Ethnopharmacologie

Quand la nature est bonne

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Publié le 28/04/2020
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En France et dans le monde, les ethnopharmacologues se sont organisés pour assurer le recensement des plantes médicinales et soumettre les connaissances empiriques à des études scientifiques. Un travail passionnant et méticuleux, qui outre la sauvegarde de ce patrimoine, ouvre de formidables perspectives médicales.

Il suffit de se promener à la maison Zevallos, près du Moule en Guadeloupe, pour prendre conscience de la grande générosité de la nature.

On y découvre sur une petite superficie un concentré de végétaux aux vertus thérapeutiques diverses. Propriétés antalgiques, hypoglycémiantes ou hypnotiques… Les plantes peuvent exercer sur l'homme un pouvoir tantôt bénéfique, tantôt toxique. « Les plantes ont été au XXe siècle à l'origine de plus de 6 médicaments d'usage quotidien sur 10. Les toxiques par exemple, à partir desquels de nombreux principes actifs comme la morphine ou la colchicine ont été isolés, ont permis le développement de l'industrie pharmaceutique. C'est particulièrement le cas dans la classe des anticancéreux puisqu’aujourd'hui, 42 % des médicaments utilisés en chimiothérapie trouvent une origine dans des plantes comme la pervenche ou l'if », commente Jacques Fleurentin, pharmacien pharmacologue et président de la Société française d'ethnopharmacologie (SFE) (1). Aujourd'hui, les DU (diplômes universitaires) de phyto-aromathérapie rencontrent un vif succès et témoignent d'une demande de formation croissante de la part des professionnels de santé : « la thérapeutique par les plantes n'est pas une médecine alternative, mais réellement complémentaire. Dans le monde entier, la pratique de cette médecine permet chaque jour d'enrichir les connaissances accumulées depuis des siècles, et de nourrir les pharmacopées ».

Les plantes, un patrimoine riche mais fragile.

Aux quatre coins du globe, les ethnopharmacologues s'attellent à protéger ce pratimoine riche mais fragile par la sauvegarde des connaissances, et leur étude systématique. « À partir des données collectées, l'ethnopharmacologie permet d'analyser les observations d'efficacité et de sécurité. Il en ressort des monographies précises, décrivant le profil de sécurité d'une plante et ses modalités d'utilisation validées par un consensus scientifique », poursuit Jacques Fleurentin qui, en créant le premier laboratoire d'ethnopharmacologie à Metz, a largement contribué à créer un trait d'union entre l'utilisation empirique d'une plante et sa démonstration scientifique. En France, ces travaux ont ainsi abouti à la reconnaissance par l'Agence du médicament de 46 plantes des territoires d'outre-mer et à leur inscription à la pharmacopée française. La feuille de goyave réputée pour ses propriétés antidiarrhéiques en est un exemple. Dans la même logique, 60 plantes chinoises ont également intégré la pharmacopée européenne.

Aujourd'hui, l'ethnopharmacologie est florissante et parfaitement codifiée pour donner un cadre de travail sécurisé et reproductible aux professionnels de santé. « Son originalité réside surtout dans une organisation pluridisciplinaire, où chaque expert apporte sa contribution : botaniste, ethnologue, pharmacologue, pharmacognoste, tradipraticien… Par exemple, le pharmacognoste étudie la plante médicinale sus l'aspect analytique, en identifiant la composition en principes actifs. Pour étudier les médecines traditionnelles, il faut également rassembler les sciences de la vie et les sciences de l'homme, représentées par les historiens et les linguistes. Enfin, l'ethnopharmacologie doit s'appuyer sur les juristes pour assurer la protection des hommes et des savoirs », détaille le président de la SFE.

Ce que les tradipraticiens ont à nous dire.

Si certains savoirs ont bénéficié d'une transmission écrite pour arriver jusqu'à notre époque moderne, comme les médecines traditionnelles arabopersique ou indochinoise, le travail est différent dans les cultures où la transmission orale reste majoritaire. C'est le cas en Afrique, où la rencontre avec les guérisseurs et tradipraticiens est essentielle. « Le tradipraticien reçoit ses connaissances par initiation, sur le principe de l'informant à l'informé. La collaboration entre les tradipraticiens, les ethnopharmacologues et les pharmacognostes permet par exemple d'élaborer des remèdes améliorés et d'effet reproductible », explique Jean-Michel Morel, médecin phyto-aromathérapeute et fondateur de Wikiphyto (2). « On s'est aperçu que dans 75 % des cas, les études pharmacologiques permettaient de confirmer les indications du guérisseur ; il y a donc une extrême pertinence des savoirs que détiennent ces hommes », souligne de son côté Jacques Fleurentin. D'ailleurs, l'Organisation mondiale de la Santé reconnaît cette pertinence et encourage l'intégration des tradipraticiens dans le parcours de santé aux côtés des médecins. « Avec les guérisseurs, la coopération se fonde sur l'échange et le partage des connaissances respectives : je leur apporte mes connaissances en tant qu'ethnopharmacologue, et ils partagent leur savoir sur l'utilisation, les modes de préparations et les limites d'une plante. Ce travail répond aux objectifs de l'OMS à savoir recenser, étudier et appliquer. » Outre l'objectif médical et thérapeutique, cette démarche constitue une réponse à la pression économique, dans des pays où les traitements de synthèse sont difficilement accessibles.

 

1) www.ethnopharmacologia.org
2) www.wikiphyto.org

David Paitraud

Source : Le Quotidien du Pharmacien