LES MÉDECINES TRADITIONNELLES sont dignes de la plus grande considération et se révèlent pourvoyeuses d’innombrables stratégies thérapeutiques efficaces et injustement ignorées : pour s’en tenir à quelques exemples, Artemisia annua, une composacée chinoise, serait active contre les formes résistantes de paludisme, et les Sutherlandia dont notamment S. microphylla, une Fabacée sud-africaine, se montrerait prometteuse pour prévenir la cachexie du patient infecté par le VIH.
Pourtant, les plantes médicinales de nos campagnes - mais surtout d’autres régions du globe et dont nous maîtrisons encore moins la pratique -, peuvent se révéler dangereuses lorsqu’elles ne sont pas utilisées de façon adéquate - notamment lorsque leur usage est laissé à l’appréciation d’un patient dont la crédulité est parfois abusée -. Le millepertuis préconisé pour ses vertus antidépressives interagit par exemple avec divers antirétroviraux ; les extraits de ginseng potentialisent l’action des antivitamine K et induisent, en association, un risque hémorragique.
De plus, si les anciennes générations et les chamans d’autres cultures ont pu observer les effets toxiques aigus de certaines plantes, les éliminant alors de leur pharmacopée ou apprenant à en maîtriser l’usage, ils n’ont pas, en revanche, détecté la toxicité chronique éventuelle de ces mêmes plantes : ainsi, des végétaux jadis renommés se sont révélés hépatotoxiques, voire cancérigènes, et il n’est pas impossible que le futur voit des espèces tenues jusqu’alors comme inoffensives se révéler toxique lors d’un usage répété. Quelques exemples justifient des précautions constantes à rappeler à tous les fans de plantes exotiques…
Vous avez dit champignons ?
Les champignons exotiques sont à la mode. La toxicité des espèces les plus couramment mises à profit est faible. Cependant, les risques de confusion entre divers champignons sont évidents. De plus, le risque ne revêt pas forcément la forme imaginée.
Le kombucha, par exemple, est une boisson acidulée obtenue par le biais d’une culture symbiotique de bactéries et d’une levure dans un milieu sucré (tisane, miel, jus de raisin), traditionnellement préparée en Russie et en Extrême-Orient. Le symbiote mycélien se présente comme une membrane visqueuse de quelques centimètres d’épaisseur. Cette boisson, réputée très bénéfique pour la santé, est largement commercialisée sur le net même si des accidents toxiques, d’imputabilité il est vrai obscure, ont été rapportés dans la littérature.
De même, les cordyceps et notamment Cordyceps sinensis sont des champignons parasites d’insectes cultivés et indiqués en médecine traditionnelle comme stimulant sexuel et tonique général. Manque subit d’appétit, signes d’anémie : le traitement s’est révélé pire que le mal qu’il prétendait traiter chez certains consommateurs de ces préparations exotiques. En fait, ici la toxicité de la préparation ne devait pas être recherchée dans le champignon lui-même mais dans la teneur anormalement élevée en métaux lourds et notamment en plomb des échantillons proposés à la vente. Un exemple illustratif : ce type d’intoxication n’est pas exceptionnel et la littérature mondiale recense régulièrement des cas d’intoxications liées à des polluants de plantes médicinales originaires de l’étranger.
Les aristoloches sur la sellette.
C’est au début des années 1990 qu’a été décrite chez des jeunes femmes, en particulier en Belgique et dans les pays limitrophes, une néphropathie interstitielle grave faisant suite à l’absorption de plantes amaigrissantes communément désignées comme « herbes chinoises », en fait une préparation à base de Stephania teandra et de Magnolia officinalis. L’évolution de la maladie, lente, a pu conduire à une insuffisance rénale terminale accompagnée de complications néoplasiques (carcinome de l’endothélium urétral), finalement attribuée à l’acide aristolochique synthétisé par Aristolochia fangchi, une aristoloche substituée au Stephania teandra de façon accidentelle puisque les noms chinois des deux plantes sont proches : le Stephania est nommé en chinois fangji et les racines de l’aristoloche, appelées guangfangchi, sont officinales en Chine. Aucune de ces plantes n’est inscrite à la Pharmacopée française et leur emploi médicinal n’est pas autorisé. De fait, dès 1994, les produits contenant l’une ou l’autre de ces plantes ont été retirés temporairement du marché hexagonal, puis définitivement en 1998, ce qui n’a pas empêché d’autres cas de survenir dont un fatal en août 2000.
Il est probable que l’aristoloche reste encore présente dans l’un ou l’autre des innombrables médicaments végétaux chinois susceptibles d’être achetés en ligne sous la dénomination de mu tong, un terme générique désignant en chinois toute herbe médicinale. Prudence, donc !
