Au sein de la population, il existe des inégalités devant la consommation d'alcool et le risque de développer des maladies du foie. Ainsi à consommation équivalente en quantité et en durée, la majorité ne développera que des lésions peu sévères et seule une minorité évoluera vers une hépatite sévère, une fibrose, une cirrhose ou un carcinome hépatocellulaire. Le microbiote intestinal apparaît comme l'un des cofacteurs qui participent à l'initiation et à la progression de la pathologie : une dysbiose est observée lors de lésions hépatiques induites par l'alcool. Effectivement, le foie et le tractus gastro-intestinal sont intimement liés par des connexions anatomiques et physiologiques. Les données actuelles tendent à prouver qu'une altération de la barrière intestinale est une étape précoce dans le développement des maladies hépatiques. Il est maintenant établi que la consommation chronique d'alcool provoque une modification de la proportion des grandes familles composant le microbiote et une réduction de la diversité bactérienne. D'autre part, elle modifie les métabolites produits par le microbiote : elle augmente la concentration de lipopolysaccharides (LPS) à fort potentiel inflammatoire et diminue l'expression des peptides antimicrobiens impliqués dans l'immunité innée au niveau de la barrière biologique intestinale. L'alcool agit via son métabolite, l'acétaldéhyde, formé par certaines bactéries intestinales. Afin de démontrer le rôle causal de la flore bactérienne, des microbiotes de patients alcooliques ont été transférés à deux groupes de souris axéniques (exemptes de microbiote), l'un sans hépatite alcoolique et l'autre avec une hépatite sévère. Après alcoolisation, les lésions développées étaient plus sévères dans le groupe ayant reçu le microbiote avec une hépatite sévère. Preuve que le microbiote est capable de transmettre la susceptibilité individuelle à développer des lésions hépatiques graves.
Bactéries digestives et processus addictif
L'addiction à l'alcool est typiquement une problématique à l'origine multifactorielle. Les hypothèses avancées jusqu'à présent se sont essentiellement concentrées sur la possibilité d'effets directs de l'alcool sur le cerveau où il modifie l'équilibre des neurotransmetteurs. Les traitements proposés visent à réduire ce déséquilibre mais actuellement, hormis l'abstinence, leur efficacité reste limitée pour lutter efficacement contre l'alcoolisme. Une étude récente a montré que certaines bactéries intestinales pourraient produire des molécules délétères participant à la dépendance alcoolique. Il apparaît que les modifications de la composition et de l'activité du microbiote intestinal sont corrélées à l'intensité de l'envie irrésistible (craving) lors du sevrage et à la persistance des symptômes émotionnels (dépression, anxiété, dépendance) après une courte période de sevrage. Inversement, la dysbiose pourrait préexister au mésusage de l'alcool et favoriser l'émergence de comportements inadaptés à l'égard de l'alcool. Les dommages se situent non seulement au niveau local mais également au niveau cérébral. Les liens entre dysbiose, inflammation, dépendance à l'alcool, dépression, anxiété, laissent envisager des interventions thérapeutiques qui ciblent directement le système digestif (et le microbiote en particulier) et non plus seulement le cerveau. « Il a été démontré que tous les patients alcooliques n'avaient pas les mêmes modifications du microbiote remarque Anne-Marie Cassard, chercheuse à l'Inserm. L'identification de la nature des bactéries impliquées et des voies métaboliques qu'elles modulent permettront de développer une recherche translationnelle pour cibler les patients à risque. À court terme, il est possible d'imaginer de disposer de prébiotiques comme la pectine ou de probiotiques spécifiques qui permettront d'améliorer les lésions hépatiques, en particulier chez les patients non abstinents », suggère Anne-Marie Cassard. Le concept est récent et la majorité des études ont utilisé des mélanges de souches bactériennes. Aujourd'hui, elles ne permettent pas encore d'identifier les effets produits par chacune des souches ni les mécanismes mis en jeu.
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