L’ABC physiologique du vieillissement
Les modifications observées au cours du vieillissement dit normal sont très nombreuses. Toutes n’ont pas d’influences majeures sur l’effet des médicaments et/ou les effets iatrogènes. Elles sont le plus souvent d’ordre pharmacocinétique.
- Le vieillissement influence peu l’absorption digestive des médicaments. En revanche, les autres voies d’administration (transcutanée, buccale, rectale) sont sujettes à de grandes variations interindividuelles en ce qui concerne la vitesse d’absorption ou la quantité absorbée.
- Le volume de distribution des médicaments est modifié par le vieillissement, qui est associé à des modifications significatives de la composition de l’organisme, avec une baisse de la masse maigre, une augmentation de la masse grasse et une réduction de l’eau totale.
Cela entraîne pour les médicaments liposolubles (ex : diazépam, amiodarone, propranolol, antidépresseurs tricycliques…) un risque de sous-dosage du fait d’une augmentation du volume de distribution, ainsi que la possibilité d’un relargage tardif lié à un effet de stockage, et des effets potentiels inverses (risque de surdosage) pour les médicaments hydrosolubles (digoxine, aspirine, aténolol…).
- De nombreux médicaments étant transportés par les protéines plasmatiques, la principale étant l’albumine, il existe un risque d’augmentation de la fraction libre des médicaments à forte liaison protéique en cas de dénutrition sévère (albuminémie inférieure à 30 g/l) ; c’est notamment le cas pour les sulfamides hypoglycémiants et les antivitamine K.
- La clairance hépatique étant diminuée avec l’avancée en âge, il en est de même de l’effet de premier passage hépatique, avec des conséquences possibles différentes selon que les métabolites produits sont actifs ou inactifs. C’est ainsi que certains bêtabloquants et le vérapamil ont leur biodisponibilité augmentée, tandis, qu’à l’inverse, des prodrogues comme des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine voient leurs effets diminués.
Dans un autre ordre d’idée, il faut avoir présent à l’esprit le rôle très important joué dans le métabolisme hépatique par les cytochromes P450 et que l’activité de ces derniers est susceptible d’être diminuée chez le sujet âgé. Quoi qu’il en soit, il faut bien reconnaître qu’actuellement les conséquences sur l’effet des médicaments du vieillissement du foie sont encore difficilement prévisibles chez un patient donné (malheureusement, il n’existe pas encore de paramètre biologique ou clinique évaluant le degré d’insuffisance hépatique qui soit corrélé à la clairance hépatique des médicaments et pas de règle générale permettant d’adapter la posologie en cas d’insuffisance hépatique).
- La diminution de la fonction rénale avec le vieillissement (diminution du nombre de néphrons et du débit sanguin rénal) doit être prise en compte en raison du risque d’accumulation des médicaments à élimination rénale majoritaire, comme les héparines de bas poids moléculaire, les anticoagulants oraux directs, certains diurétiques, les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les morphiniques…
Iatrogénies les plus fréquentes
10 à 20 % des hospitalisations chez les personnes âgées seraient liées à un accident iatrogène. Les médicaments cardiovasculaires et les psychotropes sont incriminés dans près de 2 cas sur 3. Les conséquences peuvent être graves, surtout bien entendu chez les personnes fragiles : hypotension orthostatique et chute traumatisante, diurétiques et déshydratation… Attention aussi au syndrome de sevrage en cas d’arrêt brutal d’un psychotrope.
Faut-il toujours réduire la posologie chez le sujet âgé ?
Pas obligatoirement, car cela risquerait de priver la personne âgée d’un traitement efficace. Tout est affaire de cas d’espèce.
En effet, une prescription insuffisante est un risque « sournois », pouvant entraîner une perte de chance pour le patient.
En pratique, comment prendre en compte l’état rénal ?
- Sans adaptation de la posologie, la diminution de l’élimination conduit à un allongement de la demi-vie d’élimination et à une augmentation des concentrations plasmatiques. À l’équilibre, un doublement de la demi-vie plasmatique entraîne un doublement de la concentration plasmatique. Rappelons à ce sujet que la créatininémie ne suffit pas pour évaluer le degré d’insuffisance rénale et qu’il faut aussi calculer la clairance de la créatinine.
- Trois équations sont utilisables : la formule de Cockroft et Gault, la formule MDRD (modification of the diet in renal disease) et celle dite CKD-EPI (Chronic kidney disease – epidemiology collaboration), pour lesquelles des calculatrices en ligne sont facilement accessibles sur Internet ou sur des applications pour smartphone.
Cela étant, aucune de ces formules n’est validée pour les patients âgés de plus de 75 ans, mais la Haute Autorité de Santé conseille d’utiliser préférentiellement la formule CKD – EPI pour l’évaluation du débit de filtration glomérulaire dans la pathologie rénale chronique, et celle de Cockroft et Gault pour évaluer le risque iatrogène et effectuer une éventuelle adaptation posologique (cela s’explique par le fait que cette dernière est très largement utilisée lors des essais cliniques).
- Face à un médicament préférentiellement éliminé par voie rénale (c’est, notamment, le cas de la plupart des antibiotiques), deux possibilités s’offrent : diminuer la posologie, surtout pour les molécules à demi-vie courte, ou espacer les prises, surtout pour les molécules à demi-vie longue.
- En pratique, le problème est généralement pris en compte lorsque la clairance à la créatinine devient inférieure à 50 ml/mn.
Si le médicament est éliminé exclusivement par le rein, on peut réduire la quantité administrée de manière proportionnelle à l’insuffisance rénale (dans ce schéma, une réduction de 50 % de la fonction rénale conduit à une diminution de moitié des doses, ou éventuellement, à un doublement des intervalles de prise).
En cas d’élimination rénale partielle, on peut soit trouver l’information dans les monographies du Vidal, soit utiliser un nomogramme (comme celui de Dettli par exemple). L’adaptation de la posologie doit aussi tenir compte de la présence de métabolites actifs ou toxiques éliminés par le rein.
Enfin, en cas d’index thérapeutique étroit, cette dernière peut être parfois guidée par des dosages de concentrations plasmatiques du médicament (et/ou de ses métabolites actifs), si les taux thérapeutiques sont connus.
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