L’IA, dont la tâche est de proposer des suggestions, est gourmande de data. Les algorithmes de machine learning doivent être alimentés en données de quantité et de qualité suffisantes. Un enjeu auquel doivent répondre les groupements de manière permanente. Pour cela, il s’impose à eux de lever de nombreux freins auprès de leurs adhérents et de les convaincre de la pertinence de la démarche. « J’aime leur dire que la data, c’est de l’argent », s’amuse Pierre-Alexandre Mouret, directeur des opérations et de la stratégie de Pharmavie, ajoutant que la data entre désormais en ligne de compte dans la valorisation d’une officine.
Il faudra donc toute la force de persuasion d’un groupement pour mobiliser ses adhérents. Car le premier critère, celui de la masse critique, contribue à légitimer le second, la qualité. Pour atteindre cette masse critique, Optipharm travaille aujourd’hui à l’élaboration d’une blockchain qui sera le support de la collecte de données, comme l’annonce Michel Quatresous, son président. Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil, met cependant un bémol à cette frénésie de quête de données. Selon lui, le format actuel des données constitue un frein de taille à leur exploitation. En témoigne l’exemple du DMP dans sa version actuelle, relève Hervé Jouves. « Il contient de nombreux documents mais qui ne sont pas structurés de la même façon, ni dans des formats de stockage et par conséquent ne se prêtent pas à l’analyse », déplore-t-il, regrettant que ces lacunes « empêchent l’utilisation de l’IA alors que celle-ci pourrait permettre l’analyse, la génération de synthèses et même d’alerte à destination des professionnels de santé pour une meilleure prise en charge du patient. »
Attention sensibles !
Pour l’heure, la majorité des groupements considèrent la carte de fidélité comme la poule aux œufs d’or de la data. Mais encore faut-il, comme le relève Pierre-Alexandre Mourret, dont le groupement dénombre 520 000 clients « encartés », que les données fournies soient qualifiées, donc exploitables. Force est de constater que l’humain constitue la première limite au développement de l’intelligence artificielle. Par conséquent, les groupements doivent pouvoir compter sur leurs adhérents en tant que pilotes de la donnée.
Faute de qualité, les systèmes manqueront de fiabilité, comme l’a récemment démontré une méta-analyse sur les performances diagnostiques des algorithmes d'IA (1). « Attention, la donnée peut tuer la donnée », met en garde Vincent Le Floc'h, directeur d’Alphega dont le réseau dénombre 60 000 encartés « My club Alphega ». Ce constat est d’autant plus pertinent dans le cas des données de santé. La nature de ces data exige toutes les précautions et le respect des règles éthiques, déontologiques et législatives. Tous les groupements appréhendent l’IA dans la conscience de ces contraintes. Il en va non seulement de la légalité mais aussi de la relation de confiance établie avec le patient-consommateur ! « À partir du moment où le patient accepte de confier ses données de santé, il y a un lien de confiance qui s’établit avec les acteurs qui les récoltent. Nous avons un devoir de transparence, et nous devons insister sur le consentement de l’individu, l’informer, et lui montrer que nous avons patte blanche pour utiliser ses données personnelles », rappelle Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv.
En effet, l’IA et les data à l’officine supposent le traitement de données à la fois commerciales, comportementales et sanitaires. Les groupements doivent par conséquent s’assurer du strict respect des différentes règles et lois encadrant ces utilisations. Raison de plus pour que le pharmacien reste le libre-arbitre de la data, insiste Philippe Becht, délégué général de Giphar. Par ailleurs, comme le précise Hubert Charpentier, directeur supply-chain et système d'information de Sogiphar Pharmavision Giphar, « tous les adhérents détiennent un LGO identique. Cette stratégie, qui assure l'interopérabilité, garantit également la fiabilité et la qualité de la data. Un cercle vertueux qui permet d’optimiser le traitement des données ».
Data en stock
Nombre de groupements se réfèrent en matière de sécurisation des données aux énoncés du Health Data Hub (plateforme des données de santé), préfiguré par le gouvernement dans le sillage du rapport Villani, inscrit à la loi de santé du 24 juillet 2019, et dont le déploiement est prévu dans un avenir proche. Les groupements s’en remettent également au RGPD (règlement général sur la protection des données) en vigueur depuis mai 2018, qui selon eux « suffit largement ».
De nombreuses questions concernant la sécurité des data n’en émergent pas moins. Ainsi, sur le chapitre sécuritaire, Anthony Hurault, directeur d’Aelia, estime « qu’il semble difficile, voire impossible, dans la cadre de la collecte et du partage d’informations, de garantir qu’aucun piratage ou fuite ne puisse avoir lieu ». La protection des données reste un enjeu majeur. « Elle doit être encadrée par des protocoles particulièrement rigoureux pour préserver la propriété et la confidentialité de la data », déclare Jean-Pierre Dosdat, président d’Objectif Pharma. Serge Carrier insiste sur la nécessité d’être accompagné sur l’ensemble de la chaîne par des partenaires de confiance. « Pour cette raison, notre groupement a développé ses solutions numériques de santé avec un hébergeur agréé de données de santé (HADS) nous permettant de poser les bases fiables et sécurisées pour les développements de nos prochains services », expose-t-il.
Le groupement Giphar s’est également attaché le service d’un tiers de confiance. Le pharmacien adhérent reste cependant propriétaire et maître de ses données, l’ensemble des data patients demeurantt dans la pharmacie, anonymisées puis stockées sur un cloud privé. Pas question pour le directeur général du groupement de travailler avec un cloud public. « J’ai personnellement refusé de travailler avec les grands acteurs comme Amazon », affirme-t-il. De fait, l’ombre des GAFAM plane sur les données patients. Et la profession a bien l'intention de redoubler de vigilance, sinon de résistance.
À ce titre, Jean-Christophe Lauzeral, directeur opérationnel de Giropharm, estime que pour conserver la collecte et la maîtrise des données, les groupements devraient impérativement devenir hébergeurs de données de santé. Une démarche certes coûteuse mais qui, selon lui, pourrait être réglée par une mutualisation de cette fonction avec d’autres groupements, sous la forme d’une plateforme d’hébergement des données de santé. Un vrai métier. Mais qui se justifierait d’autant plus selon lui que plusieurs groupements, dont le sien et Pharmactiv, collaborent désormais avec des laboratoires dans un modèle de pharmaciens investigateurs d’études cliniques.
(1) Étude publiée le 25 septembre dans « The Lancet Digit Health ». A comparison of deep learning performance against health-care professionals in detecting diseases from medical imaging : a systematic review and meta-analysis. https://bit.ly/2l0SqK9
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