Le Quotidien du pharmacien. - Selon vous, pourquoi l’officine de 2022 a-t-elle besoin d’innover ?
Alexis Sean. - L’officine doit s’adapter aux nouvelles missions du pharmacien : elles imposent un nouveau mode de fonctionnement sur bien des aspects (RH, agencement, rémunération…).
Le besoin de légitimer la profession : la pratique de la pharmacie repose trop peu sur l’aspect clinique du métier au détriment de son aspect commercial. Or, la pratique d’une pharmacie davantage tournée vers la clinique permettrait de mettre en application les connaissances propres du pharmacien et ainsi de balayer les contestations autour du monopole pharmaceutique.
Le besoin d’évaluer notre pratique : le pharmacien d’officine doit être en mesure d’évaluer sa pratique dans une optique d’amélioration. Cela passe par la documentation de notre profession qui pourrait, entre autres, créer une émulation autour de la recherche en science pharmaceutique officinale.
L’arrivée d’une nouvelle génération de pharmaciens : les nouveaux diplômés et les étudiants sont, à mon sens, très demandeurs d’une pratique axée sur la clinique.
Votre projet, récompensé par le jury du premier « Concours de l’agencement » du « Quotidien » prévoit un espace dédié à la recherche sur l’acte officinal. Pouvez-vous nous préciser votre idée ?
Cet espace a pour but de promouvoir la recherche en sciences pharmaceutiques officinales. Il permettrait de documenter notre pratique au quotidien et d’en tirer des conclusions en vue d’une amélioration. Ce faisant, nous pourrions mesurer les pratiques de chacun et ainsi conclure à la plus efficace dans une situation donnée. Bien entendu, ces recherches doivent faire consensus auprès de la communauté scientifique et feront donc l’objet de publications au préalable. Nous aboutirions alors à un égrainage des pratiques les moins pertinentes et donc à une harmonisation de notre profession. Toutefois, cette harmonisation ne signifie pas une robotisation de l’acte pharmaceutique. Au contraire, le versant sciences humaines et sociales (SHS) que nous souhaitons apporter contribue à une meilleure connaissance du patient.
Grâce aux informations obtenues à partir de ces études, nous serions plus à même de comprendre les facteurs individuels permettant une prise en charge plus fine. Ces études seraient menées par des soignants mais également des professionnels des SHS afin d’être plus précis dans notre démarche. Ainsi, à partir de ces résultats, il sera rendu possible d’individualiser au plus près la prise en charge dans le cadre des recommandations que nous avons dégagées.
Concrètement, ces recherches seront effectuées par des étudiants de 6e année de pharmacie dans le cadre de leur stage de pratique officinale, par des étudiants en SHS dont les mémoires ou les thèses de recherche se rapportent au soin, par des pharmaciens d’officine inscrit dans un cursus doctoral de recherche en pharmacie d’officine, ou par tout autre soignant intéressé par la dimension socioculturelle du soin. Ce consortium de chercheurs permet, en outre, de créer une interdisciplinarité amenant d’autant plus de richesse à la pratique de notre métier.
Côté patients, votre projet privilégie l’échange et la confidentialité. Comment, concrètement mettez-vous en valeur ces priorités ?
L’échange et la confidentialité doivent être suggérés par l’architecture. Ainsi, je ne pense pas que ces réflexions soient du ressort du pharmacien mais davantage de celui de l’architecte scénographe. Cependant, nous avons certaines demandes en termes d’espace. En effet, nous refusons l’architecture standardisée de l’officine qui contraint, impose ou encore éloigne le patient. Cette architecture injonctive et orientée vers la commercialité ne doit pas être la solution. Au contraire, nous souhaitons souligner avant tout l’aspect clinique de la pharmacie en proposant une réflexion architecturale en termes d’ambiance. Les paramètres liés aux sens sont primordiaux dans la création d’un tel espace. Ainsi, l’harmonie des matériaux, le volume des espaces, la température de la pièce ou encore la lumière sur les objets sont autant de paramètres à étudier.
Il sera alors rendu possible de créer des paliers d’intimité favorisant l’échange et la confidentialité. Les patients passeraient d’un palier à l’autre, chacun suggérant une intimité croissante, pour finalement se retrouver accompagnés du pharmacien avec lequel l’échange, rendu possible par la solution architecturale, pourra naître.
Concrètement, nous souhaitons un espace vaste constitué de ces paliers qui ne seraient pas artificiellement séparés par des cloisons, les paramètres précédemment cités permettant ce cloisonnement sensible.
En matière d’organisation et d’architecture des espaces, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ma compagne, architecte, théorise la question de l’atmosphère en architecture, en particulier celle de la lumière et de son impact sur la sensibilité de l’usager. Ainsi, nous avons longuement échangé sur la nécessité de rapporter ces paramètres à la pharmacie d’officine. Cette réflexion originale permet d’interroger architecture et pharmacie sous un angle nouveau.
De plus, nous avons eu l’occasion de faire l’expérience de certains bâtiments de Peter Zumthor, architecte suisse, ayant l’atmosphère pour sujet d’étude. La pharmacie d’officine a tout à gagner à s’inspirer de la religiosité des Thermes de Vals, de la quiétude de la maison de retraite de Chur, ou encore de la sérénité des maisons individuelles d’Haldenstein.
L’informatique et l’automatisation se sont faites, depuis de longues années, une belle place dans les officines. Comment peuvent-elles encore contribuer à l’innovation pharmaceutique… sans mettre au second plan le professionnel de chair et d’os ?
L’informatisation et l’automatisation doivent affranchir le pharmacien de toutes les tâches à faible valeur ajoutée et ce afin de permettre de dégager du temps pharmaceutique qui permettra alors de se concentrer sur notre cœur de métier. Les tâches administratives, facilement réalisables par le progrès des logiciels métier, permettent de guider le pharmacien dans la bonne gestion de l’officine.
Nous pourrions prendre l’exemple de la télétransmission des factures qui, il y a une dizaine d’années, pouvait demander jusqu’à une heure de travail par jour alors qu’aujourd’hui elle s’effectue en quelques secondes. Ainsi, la gestion de la pharmacie devient de plus en plus simple amenant évidemment à se poser la question du maintien des ressources humaines en place.
Or nous devons prendre le contre-pied de cette question. En effet, le temps pharmaceutique dégagé doit au contraire inciter le pharmacien à explorer de nouvelles composantes de la prise en charge et à initier une démarche clinique. La composante SHS est, à mon sens, un des paramètres que le pharmacien d’officine doit explorer afin de personnaliser le plus finement possible les recommandations thérapeutiques aussi bien d’un point de vue clinique que du point de vue des SHS.
L’informatisation de la pharmacie ne doit donc pas être vue comme un outil remplaçant le pharmacien. Au contraire, elle doit être considérée comme un appui pour permettre la bonne réalisation des missions cliniques. Par exemple, le croisement des bases de données des logiciels permet d’analyser plus rapidement les informations que le pharmacien reprendra et personnalisera selon le patient. Par ailleurs, un croisement des données individuelles relatives au patient (bilan biologique, historique des traitements, âge, sexe, poids…) avec les bases de données du médicament pourrait permettre d’affiner la prise en charge en termes de risque (optimisation de la charge anticholinergique, calcul du risque de chute, gestion du risque d’allongement de l’intervalle QT, pertinence de la poursuite de certains traitements…). Nous pourrions même aller plus loin en faisant sortir l’officinal des murs physiques de l’officine et proposer un suivi pharmaceutique en ligne où le pharmacien, complètement délivré des tâches administratives, pourrait pleinement se concentrer sur la prise en charge clinique.
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