Comment s’est faite la découverte des propriétés bienfaisantes des plantes ?
En ethnobotanique on peut imaginer trois modes de pensée. La quête alimentaire fait rencontrer des organes végétaux, en particulier des fruits, des racines à saveur sucrée, d’autres à saveur amère et déplaisante. Les premières séduisent le pionnier qui goûte, les autres sont rejetées – elles retrouveront peut-être des emplois pour la confection de poisons de chasse et de guerre et aussi de remèdes pour lutter contre les esprits mauvais. Pour que cette expérience soit effective, il faut une mise en mémoire de l’information par le pionnier et par ses compagnons, ses élèves qui guideront plusieurs générations.
Un deuxième schéma est le réflexe des signatures : un message de nature religieuse recommande à l’homme de rechercher des signes l’invitant à des applications. Ainsi forme, couleur, odeur et saveur peuvent présenter des caractères qui évoquent ceux des organes humains. L’amertume, perçue au cours de la quête alimentaire, est liée à la fièvre et nombre de plantes médicinales amères ont été distinguées d’après ce caractère, en particulier le quinquina et la gentiane. Des fleurs et des racines de couleur jaune portent la signature de l’urine et de la bile… C’est le cas du genêt, de la piloselle, du curcuma… L’anthropomorphie de la racine de ginseng a contribué à son succès. Ce réflexe qui semble stupide aux esprits modernes reste en fait présent en marketing : un produit amincissant doit être contenu dans un flacon d’allure élancée, la couleur rouge vif ne peut être portée sur le conditionnement d’un médicament sédatif…
Une troisième voie de découverte a souvent été l’observation des comportements animaux, particulièrement ceux des grands singes primates d’Afrique équatoriale. Des études de même type peuvent également être menées en Europe chez les animaux d’élevage (bovins, agneaux, chiens…) qui rejettent les plantes dangereuses.
Dans cette galerie de plantes, comment se situe la notion de biodiversité ?
Elle doit être envisagée essentiellement sous son éclairage génétique. Ne se référer qu’aux caractéristiques de l’espèce linnéenne classique est insuffisant. Il faut retenir des éléments plus subtils, incluant en particulier les caractères chimiques (on parle depuis longtemps de chimiotypes). Un exemple bien connu est celui de Centella asiatica (ou Hydrocotyle asiatica). Cette ombellifère peuplait le Gondwana, l’ancien continent qui s’est scindé en Madagascar, les Maldives et le Dekkan. Ce dernier a suivi la dérive des continents, en venant se souder au Nord au sous-continent indien. Or bien que botaniquement identiques les échantillons de Centella de l’Inde n’ont pas la même richesse en triterpènes que la souche de Madagascar et seule cette dernière convient à la pharmacie. Respecter la biodiversité des richesses naturelles, c’est donc conserver prospères les souches les plus variées. La déforestation intensive, qui est actuellement pratiquée au Brésil, en Afrique équatoriale, dans les grandes forêts nordiques, est malheureusement catastrophique à ce point de vue.
L’exploitation des ressources naturelles à but médicinal ne peut-elle être préjudiciable à cette biodiversité ?
Il est certain que toute exploitation intensive comporte le risque d’une dévastation. La cueillette de toute plante doit respecter des règles de conservation. Une exploitation trop poussée des peuplements de grande gentiane ou d’arnica est malheureusement réelle dans les régions montagneuses d’Europe. Mais en fait les plantes demandées par l’industrie pharmaceutique sont le plus souvent issues de cultures à partir de souches choisies qui ne peuvent nuire à la biodiversité.
L’appauvrissement de la biodiversité n’est-il pas finalement inscrit dans l’histoire naturelle de la Terre ?
Il est vrai que la réduction des espaces sauvages, du fait même de la multiplication des populations humaines et d’un manque de respect pour la Nature, peut effectivement jouer un rôle néfaste et la constitution de réserves protégées, de parcs naturels est une mesure partout indispensable. Mais cette précaution est-elle inscrite parmi les préoccupations majeures des dirigeants politiques ? Un Grenelle de la biodiversité ! Dans un sens opposé on observe que de vastes espaces du sud-est de l’Asie, jusqu’ici couverts de jungles et de forêts primitives, c’est-à-dire d’une végétation ancestrale, sont remplacés par des cultures industrielles de palmier à huile pour fournir un « biocarburant » : façon expéditive de supprimer la biodiversité
…
Récemment au cours d’une causerie, vous aviez eu des mots peu amènes à l’encontre d’expressions pourtant flatteuses. Pourquoi ?
Oui que d’abus de mots en bio- et en phyto- ! Dans un esprit de mercatique exagérée, ces préfixes portent des messages chargés de faire rêver l’acheteur potentiel. Or tout produit naturel n’est pas forcément bon : les exemples de plantes toxiques abondent (aconit, datura du monde entier et Brugmansia, colchique, chardon à glu d’Afrique du Nord, strychnos asiatiques…). Ces plantes, qui avaient pu être utilisées à doses faibles à titre thérapeutique sont maintenant refusées de sorte que tout ce qui est phyto- ne peut être accepté sans un tri préalable. Quant à bio-, ce préfixe a bon dos pour une création emphatique dans des domaines multiples. Les immenses ressources du monde végétal, encore insuffisamment utilisées et même explorées méritent plus de considération en pharmacognosie et en thérapeutique, en cosmétique et en alimentation sans qu’on ait besoin de passer de l’information rationnelle au domaine de l’imaginaire.
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