Le paracétamol reste l’antalgique et l’antipyrétique de choix partout dans le monde. En France, la place qu’il occupe est suffisamment particulière pour provoquer des dissensions au sein de la profession, du grand public et des politiques. Ces dernières années, son nom n’a cessé de revenir sur le tapis.
Fin 2013, la question d’inscrire le paracétamol au répertoire des génériques est évoquée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), elle-même incitée à cette inscription par la Haute Autorité de la concurrence qui s’étonne de la particularité conférée à la molécule en France.
Produite depuis les années 1950, elle n’est plus protégée par brevet et des génériques existent depuis une bonne dizaine d’années. Mais la substitution n’est pas autorisée par le pharmacien dans l’hexagone alors qu’elle l’est partout ailleurs en Europe. La réaction des deux principaux producteurs ne se fait pas attendre.
Une telle décision politique signerait plusieurs centaines de licenciements dans les usines françaises et la fin du paracétamol made in France. Le directeur général de Sanofi de l’époque, Chris Viebacher, prévenait alors qu’il ferait face à la concurrence des génériques grâce à sa propre filiale générique, Zentiva, en important le paracétamol d’Inde…
La menace sur les emplois a été parfaitement relayée par les salariés et les politiques qui ont pris fait et cause contre la substitution. Le président France de Sanofi, Christian Lajoux, envisageait même, début 2014, de demander le déremboursement, alors que le Doliprane figure au top 5 des médicaments les plus remboursés par la Sécurité Sociale. « Le paracétamol n’est pas remboursé dans les autres pays européens. Devant une situation fermée, ce serait la moins mauvaise des solutions », affirmait-il.
Alignement des prix
L’arbitrage a finalement eu lieu au sommet de l’État, qui abandonne l’inscription au répertoire des génériques en échange d’un alignement des prix entre princeps et génériques. Le 2 janvier 2015, Dafalgan, Doliprane et Efferalgan 1 g et 500 mg sont donc passés à 1,94 euro (1,12 euro TTC + 0,82 euro d’honoraire de dispensation).
Avec les 50 jours d’écoulement des stocks, ce nouveau prix s’est appliqué au 21 février 2015. Idem pour la 2e baisse de prix, négociée au 10 novembre, effective au 30 décembre : 1,08 euro TTC + 0,82 euro d’honoraire de dispensation, soit 1,90 euro jusqu’au 31 décembre 2015, puisqu’au 1er janvier 2016, l’honoraire de dispensation a été revalorisé à 1,02 euro… Soit un coût public total de 2,10 euros.
Pour Isabelle Van Rycke, directrice des opérations santé grand public de Sanofi France, les négociations ayant abouti au prix unique du paracétamol remboursable ont permis de « suspendre le débat ouvert sur la création d’un groupe répertoire générique du paracétamol ». « Suspendre » est le bon terme, le gouvernement ayant laissé entendre qu’il souhaitait donner le temps aux industriels produisant en France de s’adapter à une future généralisation des génériques.
Autre sujet d’anxiété pour les confrères : les grands conditionnements. « Les autorités de santé s’interrogent sur le bien-fondé d’une telle décision et notamment sur le risque sanitaire potentiel d’une mise à disposition de conditionnements contenant plus de 8 g de paracétamol. Aucune décision n’a encore été prise, il ne s’agit que d’un projet. Sanofi se conformera aux décisions prises par les autorités le cas échéant, mais n’a jamais pris position en faveur des grands conditionnements », explique Isabelle Van Rycke.
Pourtant Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) affirme le contraire. Les voix sont discordantes sur le sujet, personne ne souhaitant endosser la responsabilité d’une telle idée. « Rien ne va changer en 2016 mais il faut se tenir prêt si les autorités sanitaires décidaient de revoir leur position », souligne Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). C’est-à-dire prêt à anticiper pour augmenter l’honoraire de dispensation car la négociation conventionnelle repose sur la dispensation d’un certain nombre de boîtes.
Au-delà du danger économique pour les officines, se pose la question de la protection de la santé publique si le boîtage passait à 32, voire à 48 unités. En 1998, la Grande-Bretagne a contraint les industriels à proposer des conditionnements de paracétamol plus petits : 32 comprimés en pharmacies, 16 en parapharmacie. Dix ans après cette modification, les autorités sanitaires britanniques ont constaté une baisse de la mortalité due à l’overdose intentionnelle ou accidentelle de paracétamol de 43 %, et une réduction significative du nombre de greffes de foie faisant suite à une intoxication au paracétamol.
