« La pharmacie n'a pas de raison de perdurer telle qu'on l’a connue aux XXe et XXIe siècles », affirme d'emblée l'économiste Frédéric Bizard. De là à dire que, pour qu'elle survive, la pharmacie doit absolument se réinventer, il n'y a pas loin… Et pour cela, il ne faut rien attendre de l'État, s'empresse de préciser l'économiste. « Ce n'est pas à l'État de réinventer la pharmacie de demain. Ni l'exercice médical de demain, ni l'hôpital d'ailleurs. » Le décor est planté.
Des atouts à exploiter
Pour se réinventer, la pharmacie peut déjà compter sur ses atouts. Et en elle a de nombreux, estime Frédéric Bizard. « Vous avez une chance énorme ! Vous êtes sans doute la profession dont l'avenir est le plus prometteur. » La preuve ? Il n'est que voir la triple transition démographique, épidémiologique et technologique à laquelle est soumis notre système de santé pour comprendre comment les pharmaciens peuvent en faire des gages de survie. En effet, confronté au vieillissement de la population, qui nécessite des services de proximité et de l'accompagnement, « il s'agit là de missions que les pharmaciens assurent déjà depuis des années », fait remarquer l'orateur. De même, le développement des pathologies chroniques sollicite l'intervention de services experts et de professionnels qui ont une forte crédibilité, et jouissent d'un fort capital confiance auprès de la population. « Tout ça, vous l'avez ! », insiste Frédéric Bizard. Sans compter, ajoute-t-il, que la désertification médicale va amener les pharmacies rurales à jouer demain un rôle beaucoup plus important que celui qu'elles jouent aujourd'hui. Enfin, les pharmaciens, réputés technophiles, ne devraient pas subir, mais plutôt accompagner la transition technologique.
De réelles menaces
En dépit de ces atouts, la pharmacie doit pourtant faire face à de vraies menaces. Au premier rang desquelles celle représentée par la GMS qui conteste à la pharmacie son monopole de distribution. « Voilà qui interroge, estime le président de l'Institut Santé : a-t-on intérêt, dans le domaine de la santé, à développer des systèmes de distribution low-cost et high-volume ? Sur un plan sociétal, je n'en vois pas. La GMS a pour vocation de distribuer des produits de grande consommation, et clairement, le médicament n'en n'est pas un ! »
Autre menace, autre analyse, l’ouverture du capital, option diversement considérée, justifie une réponse plus modulée. « Faut-il faire appel à des fonds d'investissement qui ne sont pas d'essence professionnelle et aller vers une évolution capitalistique du métier, telle que celle survenue chez vos confrères biologistes », interroge l'économiste. Selon lui, il n'y a pas de valeur ajoutée à développer un modèle capitalistique fort. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas que les officines se regroupent et qu'il ne faut pas favoriser l'ouverture du capital dans une certaine mesure. « La question c'est : ouvrir à qui et pour quoi faire ? »
Déjà présente dans le plan Attali, une certaine « obsession technocratique » menace également l'officine : la dérégulation des professions réglementées. « Dans ce débat, il faut bien comprendre une chose, insiste Frédéric Bizard : les raisons pour lesquelles on a réglementé la profession de taxi ne sont pas les mêmes que celles pour lesquelles on a réglementé celle de pharmacien. » Pour les taxis, il s'agissait de protéger une rente - leur licence -, qui était assumée. En revanche, argumente en substance l'économiste, on n'a pas protégé la profession de pharmacien pour protéger une rente, mais plutôt avant tout parce qu'elle doit faire face à des obligations de service public qui ne peuvent être respectées hors d'une officine. « Rente ou service public, il faut choisir », résume-t-il.
Enfin, prévient Frédéric Bizard, « l'ubérisation sur les plateformes numériques, est sans doute la menace la plus palpable et la plus dangereuse pour votre profession. Car une fois que vous êtes ubérisé, il est trop tard ». Pour éviter cette fatalité, il faut arriver à proposer ce qu'aucune plateforme technologique ne peut proposer, suggère-t-il. « Les médecins américains y sont parvenus et se sont rendus incontournables, ils ont évité l'ubérisation, pourquoi pas vous ? »
Quels modèles pour demain ?
