Affaire des DP sans consentement

Quand l'Ordre conteste une décision de l'Ordre

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Publié le 08/09/2016

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L'affaire des dossiers pharmaceutiques (DP) ouverts sans consentement avait fait grand bruit fin 2015. La plainte de deux patientes auprès du Conseil régional de l'Ordre de Centre-Val-de-Loire avait alors été rejetée en première instance. L'appel de cette décision, formé par le président du Conseil central A, Alain Delgutte, au profit des plaignantes, a donné lieu, lundi, à une séance disciplinaire peu ordinaire.

C'est une curieuse ambiance qui règne ce lundi après-midi dans la grande salle du Conseil de l'Ordre national des pharmaciens. Les regards habituellement empreints de droiture et de sévérité sont aujourd'hui plutôt marqués par le doute et la gêne. Il faut dire que l'affaire jugée par l'instance ordinale est sensible à maints égards. D'abord, du fait de la nature de la plainte initiale : l'ouverture supposée de dossier pharmaceutique (DP) sans le consentement des patients. Mais aussi à cause de l'identité du plaignant qui n'est autre que le président du Conseil central A (Titulaires) de l'Ordre.

C'est en novembre 2015 qu'Alain Delgutte avait décidé de faire appel de la décision prise un mois plus tôt par le Conseil régional de l'Ordre de Centre-Val-de-Loire. L'instance avait en effet rejeté la plainte de deux patientes accusant les époux Nicolas, titulaires de la Pharmacie Saint-Hilaire à Nogent le Rotrou (Eure et Loir), d'avoir ouvert un DP en leurs noms sans leur consentement. Tout en admettant que les pharmaciens « n’apportaient pas la preuve du consentement de la patiente », la chambre de discipline régionale avait justifié sa décision au motif que « cette erreur n’était pas constitutive d’une faute justifiant une sanction disciplinaire ». Le CROP avait même condamné les plaignantes à verser la somme de 1 500 euros aux officinaux au titre des frais de justice. Pour Alain Delgutte, ce dernier point ne passe pas, et il décide de demander, en appel, l'annulation de la décision.

Une faute qui relève du pénal

« Je n'ai pas de raison de contester les dires de mes confrères et des plaignantes », commence Alain Delgutte, qui précise la nature de son désaccord sur deux points essentiels ; d'abord concernant l'erreur des pharmaciens présentée dans la décision initiale comme non constitutive d'une faute : « à supposer qu'elle ait été commise, il s'agit selon moi au contraire d'une faute qui peut même relever du pénal », insiste-t-il. Quant aux frais irrepétibles* que les plaignantes doivent verser aux pharmaciens, ils sont trop élevés, juge l'élu. « Si un patient veut porter plainte contre un officinal, cette condamnation, si elle était confirmée, pourrait être de nature à freiner le recours à la justice. »

Pour sa part, le jeune titulaire, Gaël Nicolas, parle peu, mais il parle juste. Et lorsqu'il assure à ses pairs que son officine a été pionnière dans la mise en place du DP, on a du mal à croire qu'il ait usé de l'outil professionnel de façon désordonnée et abusive.

Double délivrance

La parole est la défense. Pour l'avocate de Gaël Nicolas, il y a au moins deux éléments qui plaident la bonne foi de son client : « Contrairement à ce qu'elles soutiennent, le consentement des patientes a bien été obtenu après deux refus. » La preuve ? Outre l'attestation de consentement, les Nicolas remettaient conjointement, et seulement en cas d'ouverture consentie, la brochure d'explication sur le DP fournie par l'Ordre. Or cette brochure, les plaignantes ont clairement reconnu l'avoir reçue. C.Q.F.D. Mais l'argument massue, la défense le garde pour la fin. Évoquant un élément du dossier lu par le rapporteur en début de séance, l'avocate estime que la plainte des patientes a pour origine un incident survenu antérieurement au comptoir de la Pharmacie Saint-Hilaire : le DP d'une des plaignantes avait révélé que celle-ci sollicitait une seconde délivrance d'une prescription d'antibiotiques déjà honorée dans une autre officine. « C'est le refus de cette délivrance de complaisance qui a tout déclenché. »

La tâche des conseillers ordinaux ne sera pas facile. Verdict dans un mois.

* Frais versés à son avocat par la partie qui a gagné son procès, et qui ne sont pas inclus dans les dépens. À la demande de la partie gagnante, ces frais irrépétibles peuvent faire l'objet d'une appréciation du tribunal et s'ajouter aux condamnations principales et aux dépens mis à la charge de la partie perdante.

Didier Doukhan