Les confrères appelant de leurs vœux à une unité syndicale face à l’adversité peuvent se réjouir. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) par la voix de leurs présidents respectifs, Philippe Gaertner et Gilles Bonnefond, confirment une vision commune de ce que doit être le pharmacien de demain. « Il faut se rappeler pourquoi on a un diplôme, un monopole, des règles d’installation et pourquoi on est indépendant : pour accompagner des patients. Qu’il y ait des activités connexes, ce n’est pas gênant tant qu’elles ne masquent pas la croix verte. Sinon ça devient illisible à la fois pour les patients, pour les pouvoirs publics et même à l’intérieur de la profession, souligne Gilles Bonnefond. Est-ce que vous préférez vous concentrer sur le shampooing low cost ou sur les patients fragiles qui ont besoin de vous ? On a choisi le camp du patient ! »
Pour Gilles Bonnefond, il s’agit de relever le défi du vieillissement de la population, de la sortie hospitalière, du développement des pathologies chroniques, des politiques de prévention et de dépistage. Et c’est bien à ces problématiques que répondent les nouvelles missions des pharmaciens, que ce soit avec les entretiens AVK/AOD et asthme, « qui ont été simplifiés et sont rémunérés à 50 euros au lieu de 40 euros » avant de futurs entretiens sur le diabète ou le risque cardiovasculaire, ou que ce soit avec les bilans partagés de médication. « Ils portent une attention particulière sur les personnes âgées exposées à un risque iatrogène. Avec l’Assurance-maladie on a convenu de les confier au pharmacien, puisque c’est celui qui est compétent sur le médicament, qui voit passer les ordonnances pouvant venir de plusieurs médecins et qui connaît les habitudes de ses patients en matière de médication officinale », ajoute Gilles Bonnefond.
Redonner de l’attractivité
Tout comme lui, Philippe Gaertner appelle les pharmaciens à se saisir des nouvelles missions. L’objectif de 20 bilans par an « est atteignable dans toute pharmacie, quelle que soit sa taille, cela représente un bilan tous les 15 jours ». Et d’ajouter que l’implication des confrères dans le bon usage du médicament est scrutée « par les politiques et les autres corps de santé », la mobilisation est donc de mise. Pour l’USPO, ces entretiens et bilans partagés « repositionnent le métier » et « redonnent de l’attractivité » à la filière officine, délaissée ces derniers temps par les étudiants en pharmacie. Comme c’est le cas de la vaccination antigrippale en pharmacie, étendue cette saison à quatre régions en expérimentation, et qui sera généralisée l’année prochaine. « Dans les deux premières régions, il faut que le nombre de pharmacies expérimentatrices augmente et que les deux nouvelles régions atteignent, voire dépassent, leurs résultats, indique Philippe Gaertner. Les autres régions ont un an pour se préparer car les patients sont demandeurs et tout ce que nous faisons doit être en parfaite adéquation avec leurs attentes. »
D’autres missions vont se mettre en place. Les syndicats négocient actuellement les conditions de l’accompagnement du patient sous chimiothérapie orale et espèrent conclure un accord avant la fin de l’année. La télémédecine fait aussi partie des négociations conventionnelles en cours*. Gilles Bonnefond promet que toute pharmacie pourra s’y investir. Il faudra disposer d’un « équipement minimum » permettant d’échanger avec le médecin en toute sécurité, et d’un espace de confidentialité. Des dispositifs existent déjà « pour équiper cet espace d’un écran, d’une caméra grossissante, d’un stéthoscope et d’un otoscope connectés » qui « coûtent de l’argent » mais pas « 120 000 euros » comme le proposent certaines sociétés pour équiper les pharmacies d’une télécabine. « Parce que dans ce cas, celui qui va gagner de l’argent c’est le fabricant avec son contrat de maintenance, le pharmacien, lui, risque de tout perdre », met en garde le président de l’USPO. Outre l’équipement, l’élément le plus important dans cet échange à distance avec le médecin est justement le pharmacien qui mettra le patient en confiance et pourra l’aider à réaliser certains gestes « qui peuvent être difficiles pour une personne âgée ou en difficulté », ajoute Gilles Bonnefond.
Télépharmacie
Les négociations en cours sont en bonne voie, mais les syndicats n’oublient pas qu’il aura fallu 7 à 8 ans pour convaincre du rôle du pharmacien et de l’avantage de placer la télémédecine dans la pharmacie en tant qu’espace de santé réglementé. « Les médecins croyaient qu’on allait s’équiper de télécabine pour faire de la médecine, s’étonne Gilles Bonnefond. Mais dans ce cas on n’a pas besoin de télécabine. Il a fallu convaincre qu’on ne voulait pas faire de la médecine, mais offrir une porte d’entrée pour consulter un médecin à distance, que ce soit pour des patients chroniques, pour une évaluation d’une situation d’urgence, pour faciliter le contact avec l’hôpital pour un patient sous chimiothérapie, et pour les patients ne disposant pas de cabinet médical à proximité. » Et Philippe Gaertner de préciser que la difficulté d’accès à un médecin n’est pas réservée « à la ruralité profonde », des « sites urbains ou périurbains » sont aussi concernés, et c’est une bonne raison pour une officine de s’équiper. Si aujourd’hui on se limite aux apports de la pharmacie dans la télémédecine, la FSPF ne ferme pas la porte à ce que demain on se penche sur « la télépharmacie, qui permettrait à des gens qui ne peuvent se déplacer de bénéficier d’un entretien avec le pharmacien qui ne peut quitter son officine du fait de la présence obligatoire d’un diplômé dans la pharmacie ».
