Le Quotidien du pharmacien.- Pourriez-vous, tout en rappelant quelques chiffres, préciser comment et à quel point l’endométriose peut impacter négativement la vie des femmes, tant sur le plan privé, social que professionnel ?
Stéphan de Butler d’Ormond.- L’endométriose touche 1 femme sur 10 en âge de procréer (soit entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France). 70 % des femmes atteintes d’endométriose souffrent de douleurs chroniques invalidantes : les fortes douleurs ressenties et l’épuisement consécutif au manque de sommeil peuvent et doivent nécessiter un aménagement professionnel du travail. Il y a également une perte de sociabilité évidente du fait des douleurs et de l’impossibilité physique de sortir ou d’agir au quotidien. Mais également des souffrances sur le plan privé et psychologique avec une difficulté à la procréation voire un problème d’infertilité pour 30 à 40 % des femmes, sans compter le fait que souvent elles ne savent pas ce qu’elles ont. On estime à 7 ans le délai nécessaire au diagnostic de la maladie ce qui est beaucoup trop long !
Parmi les actions visées par le partenariat SantéCité EndoFrance, vous évoquez la nécessité de mieux former les professionnels de santé, mais également de mieux informer les patientes. Y a-t-il véritablement une carence d’information et de formation sur la maladie ?
On entend parler d’endométriose depuis quelques années et cela va dans le bon sens, notamment avec la stratégie nationale présentée par le Président de la République en janvier. Mais cette pathologie est très hétérogène, elle se manifeste différemment chez les patientes d’où la complexité du diagnostic. Il y a clairement un déficit de formation chez les professionnels qui tend à se résorber : cela a été d’ailleurs reconnu en 2020 avec l’instauration d’un enseignement spécifique dans les études de médecine. Mais il reste encore beaucoup à faire auprès des infirmiers en milieu scolaire pour repérer les symptômes et orienter les jeunes femmes, pour les médecins de ville qui ont eu un cursus de formation sans enseignement sur cette maladie et pour les radiologues pour détecter certaines formes d’endométrioses. Beaucoup de professionnels peuvent être sollicités sans coordination entre eux pour poser le diagnostic et surtout les traitements adéquats d’où la volonté de construire des filières pluriprofessionnelles de prise en charge dans les régions.
S’agissant de l’information des patientes, les associations de bénévoles se sont organisées et ont gagné en expérience, sur la connaissance de la maladie et l’entraide qu’elles peuvent apporter avec l’organisation d’évènements et d’actions de communication grand public. On progresse également sur les traitements et les prises en charge possibles, mais il faut encore promouvoir la recherche sur cette pathologie et les traitements, en y associant plus de professionnels qui peuvent être intégrés dans la prise en charge : psychologue, kinésithérapeute, sophrologue…
Comment, concrètement, l’organisation par SanteCité/EndoFrance de filières nationales spécifiques à l’endométriose pourra-t-elle améliorer l’accès aux soins des patientes, en complément des filières régionales ?
Les seules filières au sens juridique du terme sont celles autorisées par les Agence Régionales de Santé (ARS) dans lesquelles les établissements membres de SantéCité sont parties prenantes dans leur territoire. Chaque établissement membre de SantéCité engagé sur son territoire et dans la filière régionale interagit avec les bénévoles d’Endofrance pour organiser des ateliers de sensibilisation des autres professionnels.
Nous avons souhaité créer un collectif national au sein de SantéCité rassemblant des praticiens, des cadres des unités de soins, les professionnels de l’AMP, de la douleur et EndoFrance pour partager les bonnes pratiques de prises en charge, initier des projets de recherche, engager des actions communes de prévention, de sensibilisation et de communication de cette cause de santé publique au niveau national.
Les échanges nourris entre professionnels dans le collectif national permettent d’améliorer le délai d’accès à des prises en charge de qualité, d’éviter l'errance thérapeutique, de proposer de nouvelles orientations aux professionnels qui les prennent en charge, de créer une émulation positive autour des actions qui peuvent être déclinées dans chaque territoire.
Cette pathologie nécessite une coordination entre plusieurs professionnels. Avec cet objectif, il n'y a rien de tel pour améliorer la qualité de prise en charge qu’un collectif engagé chacun dans son territoire pour s’entraider, discuter de cas, au bénéfice des patientes.
Quel rôle pourraient avoir, selon vous, les pharmaciens dans cette stratégie à venir ?
Le rôle des pharmaciens dans ce type de prise en charge est primordial dans la stratégie médicamenteuse des patientes diagnostiquées, mais peut également s’envisager sur le terrain de la sensibilisation voire de l’information auprès des femmes se plaignant au comptoir des officines de règles douloureuses. Les pharmaciens, comme tous professionnels de santé, sont, tout autant que les établissements de santé, des acteurs de santé publique.
Il n'y a pas de traitements curatifs définitifs aujourd’hui, seulement des solutions qui évitent la prolifération de la maladie et permettent d’atténuer les symptômes. En effet les professionnels intervenant dans la prise en charge des femmes atteintes d’endométriose doivent recourir à des stratégies médicamenteuses pour leur pathologie mais également pour la douleur, pour les effets digestifs ou autres de la pathologie qui, encore une fois, est très invalidante. Il s’agit ainsi d’éviter les différentes interactions médicamenteuses mais aussi de prendre en charge la douleur chronique. Les femmes atteintes d’endométriose peuvent, faute de prise en charge pluriprofessionnelle ou de diagnostic, se laisser tenter pour moins souffrir à des recours qui ne seront d’aucun effet voire d’effets néfastes. Dans ce contexte, la bonne connaissance par les pharmaciens de cette pathologie, et leur coordination avec les praticiens de l’endométriose, doit s’avérer efficace au bénéfice des patientes.
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