Un entretien avec le Pr Jean-Marc Sabaté

Comment soigner les colères intestines

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Publié le 25/06/2018
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Auteur d’« Intestin irritable, les raisons de la colère », le Pr Jean-Marc Sabaté milite depuis de longues années pour la reconnaissance du syndrome de l'intestin irritable (SII). Une pathologie encore mal connue qui affecte pourtant près de 5 % de la population en France. Au-delà des rappels sur la physiopathologie du SII, le gastro-entérologue explique au « Quotidien » comment et pourquoi le pharmacien peut contribuer, en mots et en conseils, à la prise en charge des patients qui en souffrent.
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Crédit photo : DR

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Le Quotidien du pharmacien. - Comment pourrait-on définir en quelques mots le syndrome de l'intestin irritable (SII) ?

Pr Jean-Marc Sabaté .- La définition du SII a changé en 2016. Aujourd'hui, on peut le définir comme l'association de douleurs abdominales et de troubles du transit (constipation, diarrhée ou alternance des deux) installée depuis au moins six mois. Même s'ils ne font pas partie de la définition, les ballonnements y sont très souvent associés.

Quelles en sont les principales causes ?

Les causes sont multiples. Mais la plupart du temps, les patients qui en souffrent n'ont pas le souvenir de l'installation franche de la pathologie et d'un basculement très net de la vie sans maladie à celle avec la maladie. Les signes sont souvent apparus progressivement. Pour un quart à un cinquième des patients, il y a eu au contraire un évènement aigu qui peut être un syndrome post-infectieux, une chirurgie digestive ou encore un stress post-traumatique. Si on ne peut pas parler véritablement de cause, tels sont en tout cas les différents modes d'entrée dans la maladie. La plupart de ces mécanismes sont intriqués, sachant qu'il en existe des périphériques et des centraux. Les premiers sont des anomalies de la motricité - trop ou pas assez de contractions au niveau du tube digestif -, une micro-inflammation, des anomalies de la perméabilité de la paroi intestinale, une dysbiose, des anomalies du métabolisme des acides biliaires… Quant aux mécanismes dits centraux, ils sont essentiellement représentés par l'hypersensibilité viscérale, présente chez deux tiers des patients, des anomalies de contrôle de la douleur, et les facteurs psycho-sociaux comme le stress, l'anxiété ou la dépression.

Comment faire la part entre les symptômes relativement bénins du SII et les signes d'une affection plus grave ?

La gravité de la maladie n'est pas constituée par un risque létal. On parle plutôt de sévérité lorsqu'il y a altération de la qualité de vie. On estime que 20 à 25 % des patients souffrent d'une forme sévère du SII. C'est-à-dire des patients dont la qualité de vie est altérée d'une façon comparable à celle de malades de Crohn, d'insuffisants rénaux dialysés ou de patients avec dépression sévère. Ce sont vraiment l'intensité et la fréquence des symptômes qui font la sévérité de la maladie.

Par quels conseils hygiéno-diététiques, le pharmacien peut-il contribuer à la prise en charge du SII ?

Auparavant, les conseils hygiéno-diététiques faisaient partie des seules recommandations, mais sans haut niveau de preuve. Aujourd'hui, il est démontré qu'avoir une certaine activité physique peut diminuer la sévérité de la maladie, ce qui nous invite à recommander aux patients de maintenir un niveau d'activité raisonnable. De même, certains régimes ont démontré leur efficacité, même s'ils sont parfois difficiles à suivre ; par exemple, celui pauvre en FODMAPs*, un peu complexe et parfois lassant pour le patient. Le pharmacien peut questionner sur les habitudes alimentaires, mais je ne sais pas s'il a véritablement le temps d'entrer suffisamment dans le détail pour une prise en charge efficace. Reste un rôle intéressant dans le conseil de compléments alimentaires, notamment les probiotiques dont certains ont fait la preuve de leur efficacité. Sans compter que le comptoir de l'officine permet souvent aux patients d'exposer des plaintes qu'ils n'ont pas eu le temps ou pas osé expliquer à leur médecin.

Du côté des traitements, le conseil officinal peut-il être pertinent ?

Au travers de l'arsenal des médicaments adaptés aux troubles du transit, le pharmacien a toute légitimité à conseiller les patients souffrant de SII. Les compléments alimentaires qui ont fait la preuve de leur efficacité ont également leur place dans ce conseil. À savoir tout de même, concernant les probiotiques, tous ne se valent pas. L'efficacité de l'un n'est pas égale à celle de l'autre.

Vous militez depuis plusieurs années, notamment au sein de l'APSII, pour la reconnaissance du SII comme pathologie à part entière. Le regard sur la maladie a-t-il changé ?

Pour le savoir, il faudrait refaire l'étude que nous avions réalisée en 2015 sur le ressenti des patients. Nous saurions alors si les choses ont évolué. Ce qui a déjà changé, selon moi, pas seulement d'ailleurs grâce au travail de l'association mais au travers de plusieurs livres, c'est le regard sur les troubles du transit et les douleurs abdominales. Le tabou a un peu sauté. Même si les gens ont encore un peu de mal à en parler à leur médecin, dans leur entourage professionnel, voire familial. Ce qui a pu changer, c'est surtout le rapport aux journalistes et aux médias. Ils savent désormais qu'il y a une association vers laquelle ils peuvent se tourner quand ils ont besoin de témoignages ou d'explications. Progressivement, au fil des articles et des parutions de témoignages, la connaissance du public sur la maladie s'améliore. C'est un peu l'objectif de l'APSII que de diffuser l'information. Nous avons par exemple partagé les résultats d'une étude réalisée en France sur l'impact du SII sur la sexualité qui ont montré que l'impact négatif était au moins du même niveau que pour les patients atteints d'une maladie de Crohn. Ce n'est pas cela qui donnera une reconnaissance officielle à la maladie, mais cela contribue à mieux la faire connaître. Il faut savoir que lorsque des personnes sont arrêtées pour cette maladie, il est encore rare que le motif mentionné soit celui de la colopathie. Bien souvent c'est la grippe, voire une dépression qui sont invoquées.

Avez-vous le sentiment que l'affection est désormais mieux traitée ?

Aujourd'hui les experts ont recours à de nombreuses pistes thérapeutiques, parfois même en utilisant des médicaments dont l'indication principale n'est pas la colopathie. En termes de prescription, les généralistes s'aventurent moins, hormis celle assez courante d'antidépresseurs. L'hypnose représente également une piste intéressante qui permet d'améliorer 50 à 60 % des patients qui étaient en échec thérapeutique.

* Régime qui diminue l’apport alimentaire en différents sucres faiblement absorbés et fermentescibles que l’on trouve le plus souvent dans certains fruits ou légumes.

Propos recueillis par Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3447