Une même vision
Avec ces nouvelles missions, en place ou à venir à court terme, les deux syndicalistes ont le sentiment d’avancer dans la bonne direction et plus rapidement que jamais. « Qu’on parle du DMP, des entretiens, des bilans, de la chimiothérapie, de la télémédecine, de la vaccination, du décret services… nous avons tous deux la même vision de ce que doit être la pharmacie de demain, une pharmacie qui s’intéresse avant tout à l’intérêt patient », souligne ainsi Philippe Gaertner. La parution du décret services au « Journal officiel » le 5 octobre est d’ailleurs le dernier événement en date confirmant le virage professionnel de santé pris par le pharmacien. Même s’il a fallu l’attendre neuf longues années. Parce que ce texte « permet aux pharmaciens d’officine de valoriser leurs compétences et de proposer à leurs patients des prestations facultatives ne relevant pas systématiquement du champ conventionnel », note Philippe Gaertner. Et parce qu’il crée les conditions favorables à la rémunération des prestations déjà réalisées à l’officine. Aux yeux de l’USPO les possibilités sont infinies et concernent tous les outils de l’observance comprenant la préparation des doses à administrer et la dispensation à domicile, la participation à l’évaluation des médicaments en vie réelle, le renforcement de la prévention et du dépistage, et notamment la lutte contre l’antibiorésistance et le dépistage du cancer colorectal, et tout ce qui concerne la perte d’autonomie liée au vieillissement de la population…
L’accord entre syndicats serait total si on évitait de parler rémunération, et plus généralement économie de l’officine. Pour Gilles Bonnefond, la signature de l’avenant 11 à la convention pharmaceutique est une réussite. La réforme de la rémunération qui a débuté le 1er janvier dernier est selon lui positive sur les huit premiers mois de l’année puisque, malgré un volume de ventes toujours en recul, le chiffre d’affaires est en hausse de 240 millions d’euros, alors que cette même période en 2017 affichait un recul du chiffre d’affaires de 258 millions d’euros par rapport à 2016. L’évolution de la marge reste négative, mais elle est de -6 millions entre 2017 et 2018 contre -11 millions entre 2016 et 2017, et ce malgré les baisses de prix. Une amélioration que l’USPO met principalement sur le compte de la nouvelle rémunération, et de façon plus modeste sur celui de l’impact des médicaments chers qui y contribuent pour 9,6 millions d’euros.
Urgence sur l’arrêté de marge
« Nous avons une divergence très claire sur l’avenant 11 », reconnaît Philippe Gaertner qui rappelle que c’est la première fois que la FSPF n'a pas signé un avenant important ; une décision qui n’a pas été facile à prendre. « Nous ne contestons pas le choix d’aller vers de nouveaux honoraires, nous pensons qu’il faut continuer dans cette direction pour atteindre les 70 à 73 % d’honoraires dans notre rémunération en fin de période, mais nous n’étions pas d’accord sur la répartition des honoraires. » Philippe Gaertner estime que l’avenant 11 ne permet pas de compenser les impacts négatifs qui ne relèvent pas du dispositif conventionnel, en particulier la LFSS qui impose chaque année d’importantes baisses de prix sur le médicament. « L’impact des baisses de prix est de 172 millions d’euros sur la rémunération (115 millions de perte de rémunération réglementée et 51 millions de perte de remises générique), le dispositif conventionnel apporte 70 millions, il manque donc 100 millions d’euros. » De plus, les indicateurs sur lesquels reposent les évolutions du mode de rémunération sont en baisse par rapport à 2017 : le nombre total d’ordonnance baisse de 3 % et le nombre d’ordonnances de 5 lignes et plus de 2,61 %. « Depuis le début de l’année, les éléments qui portent la future rémunération baissent donc davantage que le nombre d’unités (-1,22 %). Je ne dis pas qu’il ne fallait pas mettre en place ces honoraires, nous étions d’accord sur leur typologie, mais la compensation attendue n’est pas au rendez-vous et c’est bien sur la logique de quantum que nous avons refusé de signer l’avenant 11. »
Le président de la FSPF note par ailleurs que les médicaments nouveaux et chers arrivés en 2018 ont apporté un chiffre d’affaires de 430 millions d’euros. Celui de l’officine s’affichant à 240 millions d’euros, cela signifie qu’en l’absence de ces molécules, le chiffre d’affaires officinal serait de -200 millions d’euros. « Je me félicite de l’arrivée de ces molécules en officine, qui simplifie le parcours du patient et permet au pharmacien d’avoir une vision d’ensemble des traitements. Mais vu l’impact de ces médicaments, nous porterons une attention particulière au futur arrêté de marge à paraître et à la dernière tranche qui concerne les médicaments chers. Nous serons aussi attentifs au fait que seulement 57 % des pharmacies ont vendu une boîte de ces médicaments. » Philippe Gaertner en profite par ailleurs pour demander la parution en urgence du nouvel arrêté de marge pour éviter les « rejets de dossier par les caisses » comme c’est arrivé en début d’année 2018 : « J’en appelle à la responsabilité du ministère ! »
* Sur ce thème, voir également notre dossier page 48.
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