Le « pour ».
Les partisans de l’usage de la plante (cannabis = chanvre, herbe, marijuana, etc.) ou de préparations qui en sont des dérivés directs (résine de cannabis ou haschisch = « shit », « teuch », etc. ; parfois « huile », encore plus concentrée que la résine) soulignent :
› Leur bonne tolérance ;
› La possibilité de l’utiliser à l’aide d’un vaporisateur (il en existe divers modèles : Volcano, etc.) évitant l’inhalation de goudrons cancérigènes ;
› Le caractère injustement coercitif d’une législation qui autorise le recours médical à des traitements dont l’index thérapeutique n’est pas meilleur, voire plus défavorable ;
› Les inégalités flagrantes entre les législations des divers pays, d’autant plus criantes que l’usage même non médical du cannabis est désormais autorisé dans certains pays et, notamment, depuis le 1er janvier dernier, dans l’état américain du Colorado.
De nombreux patients désireux de se traiter par le cannabis produisent les pieds de la plante par culture hydroponique ou dans leur jardin. Ils peuvent la fumer directement ou fabriquer eux-mêmes du haschisch grâce à des systèmes spécifiquement conçus pour cette opération et aisément disponibles en ligne (exemple : système Pollinator).
Le « contre ».
Les détracteurs de cette utilisation rapportent quant à eux :
› L’insuffisance des études valides portant sur le cannabis ou ses dérivés ;
› La possibilité de recourir à des médicaments industriels et contrôlés dans toutes les indications revendiquées ;
› L’impossibilité d’obtenir des effets reproductibles avec l’utilisation d’une plante aussi riche en produits pharmacologiquement actifs présents en des taux variables ;
› Les dangers de sa consommation en mélange au tabac et/ou de l’inhalation de produits de combustion de la plante (goudrons) ;
› Le risque de confusion sociale et juridique que peut entraîner la coexistence d’un cannabis « thérapeutique » et d’un cannabis « drogue » ;
› L’existence de médicaments légaux à base de THC pur ou de cannabinoïdes de synthèse (dronabinol, nabilone, etc.).
Une situation confuse.
La situation juridique du cannabis médicinal, en tant que plante ou de ses dérivés directs (haschisch), reste confuse : certains gouvernements en prohibent l’essai clinique et l’usage thérapeutique, alors que d’autres en facilitent l’accès y compris par le biais de vente dans les pharmacies voire en ouvrant la possibilité de le produire soi-même (en contradiction, au moins formelle, avec le droit international). La prohibition de l’usage compassionnel, ou simplement thérapeutique, de la plante a d’ailleurs des conséquences judiciaires nombreuses : les procès se multiplient par exemple pour juger le cas de salariés chez lesquels l’utilisation de cannabis a été détectée à l’occasion de tests de dépistage en milieu professionnel ou celui de conducteurs automobiles contrôlés positifs au THC.
Au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie, aux Pays-Bas (où des pharmacies sont autorisées à dispenser du cannabis depuis 2003 déjà), en Belgique, en Suisse, ainsi que dans vingt états américains (l’Illinois a été le dernier de la liste, fin 2013), la prescription médicale de cannabis ou de dérivés est possible. Aux États-Unis précisément, le travail militant d’associations (Cannabis Buyers’ Clubs) en faveur de l’approvisionnement de patients, sidéens, notamment, pour lesquels le cannabis peut constituer une thérapeutique pertinente a constitué la base de la légalisation de l’usage médical de la plante. Depuis de nombreuses années, l’Université du Mississippi est autorisée par le gouvernement fédéral américain à produire du cannabis destiné à la recherche clinique et de nombreux états, ayant suivi l’exemple du Colorado qui avait, dès 2000, légalisé l’usage médical du cannabis, organisent l’accès à cette plante et à ses dérivés dans un contexte thérapeutique. Des sociétés commerciales (ex : Medicine Man, Good Meds, 3D Cannabis, etc.) se sont mêmes dédiées à la production de cannabis en culture hydroponique à des fins médicinales. Au Colorado, les usagers doivent présenter une carte spécifique autorisant l’achat de cannabis dans des « dispensaries » spécialisés et la détention maximale de deux onces d’herbe (soit 56 grammes). Actuellement, dans ce seul état, près de 110 000 Américains peuvent ainsi fumer ou consommer par ingestion (gâteaux, confiseries, boissons, etc.) du cannabis sur ordonnance, pour un chiffre d’affaires annuel de 200 millions de dollars (rappelons que depuis le 1er janvier, l’achat de cannabis à des fins purement « récréatives » y est, dans un cadre présenté comme restrictif, autorisé pour toute personne âgée de plus de 21 ans).
Sativex : un médicament à base de cannabis
À côté de la plante et de ses dérivés immédiats, il existe un médicament à base de cannabis, doté depuis jeudi dernier d’une autorisation de mise sur le marché en France. Cette préparation est obtenue par l’association de deux extraits provenant de deux souches génétiquement sélectionnées et clonées de cannabis : l’une d’une plante riche en THC, l’autre d’une plante riche en CBD livrant respectivement les deux extraits (tétrabinex et nabidiolex). L’association des extraits permet de formuler le médicament (Sativex) contenant à part quasiment égale du tétrahydrocannabinol (THC) et du cannabidiol (CBD). Il s’administre sous la forme d’un spray buccal (pompe doseuse), avec passage transmuqueux des principes actifs. Disponible depuis plusieurs années au Canada, aux États-unis, en Nouvelle-Zélande et dans divers pays européens (ex : Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Suède, Tchéquie), il s’adresse aux patients atteints d’une spasticité liée à la sclérose en plaques (et dans certains pays de douleurs neuropathIques). Sativex, un stupéfiant, sera prescrit tous les 6 mois par un neurologue ou un médecin rééducateur hospitalier pour une durée maximale de 28 jours. Le traitement pourra être renouvelé entre temps par un généraliste. La population de patients concernés est estimée à quelque 2 000 personnes en France.
