l’intérim vient aussi, selon Armand Grémeaux, d’un souhait de se libérer du lien de subordination. Et de toucher un salaire plus attractif, via la prime de précarité. On y revient. Toutefois, développe Daniel Burlet de l’USPO, « s’il y a un marché de l’emploi qui est actif, combien de temps va-t-il le rester ? »
« Faute de bras, les pharmaciens ont cédé sur les salaires avec un surenchérissement du coefficient à l’embauche et un nivellement par le haut des salaires du reste du personnel
La profession sort tout juste de la crise du recrutement provoquée par la crise sanitaire. Dès 2020, les besoins en main-d’œuvre qualifiée ont explosé et le nombre de salariés dans la branche a grimpé de 123 000 à 130 000 l’année d’après, « du jamais vu » se souvient David Brousseau, secrétaire fédéral FO pour la branche pharmacie. La crise Covid a ainsi offert des arguments solides aux préparateurs et adjoints leur permettant de négocier leurs conditions de travail et leurs salaires à la hausse. Résultat, une flambée des salaires et un turn-over très important. La masse salariale a même bondi de 12 % durant le premier semestre 2022, suivi après la crise de départs de préparateurs et d’adjoints, quittant la profession par épuisement professionnel. Cette situation a été quantifiée par l’Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL), dans son étude publiée en 2024 et conduite sur l’année 2022. Selon cet organisme, sur l’ensemble des métiers de la branche, l’indicateur de tension s’élevait à 100 sur 130, contre 79 pour le secteur de la santé et 70 pour l’ensemble de l’économie. Cette tendance s’observe aussi dans les chiffres diffusés par les experts-comptables lors de la « Journée de l’économie de l’officine »* : « faute de bras, les pharmaciens ont cédé sur les salaires et nous constatons un surenchérissement du coefficient à l’embauche et un nivellement par le haut des salaires du reste du personnel ».
le manque de perspectives dans les carrières et les salaires qui ne sont plus en adéquation avec la réalité du terrain ne parviennent plus à attirer les jeunes vers cette profession, dont les horaires demandent des sacrifices
L’attractivité en cause
Une enquête de Besoins en main-d’œuvre (BMO) menée par France Travail chiffrait en 2023 les projets de recrutements déclarés par les employeurs à plus de 8 100 pour les pharmaciens adjoints et près de 8 000 pour les préparateurs. Si aujourd’hui certains titulaires ne parviennent pas à embaucher, l’explication est à trouver auprès d’un équilibre offre/demande encore instable. Outre un numerus clausus restreint, beaucoup d’étudiants pharmaciens se dirigent vers l’hôpital ou l’industrie, délaissant l’officine, à la recherche de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. Quant au métier de préparateur, non seulement moins de jeunes s’y destinent par manque d’attractivité de la profession, mais de plus en plus ne souhaitent plus terminer leur carrière en officine, qu’ils quittent désormais autour de 40 ou 50 ans. La situation est aux antipodes de celles des générations précédentes, qui pouvaient rester toute leur carrière, de l’apprentissage à la retraite – ou presque — dans la même officine. Pour Christelle Degrelle, préparatrice en pharmacie et représentante du syndicat CFE-CGC, le manque d’attractivité pour ces professions est clairement la principale cause de ce déséquilibre du marché. En effet, souligne-t-elle, le manque de perspectives dans les carrières d’une part et les salaires affichés sur la grille, qui ne sont plus en adéquation avec la réalité du terrain, d’autre part, ne parviennent plus à attirer les jeunes vers cette profession, dont les horaires demandent des sacrifices. Une titulaire marseillaise poursuit : « les jeunes ne veulent plus travailler jusqu’à 19 h 30 et le week-end, d’autant plus lorsque le salaire proposé est tout juste au-dessus du SMIC. »
De plus, qu’il soit question des préparateurs ou, dans une moindre mesure, des adjoints, ces métiers offrent peu d’évolution de carrière. Les fonctions de cadre mises de côté, les missions à la charge de l’employé s’enrichissent peu avec l’ancienneté. Idem pour les salaires qui, après 15 ans d’ancienneté, n’évoluent plus, poussant les salariés à changer d’officine. Côté FSPF, pour pallier ces difficultés, on souhaiterait « faire démarrer plus haut et raccourcir les délais entre deux échelons pour offrir des coefficients plus élevés, plus rapidement. » Un projet qui ravirait FO… s’il était à la hauteur des attentes de ses adhérents. Les discussions sont désormais remises au 18 novembre 2024.
Une licence très attendue
Pour renverser la vapeur, la solution plébiscitée, autant par les patrons que par les employés, est la création d’une licence professionnelle de pharmacie de ville, similaire à celle existant pour la pharmacie d’hôpital. Elle permettrait de monter le niveau de qualification, les préparateurs pourraient par exemple administrer d’autres vaccins que celui du Covid ou de la grippe, de diversifier leurs compétences et, par la même occasion, de justifier de meilleurs salaires. Du côté de l’USPO, on reconnaît même que la licence professionnelle est « absolument nécessaire » pour redynamiser la branche. Puisque les pharmaciens se sont vus accorder de nouvelles compétences et missions à la suite des années Covid, Daniel Burlet estime qu’il serait cohérent que les préparateurs montent eux aussi en compétences. D’une pierre, deux coups. Le métier de préparateur, enrichi en compétences et en missions, attirerait plus de jeunes et les pharmaciens pourraient déléguer certaines tâches, jugées parfois trop nombreuses lorsque l’officine ne compte qu’un seul pharmacien. La balle est entre les mains de François Lemoine, conseiller en charge de la santé, de la recherche médicale et de la formation médicale auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Il avait laissé entendre il y a quelques mois que cette licence professionnelle pourrait voir le jour, puis il se serait rétracté. Contacté par le Quotidien du pharmacien, François Lemoine n’a pas donné suite à notre requête.
*Organisée par « Le Quotidien du pharmacien » le 18 septembre 2024
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