« La vocation, c’est avoir pour métier sa passion ». La citation de Stendhal dans « Le rouge et le noir », est-elle toujours valable, aujourd’hui, pour les pharmaciens ?
Cette question inquiète l’ensemble de la profession, notamment l’Ordre national des pharmaciens. « Le niveau des départs en retraite des confrères dans les prochaines années, les inquiétudes nées de la baisse des effectifs se présentant par envie au concours de première année de pharmacie, la désaffection pendant les études et dès les premières années d’exercice, enfin la non-inscription à l’Ordre pour plus d’un quart des jeunes diplômés sont autant d’éléments qui ont conduit le Conseil national de l’Ordre à engager une réflexion sur le thème de la jeunesse », a déclaré Isabelle Adenot lors de la présentation de l’« Opération jeunes » menée en 2014.
Dans ce cadre, une enquête a été effectuée auprès de 15 000 pharmaciens de 35 ans ou moins (dont 43 % d’adjoints en officine et 13 % de titulaires) et de 4 500 étudiants inscrits en 6e année de pharmacie (31 % officine, 8 % industrie) ou internes (70 %). Heureusement, cette enquête montre que 88 % des étudiants sont fiers d’être pharmacien, un taux qui monte à 95 % chez ceux de la filière officine.
Quant aux jeunes pharmaciens, 89 % affirment que ce qui les a motivés à faire pharmacie est avant tout l’intérêt pour la profession, la relation avec le public et le statut de professionnel de santé. La pharmacie n’est donc pas si dénigrée par ceux qui la pratiquent ou vont la pratiquer prochainement. Toutefois les premières années d’études sont marquées par un net manque de motivation.
Effet néfaste de la Paces
« Ce désintérêt pour les études n’a fait que grandir depuis l’instauration de la Paces », avance Guillaume Icher, vice président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie (ANEPF). Parmi ceux n’ayant pas vécu la Paces, 14 % des étudiants en pharmacie n’avaient pas l’intention de faire des études de pharmacie après le baccalauréat.
Mais ce taux grimpe à 40 % des étudiants chez ceux qui ont effectué la Paces. « La réforme de la Paces a donc visiblement eu un impact négatif sur l’attractivité de la filière pharmacie », développe Nassim Mekeddem, président de l’ANEPF, en analyse du Grand entretien effectué par l’association étudiante. « Même si le fond de réforme est bon, en voulant décloisonner les études des professions de santé », ajoute-t-il.
Ce sentiment est partagé par bon nombre de doyens de facultés. « La médecine draine la très grande majorité des étudiants de la Paces. Ainsi, beaucoup de ceux qui choisissent pharmacie sont des déçus de médecine », constate Jean-Michel Scherrmann, doyen de la faculté de pharmacie de Paris Decartes. De plus, « la formation en Paces est peu spécifique pour chaque métier, la sélection des étudiants se fait surtout par la capacité de travail et peu sur la réflexion ou sur la motivation pour un futur métier », analyse Macha Woronoff-Lemsi, présidente de la conférence des doyens de pharmacie, qui appelle à réformer le système.
Mais déjà, des solutions simples existent pour favoriser la sélection des candidats motivés par la pharmacie. « Après avoir eu 13 étudiants qui ont choisi pharmacie à défaut de médecine avec la Paces, témoigne Brigitte Vennat, doyenne de la faculté de pharmacie de Clermont-Ferrand, nous avons doublé le coefficient de l’unité d’enseignement (UE) spécifique « pharmacie » les années suivantes. Ainsi, ceux qui choisissent l’UE pharmacie et qui y décrochent une bonne note - et qui sont donc motivés par les études de pharmacie - ont plus de chances de réussir le concours de pharmacie. »
Néanmoins, les efforts pour motiver les étudiants ne doivent pas s’arrêter à la Paces, d’autant plus qu’en 2e et 3e années, les étudiants ont tendance à déserter les cours. À Paris, Nancy ou ailleurs, les professeurs déplorent des amphithéâtres à moitié vides. Conclusion : les résultats à l’issue de la deuxième année sont catastrophiques, avec des taux de redoublement records dans certaines facultés.
La filière officine ne séduit plus
Autre problème, les étudiants qui ont choisi pharmacie par défaut d’avoir médecine ont tendance à dénigrer la filière officine. De plus, le contexte économique actuel, la frilosité des banques et les dernières évolutions sur la rémunération incitent peu les étudiants à s’orienter vers le versant libéral de la profession. « 34 % des étudiants ayant réussi le concours de pharmacie optent pour l’officine », contre 60 à 70 % auparavant, selon le Grand Entretien de l’ANEPF.
Pour inverser la tendance, les universitaires réfléchissent à d’autres façons de sélectionner les étudiants de Paces, mais aussi à d’autres modes d’enseignements et aux moyens de rendre la filière officine plus attractive. C’est ainsi qu’ont été créées les pharmacies expérimentales au sein des facultés : on y organise des dispensations d’ordonnances, des jeux de rôle pharmacien-patient, parfois filmés puis commentés.
De plus, certaines facultés proposent des Serious game, de la pédagogie inversée, ou multiplient les interventions de professionnels extérieurs, issus de la CNAM, de l’Ordre des pharmaciens, d’associations de patients, etc. « Nos plus grands succès ont été les visites surprises, en plein jeu de rôle à la pharmacie expérimentale, de l’inspecteur en pharmacie, ou encore de personnes malvoyantes pour une délivrance d’ordonnance et des conseils », cite Brigitte Vennat.
Par ailleurs, la doyenne dispense désormais ses cours de galénique en pédagogie inversée : « Les étudiants reçoivent le cours en amont, sous format vidéo, et ils valident leurs connaissances avec un QCM en ligne. Les enseignements dirigés ne sont consacrés qu’aux exercices en petits groupes et aux questions. Conclusion, le taux d’absentéisme est passé de 51 % à… 0 %, excepté les malades ! 97 % des élèves sont satisfaits de cette nouvelle façon d’enseigner et le taux de réussite à l’examen final est de 67 % », détaille-t-elle.
Ainsi, il existe beaucoup de moyens qui permettent de motiver les élèves à suivre les cours, que l’on peut adapter aux grandes comme aux petites facultés. Mais ils ne sont pas assez systématiquement présents dans les facultés. Durant les études, la motivation pour la filière officine passe également par la qualité du stage de seconde année.
« Un message positif et lucide du métier d’officinal doit être transmis durant ce stage, et non le contraire », évoque Brigitte Vennat. En multipliant les moyens de stimuler les étudiants durant leurs études, ces derniers sortent de la faculté beaucoup plus motivés pour se frotter au monde du travail. Par exemple, à Clermont-Ferrand, une étude menée sur les trois dernières promotions sortantes d’officine montre qu’entre 80 % et 95 % des étudiants thésés ont une activité professionnelle. Une belle preuve que la pharmacie a encore de beaux jours devant elle.
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