LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Quels sont les principaux déterminants psychosociaux de l’observance des traitements ?
DENIS FOMPEYRINE.- Ils sont nombreux et leur énumération mérite un découpage. Il y a en effet plusieurs aspects : la motivation, l’aspect culturel, la relation à la maladie… Pour en avoir une idée plus synthétique, on pourrait résumer ces différentes approches sous la forme d’un schéma qui propose une lecture de l’observance sous au moins trois dimensions : la dimension psychologique, la dimension médicale et la dimension relationnelle. À mon sens, l’observance est l’une des conséquences de la bonne expérience du patient. L’expérience patient est vraiment au centre de mes travaux. Elle consiste à comprendre quels sont les mécanismes émotionnels et à cerner les circonstances qui sont à l’origine des moments difficiles, des moments clés dans la relation du patient à sa maladie et à ses traitements. La finalité étant d’essayer de modéliser ces situations sans catégoriser. J’essaie de ne pas en rester à une approche comportementaliste. Le principe, qui revient à catégoriser les patients, n’est pas mauvais, mais s’il est appliqué de façon trop dogmatique, cela ne fonctionne pas. Pour comprendre les déterminants psychologiques de l’observance, l’alternative consiste à vraiment se mettre à la place du patient. En pratique, et c’est ce que nous avons fait récemment dans le cadre d’une étude au sein de l’Assistance publique, nous laissons parler les gens librement pour recueillir du verbatim, sans les orienter vers une question ou vers une autre ; sans leur demander : est-ce que c’est la prise du médicament qui est compliquée, est-ce que c’est sa forme galénique qui pose problème, etc ? La démarche que j’ai entreprise, dans les pas du Pr Gérard Reach, est une démarche holistique. À partir du matériel recueilli au cours de ces entretiens ouverts et libres, l’analyse permet ensuite de définir les points sur lesquels les patients ont des efforts à faire pour améliorer l’observance. Avec cette méthode on a par exemple découvert qu’à l’hôpital, les patients avaient des stratégies relationnelles avec les soignants pour obtenir d’être mieux soignés. On peut d’ailleurs imaginer qu’il en va de même en ville.
Ce que nous apprennent ces travaux, c’est qu’au cœur de l’expérience du patient il y a des dimensions différentes qui sont propres à chaque pathologie. Moralement, on a l’obligation d’être observant, philosophiquement, pas du tout. Si socialement, le respect du traitement s’avère compliqué - traitement de l’asthme ou du diabète, par exemple -, on verra apparaître des obstacles à l’observance.
Globalement, l’idée de plaquer des typologies de patients, bons, mauvais, etc... Cela n’est pas suffisant. Il faut vraiment observer, puis, une fois que le problème est identifié, porter son attention là où le patient a le plus d’effort à faire.
Quelle est la place de la peur et de la confiance dans le respect des traitements prescrits ? Observe-t-on une défiance nouvelle à l’égard des médicaments depuis certaines affaires ?
Ces affaires ont eu un impact sur le comportement des patients. D’abord leur niveau de connaissance sur le médicament s’est globalement élevé. Reste que leur appréciation du rapport bénéfice/risque est encore imparfaite.
Je pense que sur ces questions, la communauté médicale est un peu autocentrée. Si on se place du point de vue du patient qui lui, n’est pas un scientifique, son seul souhait est de bénéficier d’un traitement avec le moins possible d’effets secondaires et le plus d’efficacité possible. Je crois que pour le public, peu importe la réputation de tel ou tel traitement, l’observance dépend surtout, du point de vue individuel, du rapport à la vie de chacun.
On a le sentiment qu’avec le nouveau partage du savoir médical, les patients ne sont plus prêts à avaler n’importe quoi. Pensez-vous que des freins à l’observance sont ainsi apparus ?
La science s’approprie le monopole du réel. Elle a de moins en moins de limite, mais elle n’explique pas tout. On ne le dit pas assez, mais les laboratoires pharmaceutiques ont transformé notre rapport à la vie. Certes le patient est de moins en moins mal informé, et son désir d’avoir le contrôle sur sa maladie a évolué également. Mais au total, reprendre le pouvoir sur son corps, voilà le vrai sujet.
Quels comportements les professionnels de santé, et notamment les pharmaciens, doivent-ils privilégier pour favoriser l’observance des traitements par leurs patients ?
Je pense que les pharmaciens font cela naturellement. D’autant que ces professionnels connaissent généralement bien jusqu’aux habitudes de vie des patients qui fréquentent leur officine. L’idéal serait de modéliser les pathologies, mais rien ne remplace l’entretien ouvert avec le patient. En l’occurrence, le pharmacien bénéficie d’un rapport régulier et presque quotidien avec ses patients. Aussi, c’est peut-être plus facile pour lui, que pour d’autres professionnels de santé, de dégager le profil de chacun d’entre eux et d’apporter une réponse adaptée au profit de l’observance des traitements. En cela, le pharmacien est irremplaçable.
Les progrès galéniques (formes à libération prolongée, etc) et, plus largement, tous les programmes d’aide au respect de l’observance, ne risquent-ils pas, à terme, de décharger les patients de leurs responsabilités à l’égard du traitement ?
Tous ces moyens, notamment techniques, ont beaucoup d’avenir. D’autant que la conscience du patient est modifiée par la maladie. Lorsqu’on est malade, on a une conscience altérée de la vie. Certes, il existe des mécanismes de sauvegarde psychiques qui, potentiellement, vont se déclencher à l’annonce d’une maladie grave. L’angoisse sera favorable à l’observance, mais à l’inverse, le patient chronique peut avoir envie, de temps en temps, de ne pas penser à sa maladie, d’où un certain lâcher prise par rapport au traitement. Voilà pourquoi les deux démarches sont complémentaires : le contact humain et le relationnel assurés par le professionnel de santé sont nécessaires, de même que les applications qui permettent d’accompagner le malade, notamment au moment où des efforts particuliers lui sont demandés. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas toujours le discours scientifique qui doit l’emporter. Il existe des situations où un discours intelligent et éclairé s’impose qui correspond à ce que vivent émotionnellement les gens. Parce qu’il faut se rappeler que, principalement, le circuit de la décision est basé sur les émotions.
Au total, l’aide technique et le pouvoir d’interprétation du médecin sont parfaitement complémentaires.
Sans oublier qu’une des plus grandes révolutions en faveur de l’observance a été permise par les progrès de la galénique. Aller dans le sens du confort du patient et de la rapidité de guérison, voilà des avancées fantastiques.
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