Il ne faudrait toutefois pas se limiter aux dangers des seules aristoloches chinoises. De nombreuses autres plantes contiennent des principes carcinogènes : ainsi en va-t-il des racines de la garance Rubia tinctorum et des divers végétaux que leur teneur en anthraquinone dote de propriétés laxatives, par irritation colique, aussi bien que potentiellement cancérigènes. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de Lyon a ainsi publié un imposant inventaire de substances d’origine végétale susceptibles de se révéler particulièrement néfastes pour l’organisme.
Germandrée, scutellaire, séneçon & co.
La germandrée, une plante médicinale a priori anodine, achetée en Amérique du Nord car interdite en France, illustre également les dangers liés à l’importation de drogues. Effectivement, la germandrée a été retirée du marché hexagonal depuis plusieurs années car, lors de son usage comme adjuvant d’un régime amaigrissant, elle avait occasionné une véritable épidémie d’hépatites dont certains cas avaient imposé une transplantation hépatique.
Plante médicinale de renom, le séneçon est réputé bénéficier de propriétés antispasmodiques et antalgiques : sa toxicité est cependant établie et il n’est plus guère utilisé de nos jours. Si notre Senecio vulgaris est bien connu, il en existe d’autres espèces, exotiques, mises notamment à profit en Asie et en Afrique, dont la responsabilité dans la survenue d’une maladie veino-occlusive et d’hépatites toxiques ne laisse guère planer de doute. La toxicité de ces plantes est directement liée à leur teneur en pyrrolidines - substances qui ne sont présentes qu’en faibles quantités dans notre séneçon commun.
Faisant courir un risque analogue, gui, séné, scutellaire et herbes « chinoises » diverses réputées actives notamment contre l’eczéma et le psoriasis peuvent également être responsables d’hépatites toxiques.
Éphédra et kawa : deux plantes médicinales psychoactives.
Le célèbre ma-huang n’est autre que l’éphédra une plante puissamment stimulante entrant dans la composition de diverses préparations phytomédicinales chinoises. Cet arbrisseau est riche en éphédrine, un décongestionnant nasal et un antiasthmatique de structure voisine de celle de l’amphétamine. Son intérêt n’a pas échappé aux pharmacopées traditionnelles d’Asie ni aux sites de vente en ligne de substances favorisant un dopage en douceur ou un amaigrissement contrôlé. Pourtant, l’action hypertensive et psychoactive de l’éphédrine en fait un toxique bien réel : elle peut notamment, pour s’en tenir aux effets somatiques, entraîner des palpitations, des troubles du rythme et ce d’autant plus volontiers que l’éphédra est régulièrement associé à d’autres plantes, riches quant à elles en caféine : kola, guarana, maté, etc. De fait, des décès ont été signalés notamment aux États-Unis, au décours d’accidents vasculaires cérébraux ou de troubles du rythme cardiaque.
Le rhizome du kawa (Piper methysticum) contient quant à lui une résine riche en substances aromatiques non azotées, les kawalactones (méthysticine, kawaïne, etc.). La drogue, utilisée par les sociétés océaniennes et polynésiennes, permet d’obtenir une boisson dotée des propriétés diurétiques et euphorisantes puis hypnotiques persistant quelques heures. Son usage peut occasionner des troubles de la vision et une incoordination motrice. Des préparations phytothérapiques à base de poudre de kawa ont été commercialisées au début des années 1990 dans divers pays occidentaux pour lutter contre le stress, l’anxiété et les troubles de l’humeur (dépression). Toutefois, la survenue d’hépatites toxiques chez des consommateurs de préparations à base de kawa, dont l’imputabilité à la plante n’a jamais été totalement confirmée (de fait, l’usage traditionnel du kawa n’est pas associé à une augmentation locale de l’incidence des hépatites), en a fait interdire la vente ou l’utilisation dans divers pays, dont la France (sauf la Nouvelle-Calédonie) en 2003, l’Allemagne en 2001 (avec levée partielle de l’interdiction en 2005), l’Espagne, la Belgique (2002), la Suisse, le Canada (2002), etc. L’usage du kawa reste en revanche autorisé aux États-Unis et en Australie sous certaines conditions.
Le recours aux plantes traditionnelles doit donc toujours être fait avec le plus attentif discernement. Tout ce qui est naturel est loin d’être bénéfique, et la vigilance s’impose dès qu’il s’agit d’acheter des préparations aux noms incompréhensibles et que ne garantit aucune forme de contrôle légal.
Article précédent
Une question de terrain
Article suivant
Un marché éclaté mais porteur
Ces plantes qui nous sauvent
Ma pharmacie a les doigts verts
La toxicité des médecines naturelles en questions
Des indications à manier avec précaution
Portrait-robot des adeptes de la méthode douce
Comment réussir en aromathérapie
Une question de terrain
La nature n’est pas toujours bonne
Un marché éclaté mais porteur
Pour s’y retrouver dans la jungle des labels
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %