EN FÉVRIER 2013*, 9 pharmaciens sur 10 se déclaraient hostiles à la vente en ligne des médicaments sans ordonnance, considérant que celle-ci n’était pas sécurisée, ne répondait pas à l’attente des consommateurs et représentait à terme une réelle menace pour le monopole pharmaceutique. Depuis, les choses ont bougé mais tout n’est pas encore clair et définitif. Le projet a déjà été retouché. Initialement, les médicaments à prescription médicale facultative avaient été exclus, mais le Conseil d’État arguant que la décision n’était pas conforme au droit européen, tous les médicaments (à usage humain) délivrés sans ordonnance ont, finalement, été autorisés, soit quelque 4 000 spécialités.
Recours au Conseil d’État.
L’arrêté ministériel relatif aux « Bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique » est paru le 23 juin 2013 au Journal Officiel et entré en vigueur le 12 juillet, mais des textes complémentaires sont prévus et le logo, commun à l’Union européenne, qui doit être affiché clairement sur toutes les pages des sites, manque encore. Surtout, des recours ont été déposés auprès du Conseil d’État dont on attend les réponses… dans 1, 2 ou 3 mois.
Le premier recours provient de 1001pharmacies.com. Pour l’instant, cette plate-forme ne vend que de la parapharmacie en transmettant les commandes auprès d’officines partenaires (moyennant un abonnement mensuel et une commission sur chaque transaction), mais elle compte étendre son activité aux médicaments autorisés, sans être adossée elle-même à une pharmacie « réelle » comme l’exige actuellement la loi. Cette obligation interdit la mutualisation des officines auprès d’un seul site web, or selon son jeune président Cédric O’Neil, ce rapprochement diminuerait les coûts et permettrait d’offrir des prestations techniques de meilleure qualité.
De son côté, une pharmacienne installée à Domène (Isère), dont le site Pharmashopi.com a été agréé et figure par conséquent dans la liste de l’Ordre des Pharmaciens, est partie en guerre contre l’obligation de faire appel à un « hébergeur agréé pour les données de santé » et l’interdiction du référencement payant, des mesures qu’elle juge discriminatoires par rapport aux concurrents de l’Union européenne, beaucoup plus visibles sur le net.
Ajoutez à ces freins l’affaire des sites piratés de cet été par une société russe pour vendre des contrefaçons à très bas prix et la centaine de faux sites repérés récemment… Pas étonnant que les pharmaciens français ne se précipitent pas pour tenter l’expérience.
Les Bonnes pratiques.
En attendant les derniers textes et les réponses du Conseil d’État, un examen attentif de l’arrêté ministériel du 20 juin dernier, mais aussi du site officiel de l’administration française (www.service-public.fr), s’impose. Le point sur les conditions à respecter :
- Autorisation :
Avant de créer un site, le pharmacien doit demander l’autorisation de l’ARS dont il dépend. L’absence de réponse dans les 2 mois vaut acceptation. Le pharmacien est ensuite tenu, dans les 15 jours, d’en informer l’Ordre national des Pharmaciens.
- Identification du site et de l’officine :
Le site doit comporter a minima : l’adresse de l’officine ; les nom et prénom et le numéro RPPS du ou des pharmaciens responsables ; l’adresse du courrier électronique : le n° de téléphone et de télécopie ; la dénomination sociale et les coordonnées de l’hébergeur du site ; le nom et l’adresse de l’ARS territorialement compétente.
- Obligations du pharmacien :
Le site étant le prolongement d’une pharmacie « physique », le pharmacien est soumis aux règles déontologiques et professionnelles inscrites dans le Code de la santé publique, telles que l’indépendance professionnelle, le secret professionnel, l’absence de diagnostic, etc.
- Interdictions :
Les liens hypertextes vers des sites d’entreprises pharmaceutiques. Les forums de discussion. La sous-traitance à un tiers de tout ou partie de l’activité de vente par internet, à l’exception de la conception et de la maintenance techniques. Et la recherche de référencement dans les moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération.
- Présentation des médicaments :
Le site doit comporter un onglet spécifique à la vente de médicaments, distinct des éventuels autres produits. Les médicaments doivent être présentés « de façon objective, claire et non trompeuse ». Seuls les éléments suivants doivent figurer : dénomination de fantaisie ou commune ; indication(s) thérapeutique(s) de l’AMM ; forme galénique et nombre d’unités de prise ; mention spéciale indiquant que les informations relatives aux précautions d’emploi et la posologie sont détaillées par la notice du médicament (disponible en format PDF et imprimable) ; lien hypertexte vers le RCP du médicament ; photos du conditionnement des médicaments tels qu’ils sont proposés en officine, toutes de la même taille et présentées « de manière claire et non ambiguë » ; classement par catégorie générale d’indication (fièvre, nausées, toux…) et par ordre alphabétique au sein de la catégorie « sans artifice de mise en valeur » ; et prix affiché de manière identique pour tous les médicaments, avec indication sans frais de livraison. À noter : contrairement à ce qui avait été décidé au départ, les prix ne doivent pas être nécessairement les mêmes que ceux pratiqués à l’officine du pharmacien.
- Conseil et échange interactif :
Le site doit comporter un formulaire à remplir par le patient lors de son inscription (âge, poids, sexe, traitements en cours, antécédents allergiques, grossesse ou allaitement). Aucun médicament ne peut être délivré sans que ce questionnaire soit rempli et son actualisation doit être proposée à chaque commande. Le e-pharmacien est aussi tenu d’informer et de conseiller le patient, ce qui implique l’utilisation de moyens sécurisés propres à préserver la confidentialité, un échange interactif (par e-mail ou boîte de dialogue en ligne). Dans l’intérêt de la santé du patient, le pharmacien peut refuser de dispenser le médicament.
- Commande :
Le pharmacien ne peut exiger ou suggérer une quantité minimale d’achat. La quantité de médicaments ne peut dépasser un mois de traitement à la posologie usuelle ou la quantité maximale nécessaire pour traiter un épisode aigu. La commande doit être préparée « au sein de l’officine » dans un espace adapté à cet effet. Elle est assurée et contrôlée par le pharmacien et celui-ci est responsable de sa livraison. Le patient a aussi la possibilité de se déplacer à l’officine pour récupérer sa commande.
Le coût, un frein.
L’aspect financier entre bien évidemment en compte dans la décision de se lancer ou pas dans la vente en ligne de médicaments. « C’est 5 000 euros minimum pour la création du site, mais si l’on veut un site plus étoffé, ça peut monter à 20 000 ou 25 000 euros. Et il faut ajouter les frais de fonctionnement et de personnel », explique Thibault Wuhrlin, fondateur du site pharmanco.com de ses parents, pharmaciens à Paris. « Monter un site de vente de chaussures par exemple, c’est simple et rapide, un site de vente de médicaments c’est tout autre chose. Les contraintes sont très nombreuses. Une personne ou une société spécialisée dans le e-commerce ne suffit pas, il faut aussi un professionnel de santé qui encadre et donne ses exigences, sinon c’est l’échec garanti ». Même réflexion chez Cyril Tétart, pharmacien à Villeneuve-d’Ascq (Nord) qui a ouvert son site de vente en ligne (lasante.net) en novembre 2012 (3 jours après le tout premier, pharma-gdd.com de Philippe Lailler à Caen). « Aujourd’hui, avec le texte légal c’est plus facile, mais le cahier des charges est lourd, avec 70 points limitatifs dont l’obligation d’avoir un hébergeur agréé pour les données de santé. C’est 4 fois plus coûteux (jusqu’à 1 000 euros par mois). Et la personne qui doit s’occuper des commandes doit être obligatoirement un pharmacien, ce qui n’est pas toujours le cas au comptoir ! C’est donc lourd et cher, or les prix de vente sur le net doivent être bas. Pour être rentable, il faut que le site soit très visité, c’est-à-dire connu et bien référencé… ». Il faut donc bien savoir ce que l’on veut au départ : offrir un service (non rentable) comme Frédéric Schneider à Colmar (pharmacie-du-soleil.com) qui a toujours aimé l’informatique et y trouve une satisfaction personnelle, sans investir trop car les marges sont faibles. Ou bien viser une augmentation du volume des ventes, moyennant un coût important… et beaucoup de travail.
La solution des groupements ?
Il suffit de jeter un œil sur quelques sites autorisés pour noter des différences. Les uns sont peu fournis, peu visibles sur le net et tournent donc au ralenti, les autres, plus « professionnels », présentent beaucoup de médicaments, à des prix plus compétitifs, et sont bien référencés. Pour réduire les coûts et faciliter la tâche, les plateformes et les groupements représentent une solution mais les premières, non adossées à une pharmacie « réelle », rappelons-le, ne sont pas autorisées, et les groupements ne réagissent pas tous de la même manière. Giphar, par exemple, estimant qu’il faut répondre rapidement à la demande de la clientèle et ne pas laisser la place à des discounters, teste un système (mise à disposition d’un site d’officine, catalogue de produits, assistance technique et juridique…) qui sera proposé à ses adhérents début 2014. En même temps, le groupement souhaite apporter un service facilement accessible aux clients quel que soit l’écran utilisé (PC, tablette, smartphone). De son côté, PHR a lancé en mai son portail en ligne de médicaments web-to-store (mapharmacieservices.com) : l’internaute commande en ligne mais doit retirer et régler ses médicaments dans l’officine de son choix. 250 officines bénéficient aujourd’hui de ce site marchand et le catalogue va s’étendre, mais le groupement ne prévoit pas de vente directe en ligne. Pour lui, seul le passage par la pharmacie peut garantir l’origine des médicaments et assurer leur bon usage.
À l’inverse, Univers Santé n’a pas attendu pour lancer le site universpharmacie.fr. Avec une particularité : les commandes sont gérées depuis Colmar (la maison mère), envoyées aux pharmacies relais où le patient récupérera ses médicaments - Univers Santé est alors rémunéré comme logisticien -, ou directement au domicile. Les avantages, selon Daniel Buchinger, son président : c’est la première pharmacie en ligne sécurisée grâce à un « vrai hébergeur santé » dont l’investissement ne pèse pas sur les pharmacies adhérentes.
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