Un signe d’alerte n’a pas échappé aux experts-comptables. Après une embellie en 2017, la marge brute, composée de la marge commerciale, des honoraires, des coopérations commerciales et des nouvelles rémunérations, voit sa progression se tasser. Le taux de croissance perd du terrain et 0,40 point en moyenne.
Ainsi, ce qui constitue la rémunération officinale, n’augmente que 0,63 % chez CGP, de 0,57 % chez Fiducial et de 1,20 % chez KPMG. En valeur cela se traduit par une marge brute de 548 400 euros (KPMG), 492 100 euros (chez Fiducial) et 582 600 euros (chez CGP). Pour l’officine, le gain supplémentaire entre 2017 et 2018 n’aura été finalement que de 4 300 euros en moyenne. C’est dire si cette progression toute relative de la marge brute temporise, sinon annule, les éléments positifs relevés à l’étude du chiffre d’affaires. En tout état de cause, constate Joël Vellozzi, expert-comptable responsable des professions de santé chez KPMG, « en 2018, la marge brute a moins progressé que le chiffre d’affaires ».
Cette tendance est à prendre d’autant plus au sérieux que la marge brute est « ce qui marque la performance de l’officine », comme le rappelle Joël Vellozzi, ajoutant qu’en ce qui concerne son cabinet, 46 % des officines subissent un recul de leur marge brute. Le ratio chiffre d’affaires/marge brute confirme cette érosion. Les trois cabinets notent un infléchissement de ce taux. Il se situe désormais dans une fourchette de 31,37 % à 32 % contre 31,74 % à 32,40 % un an auparavant. Certes, souligne Joël Vellozzi, ce taux de marge « n’est en rien un indicateur de performance de la pharmacie, mais cet élément ne sert pas moins au titulaire pour se benchmarker ».
Un effet « générique » redouté
Un autre constat fait l’unanimité chez les experts-comptables, les pharmacies rurales sont les seules à produire un ratio chiffre d’affaires/marge brute supérieur à la moyenne. Certes, cette observation ne doit pas occulter les autres difficultés rencontrées par ces officines, mais il démontre a contrario combien le poids des charges (loyers…) pèse sur les autres pharmacies, urbaines ou situées en centres commerciaux.
Un autre élément d’analyse mérite qu’on s’y attarde : l’évolution de la marge par segment d’activité. Premier indice, comme le révèle Joël Vellozzi, la progression de la marge en valeur sur le médicament remboursable a été particulièrement faible en 2018. Composée de quatre éléments, la MDL, les honoraires de dispensation, la ROSP ainsi que les remises, ristournes et coopérations commerciales, la marge n’évolue plus que de 0,6 % dans les pharmacies suivies par son cabinet. « Elle est quasiment étale, disons clairement les choses », constate l’expert-comptable. Il voit un facteur principal à ce phénomène : la diminution des effets de remise sur le générique.
Raison de plus dans ces conditions pour s’inquiéter des conséquences redoutées par l’application au 1er janvier 2020, de l’article 66 à la loi de financement de la Sécurité sociale. Un dispositif destiné à promouvoir le générique, mais qui selon les prévisions de la profession n’aura pour d’autres conséquences qu’un alignement des prix des princeps sur ceux des génériques. En d’autres mots, ce « TFR généralisé » risque de mettre le marché du générique sous cloche.
Philippe Becker s’alarme d’autant plus de ces bruits concernant le générique qu’il constitue la clé de voûte de la marge en valeur du médicament remboursable. « Il ne faudrait pas que le générique baisse, alors que l’économie officinale est soutenue par l’économie du générique », met-il en garde.
Le modèle économique en question
Rien d’étonnant donc que, dans ce contexte, l’excédent brut d’exploitation (EBE) montre lui aussi des signes de faiblesse. Le ratio chiffre d’affaires/EBE* n’avait jamais été aussi faible au cours des quatre dernières années écoulées. Le redressement observé en 2017 aura donc été de courte durée puisqu’à nouveau ce taux plonge à 15,32 % (KPMG), voire à 14,66 % (Fiducial). En valeur, l’EBE est quasi étale dans les officines suivies par ces deux cabinets. Chez les pharmacies clientes de CGP, il s’infléchit même de 3 900 euros, à 278 900 euros.
En tant qu’indicateur essentiel de la santé officinale, l’EBE ne laisse pas d’inquiéter les experts-comptables. Indicateur de rentabilité de l’officine, il est également la ressource qui va permettre de rémunérer le titulaire, rembourser l’emprunt, payer la fiscalité, voire en cas d’excédent, d’abonder la trésorerie. L’EBE peut être considéré comme le nerf de la guerre et son tassement doit interpeller le pharmacien chef d’entreprise. Les experts-comptables voient plusieurs causes à ce tassement. La principale, énonce Joël Lecoeur, président du réseau CGP, est que « l’évolution de la marge n’a pas suffi à compenser la hausse des frais généraux ». Ainsi note-t-il pour les pharmacies de son réseau, une hausse de 2 % des charges externes, principalement en raison des investissements motivés par les nouvelles missions. « Les crédits baux explosent », remarque-t-il. Les frais de personnel, en hausse de 2,86 % chez CGP, repartent eux aussi à la hausse et pour la même raison. « Nous remarquons un surenchérissement des qualifications. De plus en plus de préparateurs sont remplacés par des pharmaciens adjoints pour pouvoir assurer les nouvelles missions », relève l’expert-comptable.
Comme le souligne Philippe Becker, l’évolution de ce poste, qui correspond à 10,8 % du chiffre d’affaires, est à suivre de très près. Car de la capacité de l’officine à absorber ces charges dépendra sa faculté à répondre aux enjeux du métier de demain, axé sur les nouvelles missions. Un modèle économique dont on sait qu’il nécessitera l’embauche de compétences. En effet, insiste l’expert-comptable, « si on veut passer le pas, il va falloir y mettre les moyens ». Ceci d’autant plus que, en tension, le marché de l’emploi suppose des surenchères dans les recrutements de salariés compétents. Par conséquent, les bilans de l’année 2018 mettent d’ores et déjà le doigt sur une faiblesse du réseau officinal. Comme le prédisent les experts-comptables, « toutes les pharmacies ne seront pas en mesure de relever le défi de la mutation du métier ».
*Avant rémunérations des titulaires et cotisations TNS.
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