Des gammes OTC
Pour faire face aux lendemains difficiles, aussi bien BMS que Sanofi ont imaginé le lancement d’une véritable gamme d’automédication dite OTC. Historiquement présents sur ce segment de la médication officinale, les deux laboratoires ont peu à peu renforcé ce positionnement. Chez UPSA, on rappelle ainsi le choix de développer Efferalgan Odis en 2001, EfferalganTab en 2011 et trois références d’Efferalgan granulés aromatisés en mai 2015.
C’est le moment choisi par BMS pour rhabiller sa gamme de paracétamol vignetté sous le nom d’Efferalgan Med, tandis que les produits non remboursables, EfferalganTab et Efferalgan Odis, laissent leur nom de baptême pour devenir Efferalgan tout court*. La marque Dafalgan est davantage tournée vers la prescription. Chez Sanofi, la gamme OTC est totalement révisée au 1er octobre dernier et compte 8 spécialités**.
En y ajoutant les références vignettées, Sanofi et UPSA trustent largement le marché du paracétamol. On compte pourtant une quarantaine de génériques du paracétamol seul et d’autres spécialités à la même composition telles que Claradol (Bayer), Dolko, (Therabel Lucien) ou Panadol (GSK).
En association, Ixprim (paracétamol + tramadol) des Laboratoires Grünenthal bénéficie d’une belle notoriété et fait face à de nombreux génériques, tout comme les références incluant de la codéine telles que Compragyl (Gifrer Barbezat) ou Klipal Codéine (Pierre Fabre Médicament), voire associant en plus de la caféine, comme Prontalgine (Boehringer Ingelheim) et Migralgine (J & J).
Monopole officinal
« Toutes gammes confondues, UPSA occupe 33 % de parts de marché (du paracétamol) en volume, 11,5 % pour Efferalgan et 21,8 % pour Dafalgan. Concernant la gamme vignettée, UPSA a vendu 154 millions d’unités de Dafalgan et d’EfferalganMed en 2015 », indique le laboratoire. Chez Sanofi, la nouvelle gamme OTC apporte « confort d’usage et praticité d’emploi », affirme Isabelle Van Rycke, grâce à « la variété de formes galéniques et de dosages, de l’enfant à l’adulte, qui permet de choisir la présentation la mieux adaptée à chaque situation ».
Près de 16 000 officines référencent la nouvelle gamme, mais certains confrères s’inquiètent de la refonte des gammes OTC des deux principaux acteurs du paracétamol : ne seraient-ils pas en train de préparer une future autorisation de vente en GMS. « UPSA défend clairement et sans ambiguïté le monopole officinal, affirme son porte-parole. Toutes ses références sont destinées à être commercialisées en officines et à contribuer à leur avenir. Le pharmacien reste pour UPSA indispensable au bon usage du médicament, et du paracétamol en particulier. » Même réponse chez Sanofi pour qui il ne s’agit ni « d’une invitation à l’autoconsommation, ni d’une stratégie de banalisation progressive du médicament ».
Aux yeux du Pr Jérôme Peigné, spécialiste du droit de la santé, le développement de la gamme OTC, en exploitant « une marque qui possède une certaine renommée est la conséquence logique de l’apparition de la concurrence de médicaments génériques ».
Ce qui ne l’inquiète pas outre mesure. « Médicaments génériques, médicaments de marque, médicaments OTC ou médicaments de médication officinale : cela reste des médicaments. Sauf exceptions très ponctuelles prévues par le Code de la santé publique, ils relèvent du monopole exclusif des pharmaciens. Que des pressions existent pour ouvrir ce monopole à certains acteurs et pour certains produits est une chose. Qu’elles se concrétisent en est une autre. À l’heure actuelle, il ne semble pas qu’une majorité (de droite comme de gauche) ait pour projet d’autoriser la vente de certains médicaments en grande surface. Ni la loi HPST de juillet 2009, ni la loi Santé du 26 janvier 2016 n’ont abordé le point de savoir s’il fallait remettre en cause le monopole des pharmaciens. »
**La gamme comprend Doliprane Tabs 1 g et 500 mg, Doliprane Caps 1 g en gélule, Doliprane Orodoz 500 mg, Doliprane Vitamine C 500 mg/150 mg, Doliprane Codéine 400 mg/20 mg et Doliprane Liquiz 200 mg et 300 mg.
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