Si, parmi les applications des biotechnologies « bleues », celles qui touchent à la médecine et à la pharmacie sont encore peu nombreuses, elles sont souvent notables et les études en cours sont passionnantes.
Exposés à des conditions de vie particulières, les écosystèmes marins s’organisent en effet différemment et donnent des idées aux chercheurs. Dans des milieux hautement compétitifs, les animaux fixés au fond de la mer développent ainsi des capacités biologiques pour se défendre et préserver leur espace vital. Les métabolites et les médiateurs chimiques qu’ils produisent présentent un grand intérêt dans des domaines relevant de la chimie, en particulier la santé et la cosmétique. Actuellement, plus de 22 000 molécules marines sont à l’étude dont certaines sont déjà prometteuses. Enthousiaste, la navigatrice Maud Fontenoy*, très engagée dans la sauvegarde de l’environnement, voit d’ailleurs dans les océans « la trousse à pharmacie de demain ».
Laitance de hareng, escargot marin, éponge…
Le plus souvent, il ne s’agit pas d’exploiter des ressources mais d’étudier le fonctionnement des innombrables organismes marins pour les mimer ou s’en inspirer pour créer des thérapeutiques innovantes. En fait, les premières avancées en recherche fondamentale remontent à près de 140 ans avec la découverte de la phagocytose et la compréhension de la prolifération des cellules cancéreuses grâce à l’étoile de mer par Élie Metchnikoff, russe naturalisé français, récompensé par un prix Nobel en 1908. Au total, 13 prix Nobel ont été décernés pour des travaux basés sur les organismes aquatiques dans divers domaines, de la maladie d’Alzheimer au cancer. Les applications médicales et pharmaceutiques sont plus récentes.
L’AZT (zidovudine) est le premier médicament véritablement nouveau issu de la mer, plus exactement de la laitance de hareng, et il a fait date. Désormais obtenu par synthèse et longtemps utilisé seul, il reste employé en association dans le traitement du Sida et, depuis quelques années, dans le traitement d’urgence post-exposition au VIH. Depuis, d’autres molécules importantes d’usage hospitalier ont été mises au point à partir d’organismes marins : Prialt (ziconotide) de Kéocyt, un analgésique 1 000 fois plus puissant que la morphine élaboré à partir du venin d’un petit escargot, conus magus, préconisé en situation palliative ; Yondelis (trabectédine) de Pharma Mar, un anticancéreux découvert chez une variété d’ascidies (petits invertébrés des grands fonds), indiqué dans les redoutables sarcomes des tissus mous évolués et les récidives de cancer ovarien ; Adcetris (brentuximab vedotin) de Takeda issu d’un mollusque sans coquille, le lièvre de mer, constituant un progrès thérapeutique dans le lymphome anaplasique à grandes cellules systémique et le lymphome hodgkinien ; Halaven (éribuline) d’Eisai, analogue d’une substance isolée d'une éponge japonaise, indiqué en 2e ligne dans le cancer du sein localement avancé ou métastatique et le liposarcome non résécable.
Vers de vase et de château de sable
Des dizaines de médicaments et dispositifs médicaux novateurs sont attendus ces prochaines années car la recherche bouillonne dans le monde entier. La France, seul pays présent sur tous les océans du globe et doté de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), devrait être une grande pourvoyeuse mais les moyens sont insuffisants…
Un chercheur français a cependant été frappé par les étonnantes propriétés du ver arénicole (ver de vase ou ver noir). Ce petit ver marin est en effet capable de survivre sans respirer pendant au moins 6 heures (à marée basse) grâce à son hémoglobine qui transporte 40 fois plus d’oxygène que le sang humain. De plus, celle-ci est compatible avec tous les groupes sanguins et sa petite taille lui permet de passer dans de très petits vaisseaux, même partiellement obstrués. La start-up bretonne de biotechnologie Hemarina qui l’a étudiée, a recensé plusieurs applications dont l’oxygénation et la préservation des organes entre le prélèvement sur le donneur et la transplantation. En prolongeant la conservation des greffons, la solution Hemo2life devrait diminuer le nombre de rejets de greffe et ouvre de nouvelles possibilités pour les greffes complexes. D’ailleurs, elle a déjà été utilisée par le Dr Laurent Lantiéri (hôpital européen Georges-Pompidou) lors de sa seconde greffe de face et en Inde pour une double greffe des membres supérieurs.
D’autres dispositifs médicaux de réoxygénation sont en cours de développement, notamment après un AVC, sur des plaies difficiles à cicatriser, dans le traitement des parodontites et même dans le syndrome de détresse respiratoire lié au Covid-19. Des vers différents dits « de château de sable », responsables de ces petits monticules de sable et de coquillages que l’on voit sur la plage à marée basse, intéressent aussi les chirurgiens. Ceux-ci sécrètent une colle résistante à l’eau qui se solidifie en quelques secondes, non toxique de surcroît et bien sûr biodégradable. À l’aide de ce modèle, des chercheurs américains ont mis au point une colle qui permet d’éviter le recours aux sutures et de pratiquer des interventions réparatrices fines sur les organes les plus sensibles (reconstruction vasculaire, chirurgie in utero). La moule, qui s’accroche aux rochers grâce à une substance collante résistante à l’eau et composée de protéines, laisse également entrevoir des possibilités pour fixer les prothèses ou éviter des sutures en microchirurgie.
