En 2016, trois campagnes successives ont attaqué le prix jugé excessif de certains médicaments innovants. C’est d’abord un collectif de 110 cancérologues qui lance un appel dans « Le Figaro » au mois de mars, suivi en avril par la Ligue contre le Cancer qui met en ligne une pétition avant de faire campagne, puis en juin Médecins du Monde et sa communication choc. « L’une des seules réponses que nous pouvions apporter à ces accusations d’opacité sur la manière dont est fixé le prix du médicament était d’en rappeler les règles », explique Maurice-Pierre Planel, président du Comité économique des produits de santé (CEPS). « Les critères qui conduisent à la fixation du prix du médicament sont dans la loi. Ils sont principalement trois : le niveau d’ASMR (amélioration du service médical rendu – NDLR), l’utilisation en vie réelle et les comparateurs déjà sur le marché. »
Ces trois critères sont utilisés par la commission de transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) pour rendre un avis qui est transmis au CEPS. « Au CEPS, on s’interdit de discuter le contenu des avis de la commission de transparence », avis qui déterminent le niveau d’ASMR, définissent la population cible et listent les comparateurs. L’absence de comparateur est vécue par le CEPS comme « un obstacle méthodologique majeur parce que notre fonctionnement est fondé sur la comparaison, sur la place dans la stratégie thérapeutique ». Viennent ensuite d’autres critères permettant de gérer le prix du médicament tout au long de sa vie, au premier rang desquels on trouve l’ancienneté. « Avec l’ancienneté, des médicaments concurrents arrivent, une éventuelle réévaluation de la classe thérapeutique est possible par la commission de la transparence, puis vient la perte de brevet et donc l’arrivée de génériques ou de biosimilaires », détaille Maurice-Pierre Planel. Une comparaison avec quatre autres marchés européens (Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie) peut aussi entrer en ligne de compte pour revoir un prix. Car un prix « est vivant » et va « évoluer tout au long de la vie du médicament ».
Accès au marché
La fixation des prix est aussi fondée sur trois grands types d’accords conventionnels : l’accord-cadre avec l’industrie pharmaceutique « qui met en musique la manière dont on va appliquer les différents critères », les conventions-cadre avec chaque laboratoire et les conventions par produit « qui sont une formalisation de la négociation, donc du prix public et éventuellement des remises si elles existent, qu’elles soient liées au volume ou à la performance du produit par exemple ».
Au-delà des critiques sur « l’opacité » qui entoure la fixation du prix, le CEPS est confronté aux doléances des industriels qui estiment que certains critères utilisés sont obsolètes. « Il faut adapter l’accès au marché des produits innovants, ceux qui modifient le paradigme de la prise en charge des patients, pour le rendre plus dynamique, demande Patrick Errard, président du syndicat des entreprises du médicament (LEEM). Ce qui veut dire qu’il faut réformer l’évaluation du médicament, arrêter d’utiliser le SMR (service médical rendu) et l’ASMR qui sont deux systèmes à l’obsolescence programmée pire que les machines à laver. » Car, regrette-t-il, le CEPS se retrouve aujourd’hui à « arbitrer sur des produits a priori innovants, qui ont bénéficié de la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) accélérée (fast track) mais en tant que tels ils sont cotés ASMR 4 par la commission de la transparence ». Il réclame une reprise des discussions sur le sujet en se basant sur la mise en place d’un critère unique d’évaluation comparative des médicaments, la valeur thérapeutique relative (VTR), proposé par le rapport de Dominique Polton sur l’évaluation des médicaments fin 2015, également appelé indice thérapeutique relatif par la HAS dès 2013. En outre, Patrick Errard revendique l’introduction, dans l’accord-cadre, d’une évaluation dynamique du prix des innovations par le biais de contrat de performance ou de contrat de revoyure permettant de constater l’efficience du médicament en vie réelle.
Les limites du système
Si le CEPS est compétent pour fixer les prix, il ne l’est pas pour proposer une réforme de l’évaluation du médicament. Néanmoins, à titre personnel, Maurice-Pierre Planel note que « le couple ASMR-SMR, qui date de 1999, a atteint sa majorité cette année » et qu’il « n’est pas choquant de se pencher sur un système qui fonctionne depuis 18 ans, pour se demander s’il répond toujours aux enjeux et aux défis auxquels il doit répondre ». Il est d’autant plus intéressé par le sujet que « dans une vie professionnelle antérieure, dit-il, j’avais rédigé une lettre de mission qui a débouché sur ce qu’on appelle communément le rapport Polton, qui propose un certain nombre de scénarios d’évolution des indicateurs thérapeutiques qui pourraient être utilisés pour l’évaluation des médicaments ».
Quant aux autorisations de mise sur le marché (AMM) conditionnelles délivrées par les autorités de manière précoce (fast track), le CEPS reconnaît que « les instances chargées de l’évaluation et du prix ne se sont pas encore adaptées à cette évolution ». Si la situation est encore gérable aujourd’hui, « il va bien falloir qu’on s’adapte », et peut-être plus vite que prévu si le président Trump met à exécution son idée « d’alléger la dimension bureaucratique de la FDA, et donc, en clair, de délivrer des AMM plus rapidement », ce qui pourrait inciter les autres agences du médicament dans le monde à suivre cet exemple. De toute façon, pour Bernard Charles, ex-député-maire de Cahors et consultant du Laboratoire Pierre Fabre, « nous sommes arrivés aux limites du système, il va falloir en trouver un nouveau tout en répondant à ce problème de société qui est : comment payer l’innovation ? »
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