C’est une vérité difficile à entendre : l’iatrogénie médicamenteuse tue plus que les accidents de la route. Et pourtant, ces erreurs font rarement les gros titres des journaux par rapport aux campagnes de la sécurité routière.
Depuis 2015, le collectif pour le bon usage des médicaments, qui regroupe les acteurs majeurs du secteur, publie des chiffres inquiétants. Chaque année, 10 000 patients décèdent et 130 000 sont hospitalisés à la suite d’erreurs liées à un médicament. Confrontés à cette problématique de santé publique, de nombreux acteurs de santé réagissent. La volonté affichée est de diminuer les erreurs évitables et de sensibiliser les patients.
Le pharmacien, pivot de la prise en charge médicamenteuse, est au centre de ces actions. Derrière le comptoir à l’officine ou dans les unités de soins à l'hôpital, la profession commence à agir en « surfant » sur la vague des nouvelles technologies. Car il faut maintenant l’admettre, le recours aux outils numériques devient un impératif pour pouvoir développer des projets pertinents. Sans les algorithmes informatiques, la gestion de la data devient impossible en santé. L’acte pharmaceutique est probablement au début d’une véritable mutation numérique.
Des expérimentations sur le terrain
Mais avant de révolutionner le métier, des expérimentations sur le terrain sont en cours. Depuis quelques mois, une nouvelle approche du métier de pharmacien clinicien est en phase de test en milieu hospitalier. L’utilisation de l’intelligence artificielle s’invite dans l’activité de validation des ordonnances. Le concept est simple. Il repose sur la détection automatique de situations critiques potentiellement iatrogènes. Derrière ce projet, un nouvel acteur se positionne aux côtés des pharmaciens en proposant une nouvelle approche du métier.
Il s’agit de la société Keenturtle, éditrice du logiciel PharmaClass. Au début de l’histoire, François Versini le fondateur et Johnny Beney pharmacien en Suisse se rencontrent. Ensemble, ils s’attaquent à une montagne : comment détecter des situations à risque pour les prévenir ou les corriger. De cette interrogation naît la solution Pharmaclass. Les premiers résultats obtenus par cette expérimentation sont positifs. L’outil permet une nouvelle approche dans le processus de sécurisation du médicament. La valeur ajoutée du pharmacien est concentrée sur des situations précises nécessitant son expertise. Une nouvelle approche du métier est en train de voir le jour. Les premières communications apparaissent dans les congrès attirant la curiosité de la profession.
Des pharmaciens conquis
Ainsi, cette expérience a séduit depuis quelques mois des pharmaciens français. L’outil équipe aujourd’hui plusieurs centres hospitaliers du Nord de la France. La mise en place de ces phases d’expérimentation est rendue possible grâce à un soutien financier institutionnel. C’est l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018 qui soutient l'accompagnement de projet innovant en santé. Le tout est coordonné au niveau territorial par les agences régionales de santé.
Après plusieurs mois d’utilisation, les pharmaciens hospitaliers semblent conquis par ce nouveau concept. Les premiers résultats valident l’aide apportée par la technologie dans la détection des situations à risque. Les algorithmes, paramétrés par chaque utilisateur, recherchent dans l’ensemble du dossier patient les risques potentiels. Le pharmacien est prévenu des cas « problématiques ». Il gère alors ces situations potentiellement dangereuses pour le patient.
L’humain garde la maîtrise de l’outil
Mais comment ces simples algorithmes peuvent-ils être plus performants qu’un pharmacien ? La réponse est simple : cette intelligence artificielle possède des capacités d’analyse des données hors norme. Après programmation, le système est en mesure de détecter des signaux définis par le professionnel. L’humain garde néanmoins la maîtrise de l’outil. L’utilisateur de l’outil PharmaClass doit définir lui-même des règles. Cette liste d’actions sert ensuite d’outil de travail de l’algorithme. Par exemple, le pharmacien peut décider de cibler une population particulière associée à une classe médicamenteuse. Une autre possibilité de paramétrage consiste à croiser les données biologiques avec certains médicaments. Le choix de ces règles est infini et repose sur le souhait de l’utilisateur en fonction de sa pratique professionnelle.
Alors bien évidemment, cette approche de travail n’est pas nouvelle dans notre métier. Le pharmacien effectue déjà ce travail d’investigation avec les éléments à sa disposition. Mais, la vraie évolution se situe au niveau du gain de temps réalisé et de la pertinence des interventions pharmaceutiques réalisées. C’est le système qui effectue le travail de recherche et de regroupement des données pour fournir au pharmacien tous les éléments nécessaires à son intervention.
Plusieurs mois de développement
Mais avant de pouvoir profiter de cette nouvelle technologie, le futur utilisateur doit résoudre certaines contraintes. Tout d’abord, la phase de paramétrage mobilise des ressources importantes. Les témoignages des pharmaciens testeurs vont tous dans le même sens. Il y a un gros travail en amont à effectuer en coordination avec d’autres professionnels notamment sur les systèmes informatiques. De plus, les algorithmes doivent avoir accès à l’ensemble des données médicales du patient. Ce point suppose un dossier partagé complet. Un développement de plusieurs mois est souvent nécessaire.
Ensuite, la définition des règles est une étape cruciale car elle conditionne l'utilisation future de la technologie. Le choix de l’éditeur de PharmaClass est de laisser l'utilisateur libre de ce paramétrage. Enfin, le dernier point à prendre en compte est le coût financier de cette technologie. Actuellement, les établissements en phase de test bénéficient de subventions. Un nouveau modèle économique est probablement à mettre en place au regard des économies de santé réalisées par la prévention des situations dangereuses.
L’iatrogénie médicamenteuse est un vrai problème de santé publique. Le pharmacien va avoir à sa disposition dans les années à venir des outils pour lutter contre ces accidents. L’intelligence artificielle aidera le professionnel dans ses prises de décision. Celui-ci pourra ainsi définir les situations pour lesquelles il souhaite reprendre les commandes et piloter l’acte pharmaceutique. C'est une véritable révolution numérique que la profession s’apprête à découvrir.
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