Dans ce contexte, le destin du pharmacien de demain nécessite une feuille de route à l'horizon 2030, estime l'économiste. « À laquelle vous travaillez sans doute déjà… » concède-t-il à l'auditoire. Mais attention, selon lui, réinventer la pharmacie de demain ne consiste pas seulement à y faire entrer de nouveaux services. Ainsi, se réjouir de la vaccination à l'officine serait un leurre, affirme le président de l'Institut Santé… « C'est bien, ça rassure, mais ce n'est pas ça qui va protéger la pharmacie de demain. » Ce type de nouveaux services, qui peuvent être réalisés par d'autres professionnels que les pharmaciens, n'entre clairement pas dans le plan de route proposé par Frédéric Bizard.
Un plan de route ? L'orateur en propose justement un, axé sur trois offres.
Un bouquet de solutions e-santé
« Vous avez des compétences que personne d'autre n'a. C'est là qu'il faut aller chercher votre avenir », présage l'orateur. Et de proposer le développement d'un bouquet de solutions e-santé à l'intention des patients. « C'est ce que vous commencez à faire avec le suivi de patients chroniques, l'accompagnement, la prévention… » L'idée serait de faire monétiser, au travers de ce bouquet de e-santé, un ensemble de services qui, grâce à la technologie, sont des services à forte valeur ajoutée, mais à bas coût. Voilà l'un des modèles de développement à long terme auquel croit fermement Frédéric Bizard. Mais attention, prévient-il, cette offre ne pourra fonctionner qu'à la condition d'abandonner le tiers payant. À cause de sa généralisation, il n'y a plus, selon lui, de reconnaissance de la valeur ajoutée du pharmacien. « Vous avez complètement perdu le lien économique avec vos clients ! » regrette-t-il, soulignant le fait que sur le médicament, la France a le reste à charge le plus faible du monde.
« Vous êtes totalement dépendant des financeurs, voilà pourquoi il vous faut aller arracher chaque nouveau service à l'assurance-maladie, et demain à la mutualité française. Ce n'est pas ainsi que vous parviendrez à transformer votre métier », adresse-t-il aux pharmaciens. Pour lui, il faut clairement revenir sur le tiers payant. « Il ne s'agit pas de renoncement aux soins, mais plutôt de retrouver le lien économique avec vos clients », précise-t-il.
Un modèle de distribution numérique à la demande.
Selon l'économiste, nous allons vers un nouvel équilibre de l'offre et de la demande. « Vous êtes dans un système qui était géré par l'offre et qui sera de plus en plus géré par la demande », assure-t-il. Dans un avenir proche, les pharmaciens devraient donc être capables de répondre à un « service qui sera demandé, pas simplement dans votre pharmacie et pas simplement par le client/patient visiteur de votre pharmacie », augure-t-il. Une offre d'ailleurs déjà en cours de déploiement. Au-delà des services à domicile, l'économiste pense que la distribution va devoir se transformer et qu'un nouveau modèle de distribution va émerger.
Un modèle d'acteur dans le premier recours
La troisième piste évoquée par Frédéric Bizard concerne le rôle des pharmaciens dans le parcours de soins. « Notamment pour les pharmacies rurales, mais pas seulement, un rôle de pharmacien de premier recours pourrait être intégré de façon positive au système », propose l'économiste.
Conservez vos fondamentaux !
Enfin, l'orateur invite les pharmaciens à préserver les fondamentaux de l'officine que sont le service public, l'expertise scientifique et l'indépendance professionnelle. Il les invite également à prendre eux-mêmes leur destin en mains : « Nous sommes à un moment de l'histoire où, clairement, les évolutions ne viendront pas d'en haut. Il faut faire le boulot ! » Certes, fait remarquer Frédéric Bizard, plus de la moitié des pharmaciens ont plus de 56 ans, il n'est donc pas évident de parler d'avenir… Un argument qui n'écorne pourtant pas sa confiance : « Je pense que tout le monde a envie et intérêt à ce que demain la profession reste forte, parce qu'elle a le potentiel d'aller mieux. » Et de conclure en citant Sénèque : « Il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. »
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