Le potentiel des algues
De nombreuses molécules extraites des algues et microalgues ont déjà été identifiées avec des effets divers : anticoagulant, antibactérien, antitumoral, cytostatique, immunitaire, hypocholestérolémiant… Les fucoïdanes des algues brunes, en particulier, ont un avenir dans la lutte contre les pathologies cardiovasculaires. Elles ciblent en effet des protéines qui se développent à la surface des vaisseaux sanguins lorsqu’ils sont enflammés (pour cause de plaques d’athérome et de thrombus). Une équipe de l’INSERM les a déjà utilisés comme produit de contraste, injecté pendant une scintigraphie pour repérer un caillot, même ancien, ou une inflammation vasculaire et intervenir en prévention de nouveaux problèmes ; des essais cliniques sont en cours. Les fucoïdanes sont aussi testés dans le Covid-19 et la maladie d’Alzheimer. Les algues rouges développent, quant à elles, une molécule, le furane, capable de neutraliser les transmissions d’informations entre bactéries, donc leur regroupement, et même de les disperser.
En fait, tous les organismes vivant dans la mer peuvent fournir des solutions astucieuses pour nous soigner. La fondation Arc, par exemple, soutient un projet de recherche contre le cancer à partir des propriétés de l’huître creuse. Des chercheurs, notamment chez Perha Pharmaceuticals à Roscoff, s’intéressent aux étoiles de mer - déjà utiles en recherche fondamentale pour comprendre la division cellulaire - et travaillent à la mise au point d‘un médicament préventif qui réduirait l’impact des antibiotiques et des chimiothérapies sur les cellules ciliées des oreilles, cause de déficit auditifs. L’INSERM, qui a étudié la capacité du poisson zèbre à reconstituer sa nageoire, cherche à développer des applications dans le domaine de la médecine régénérante, l’arthrose par exemple.
S’inspirant de la structure de la peau des requins où ni les bactéries ni les parasites ne peuvent s’accrocher, une société américaine a développé un revêtement qui empêche les microbes de se fixer. Utilisé en hôpital, il permettrait d’éviter de nombreux décès dus aux infections nosocomiales. D’autres recherches encourageantes portent sur le homard (vieillissement des cellules), les éponges de mer (cancer et virus), l’anémone de mer (obésité et diabète), les phages, virus présents dans les océans (alternative aux antibiotiques) et une bactérie particulière capables de régénérer les tissus (greffes de cartilage, cancer primitif de l’os), les méduses, les coraux, les cônes, les ascidies, etc.
Compléments alimentaires marins
Outre les solutions d’eau de mer en spray nasal ou auriculaire (Sterimar, Marimer, Physiomer), des produits aux propriétés cicatrisantes à base d’alginates issus d’algues brunes (Gaviscon, Algosteril et gamme Coalgan) et des granules homéopathiques comme Calcarea carbonica (coquille d’huître), indiqué surtout dans les troubles ORL et de la croissance, Sepia officinalis (encre desséchée de seiche) dans les troubles gynécologiques ou Ambra grisea (ambre gris du cachalot) dans les états dépressifs, de nombreux compléments alimentaires sont, totalement ou partiellement, d’origine marine. Quelques exemples : Unibiane Iode de Pileje et Seriane Stress de Naturactive contiennent du magnésium marin ; Algovital et Algorelax (Algo Celt), Lithothamne d’Arkopharma sont à base d’algues ; Curdilage, composé de lécithine issue d’œufs de hareng et Magalite, de magnésium marin et d'huile d’eau de foie de morue (Codifra) ; Algo Diet à base d’une algue japonaise (wakamé) et de goémon noir et Skin Care associant collagène marin et microalgues (New Nordic). Différentes gammes de cosmétiques contiennent aussi des principes actifs marins : Algotherm, Aroma Celte, Science et Mer…
* Dans son livre « La mer au secours de la terre ». Éditions. Belin, 2021.
Article précédent
Ordonnances en partance
Article suivant
Les outils pour comprendre mon médicament dans toutes les langues
Le virtuel, pour chasser une peur bien réelle
Comment bien préparer la peau aux agressions climatiques
Un arsenal antipaludique 2022 tous azimuts à redécouvrir
Le voyage qui rend fou
Mélatonine, une précieuse alliée
Comment bien préparer son voyage
Questions de destination
Les indispensables de la trousse de secours du voyageur
Ordonnances en partance
Vingt mille médicaments sous les mers
Les outils pour comprendre mon médicament dans toutes les langues
Dispensation
Sialanar désormais disponible en ville
Contraception orale
Le désogestrel à faible risque de méningiome, mais pas le lévonorgestrel
Pharmacovigilance
La prise d’Ozempic associée à une maladie oculaire irréversible ?
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir