Le Quotidien du pharmacien. - On a tendance parfois à séparer les pharmacies en deux catégories, celles qui choisiraient le camp du commerce et celles qui privilégieraient leur mission de professionnel de santé, est-ce beaucoup trop réducteur ?
Gilles Brault-Scaillet. - On entend souvent en effet, notamment dans les prises de parole des syndicats, cette opposition entre la notion de « pharmacie commerciale » et celle de « pharmacie de santé ». Pour caricaturer, soit on est un bon pharmacien investi dans la santé, soit on est un vil commerçant. J'ai été élu président du collectif national des groupements de pharmacies d'officine (CNGPO), en 2001, parce que j'avais au contraire mis en avant cette double compétence propre aux officinaux : être un bon chef d'entreprise, tout en étant un véritable professionnel de santé. Je tiens à insister sur ce terme de chef d'entreprise, et ce même s'il semble vulgaire aux yeux des dirigeants syndicaux. Qu'on le veuille ou non, c'est une réalité. Aujourd'hui ce qui fait la réussite de notre profession et explique pourquoi elle reste enviée, c'est justement ce triptyque santé/beauté/forme, trois secteurs complémentaires dans lesquels nous avons prouvé notre degré de compétence. Si la parapharmacie est restée en officine par ailleurs, c'est parce que certains pharmaciens ont pris le problème à bras-le-corps. Aujourd'hui, nous savons tous très bien que cette activité est complémentaire et indispensable. À partir de là, arrêtons d'opposer commerce et santé. Il faut cesser de jeter l'opprobre sur des pharmacies qui sont dynamiques. Considérer qu'une « grosse pharmacie » est forcément moins bonne en matière de santé, c'est une erreur totale. Si l'on excepte certains concepts de pharmacies ultra-démesurées, toutes les officines qui sont plutôt plus importantes que les autres, celles qui font plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires, sont capables d'exercer un métier de pharmacien à part entière pour lequel les patients se montrent extrêmement satisfaits parce qu'elles font un travail de qualité. Une qualité qui peut même dépasser celle des pharmacies les plus petites qui, elles, n'ont pas la capacité de développer les services parce qu'elles n'en ont ni le temps, ni les moyens. Globalement, je trouve que ce discours qui consiste à placer les pharmacies dans ces deux camps bien distincts est extrêmement choquant et contre-productif.
Les nouvelles missions attribuées aux pharmaciens se multiplient au fil des années, quel regard portez-vous sur ces évolutions qui modifient considérablement le mode d'exercice du pharmacien ?
En tant que président du CNGPO, j'ai toujours cherché à expliquer à la sphère politique que le pharmacien en avait beaucoup sous le pied, qu'il était capable d'être un professionnel de santé à part entière et qu'il fallait le reconnaître comme tel. Ce qui, il y a quelques années, n'était pas du tout le cas. Aujourd'hui, la pharmacie doit être un véritable lieu de santé. J'ai défendu le pharmacien prescripteur à une époque où les syndicats me traitaient de fous. Ils me disaient que j'allais choquer les médecins. On voit aujourd'hui à quel point ces nouvelles missions ont pris une place importante et je n'estime pas, comme nous pouvons l'entendre parfois, que nous allons trop loin sur ce sujet, bien au contraire. Bien sûr, toutes ces missions ne sont pas adaptées ni faisables par toutes les pharmacies. Il faut évidemment que le rapport entre le temps consacré et l'aspect économique soit équilibré. Mais sur ce point, nous devons nous montrer hyper ambitieux. Il y en a ras-le-bol que certains médecins, notamment, nous considèrent uniquement comme des vendeurs de boîtes. Nous devons continuer dans ce sens-là et pour conserver cette dynamique, j'ai toute confiance dans les jeunes pharmaciens car ils montrent beaucoup d'enthousiasme pour ces nouvelles missions.
Ces nouvelles missions sont également souvent présentées comme un atout pour faire face à la concurrence. Justement, quels sont les concurrents qui vous semblent les plus dangereux pour l'officine dans les années à venir ?
La pharmacie doit être un lieu de performance, tant sur la qualité que sur la gestion économique. Celle-ci doit être irréprochable et efficace afin d'empêcher les concurrents de s'en mêler. Et quand on voit la progression effarante de la vente en ligne, dans tous les domaines, cela est tout particulièrement important. Je vois bien que de plus en plus de clients, les jeunes notamment, viennent de moins en moins acheter en pharmacie parce qu'ils commandent directement sur Internet, pour la simplicité mais aussi parce que cela leur permet de bénéficier de prix plus avantageux. Le vrai danger en termes de concurrence c'est la vente en ligne, bien plus qu'un acteur comme Leclerc, par exemple, qui est aujourd'hui bien ancré dans le paysage, mais ne nous fait pas trop de mal si l'on est objectif. Ma réelle crainte aujourd'hui, c'est l'arrivée sur Internet de grands groupes internationaux qui seraient difficiles à contrer et pourraient même aller jusqu'à capter les ordonnances.
Les pharmacies de petite taille situées dans des territoires ruraux ont parfois du mal à s'adapter aux nouvelles missions mais assurent un rôle essentiel quant au maillage territorial. Quel avenir envisagez-vous pour elles ?
Je ne me fais pas trop de souci pour elles malgré tout car les missions qu'elles assurent sont indispensables. Il faut bien sûr que cela puisse être suffisamment rémunérateur, mais à la campagne on évolue dans un environnement stimulant et il y a encore plus à faire que dans les villes. De plus, je n'ai pas l'impression que les jeunes, qui sont l'avenir de la profession, soient tellement réticents à exercer dans des pharmacies rurales. Cela peur être une vraie opportunité pour eux en matière de potentiel de développement, les prix sont bien sûr moins élevés pour s'installer et ils peuvent évoluer dans un univers très enthousiasmant. Les officines à qui je ne prête pas grand avenir, en revanche, ce sont les établissements de petite surface situés dans les grandes villes. Aujourd'hui, si l'on n’a pas un minimum de surface cela n'a plus de sens. Pour ces dernières, les regroupements sont vraiment à privilégier. Plutôt que de mourir tout seul dans son coin, comme cela arrive à certains, il est bien plus judicieux d'aller à la rencontre de ses confrères et de discuter avec eux pour trouver des solutions. Ce n'est malheureusement pas souvent ce qui se passe et cela mériterait vraiment d'être amélioré.
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