Les associations d’usagers font cependant remarquer que ce médicament n’est pas toujours efficace et ne peut réellement se substituer au cannabis « plante » dans tous ses usages thérapeutiques. Certains patients ne supportent pas l’alcool de l’excipient, même à petites doses. La dose unitaire délivrée par le dispositif est suffisante pour des patients naïfs au cannabis mais elle reste parfois insuffisante pour des sujets habitués à utiliser du cannabis. La proportion du THC et du CBD (ratio quasiment égal à 1) ne convient pas à tous les patients et la formulation du médicament élimine de nombreux cannabinoïdes et des flavonoïdes participant probablement à l’activité de la plante entière ou de ses dérivés complets. Enfin, les usagers suggèrent que la formulation en spray ne serait pas aussi efficace que la vaporisation du cannabis.
C’est le décret n° 2013-473 du 5 juin 2013 (JO du 7 juin 2013) autorisant l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à examiner les demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des spécialités à base de cannabis ou de ses dérivés, qui a permis l’agrément du dossier du Sativex dans l’Hexagone. Cette évolution récente de la position du Ministère de la santé doit cependant être comprise avant tout comme la conséquence d’un recours déposé devant le Conseil d’état par le laboratoire pharmaceutique producteur qui souhaitait voir levée l’exception empêchant la commercialisation de ce médicament en France alors qu’il est autorisé de longue date dans divers pays européens.
Les cannabinoïdes de synthèse en thérapeutique
L’industrie pharmaceutique propose plusieurs cannabinoïdes sous la forme de médicaments :
› Le lévonantradol est un isomère du nantradol, un cannabinoïde de synthèse soluble susceptible d’être administré par injection intramusculaire. Il est beaucoup plus puissant que le THC et, au vu de l’incidence des effets indésirables sur le système nerveux central, il n’a pas été commercialisé.
› La nabilone (Césamet), indiquée par voie orale (capsules 0,5 mg et 1 mg) dans la prévention et le traitement des nausées et des vomissements sous traitement anticancéreux, l’anorexie et la fibromyalgie, est notamment commercialisée aux États-Unis, au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne.
› Le dronabinol (Marinol), qui n’est autre que le THC obtenu par synthèse (et non extrait de la plante), est indiqué par voie orale (capsules dosées à 2,5 mg, 5 mg ou 10 mg) aux États-Unis, en Australie, en Afrique du sud et au Canada dans le traitement et la prévention des nausées et des vomissements chez les patients sous traitement anticancéreux ainsi que pour favoriser l’appétit chez les patients sidéens ou cancéreux.
La situation juridique de ces cannabinoïdes de synthèse est simple : ils font l’objet d’un contrôle légal au même titre que d’autres médicaments psychoactifs.
En France, Césamet et Marinol sont susceptibles d’être prescrits en respectant des formalités administratives lourdes et dissuasives : l’assouplissement des procédures d’utilisation compassionnelle du cannabis et de ses dérivés comme de prescription de spécialités à base de cannabinoïdes de synthèse, annoncé dès 2001 par le ministre de la santé de l’époque, Bernard Kouchner, ne s’est concrétisé que fort tardivement… en 2013. Il est donc théoriquement possible, de longue date, de les prescrire sous couvert d’une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) individuelle délivrée par la Ministère de la Santé aux médecins qui en font la demande pour des patients particuliers. Toutefois, le formalisme administratif important entourant l’obtention cette autorisation a longtemps limité l’accès à cette offre thérapeutique (entre 2001 et 2009, seulement 74 ATU ont été acceptées pour le dronabinol). Le décret n° 2013-473 déjà évoqué devrait à terme changer la donne.
Il ne faudrait pas passer sous silence ici la carrière fugace d’un cannabinoïde de synthèse : le rimonabant. Commercialisé à partir de 2006 dans divers pays dont la France en 2007 (Acomplia), cet antagoniste CB1, anorexigène, avait été développé pour traiter l’obésité. Sa prescription était soumise à un encadrement strict en raison de la survenue d’un risque suicidaire et de troubles de l’humeur, ainsi qu’en raison de possibles dérives dans son utilisation (administration à des patients dans le seul but de maigrir pour des raisons esthétiques). Un index thérapeutique médiocre et les risques psychiques encourus par les patients ont conduit à son retrait rapide du marché, dès 2008. Inversement, divers cannabinoïdes sont en cours d’étude (cannabidivarin, ménabitan, pirnabine, naboctate, etc.) et devraient concourir à étoffer une famille pharmacologique qui fait parler d’elle…
Article suivant
Une iatrogénie réduite
Usage thérapeutique de la plante
Une iatrogénie réduite
Une plante médicinale connue de longue date
Un potentiel thérapeutique diversifié
Les mots du client
Le contexte médical
Une action pharmacologique élucidée
Pharmaco pratique
Accompagner la patiente souffrant d’endométriose
3 questions à…
Françoise Amouroux
Cas de comptoir
Les allergies aux pollens
Pharmaco pratique
Les traitements de la sclérose en plaques