LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- La substitution générique a plus de 10 ans. Comment se porte aujourd’hui en France le médicament générique, tant du point de vue de son image, de son acceptation par la population, que du marché ?
PASCAL BRIÈRE.- Le marché des génériques fait preuve d’un dynamisme qui ne se dément pas. Y compris en cette année 2010 puisqu’il a crû de 10,4 % en valeur et de 5,3 % en unités, tandis que le marché pharmaceutique va terminer aux alentours de zéro. C’est une croissance considérable. Aujourd’hui une boîte sur quatre délivrées en France est un générique, ce qui représente un peu plus de 13 % du marché en valeur. Ces chiffres signent la réussite de la politique du générique mise en œuvre avec constance par les pouvoirs publics depuis 1999, mais aussi le succès de la substitution générique réalisée par les pharmaciens désormais portée à hauteur de 72 %. Ce succès est également un succès économique puisque 1,3 milliard d’économies ont été réalisées cette année grâce au générique. Soit la moitié du chiffre d’affaires du marché générique en valeur. Il y a peu de marchés aussi efficients en terme d’économies collectives.
En terme d’acceptation, il faut se rendre à l’évidence : rien n’est gagné. On l’a constaté cette année avec une baisse continue des taux de substitution. À la fois patients et médecins sont encore très prudents par rapport au générique. Leur adhésion est fragile, ce qui nécessite que nous nous mobilisions comme nous l’avons fait lors de la mise en place du marché, au travers de la nécessité d’information et d’éducation du grand public et de réassurance. Et ce, y compris à l’égard des médecins.
Côté comptoir, quels sont les derniers freins à la substitution ? Côté prescription, l’engouement croissant des médecins pour la mention « NS » vous inquiète-t-il ?
Il est vrai que des freins subsistent, et ils sont multiples. Aussi bien d’ailleurs chez les patients, que chez les médecins et même chez les pharmaciens. Chez les patients, ces freins ont été alimentés d’une part par les prescripteurs, mais aussi par l’idée selon laquelle les génériques ne seraient pas exactement équivalents aux princeps. Un doute notamment entretenu autour des notions de bio équivalences que l’on retrouve souvent sur les forums internet ou dans la presse grand public. Il s’agit d’une remise en cause insidieuse et presque permanente du caractère équivalent du médicament générique.
Côté médecin, c’est un peu différent, car on assiste à une montée en puissance inquiétante de la mention « Non Substituable ». Au point que nous avons demandé à la CNAM de monitorer très finement la présence de ces mentions sur les prescriptions. Et ce afin de quantifier le phénomène, mais aussi de rappeler aux médecins que l’usage de cette mention est très encadré. Rappelons qu’il s’agit nécessairement d’une mention manuscrite, en toutes lettres et justifiée par des raisons tenant au patient.
À l’officine, les pharmaciens ont également leurs propres difficultés. Il y a deux cas distincts : le cas des produits de spécialiste, d’abord. Il s’agit de spécialités qui sont, contrairement aux blockbusters des années quatre-vingt-dix, des médicaments à faibles volumes et réservés à des populations ciblées. Dans la mesure où ces produits ont des diffusions limitées, et même si leur chiffre d’affaires est loin d’être négligeable, le pharmacien a le sentiment que ce sont des produits qui ne tournent pas et substitue donc moins. Le risque étant que ces médicaments deviennent pratiquement des candidats au TFR. C’est d’autant plus dommageable que, dans un contexte d’économie officinale peu florissante, le pharmacien perd là un gisement de rentabilité extrêmement fort.
Puis il y a les produits de pathologies particulières pour lesquels le pharmacien substitue peu considérant que, soit le patient, soit le médecin, s’y opposerait, ce qui n’est pas nécessairement avéré. Exemple, certains anticancéreux, les médicaments des greffes, comme le Mycophénolate etc... Or les génériques de ces produits sont relativement bien acceptés par les patients, notamment parce que les laboratoires ont mis en place des programmes d’aide à la substitution. Il ne faut donc pas se priver de ces spécialités génériques, car ces produits sont le marché générique de demain. En effet, à partir de 2015, nous verrons échoir de moins en moins de spécialités de médecine générale, et de plus en plus de médecines de spécialités.
Comment envisagez-vous la perspective de TFR élargis évoquée lors des négociations sur la rémunération engagées avec les pouvoirs publics ?
Nous sommes bien entendu tout à fait opposés à une mesure de TFR généralisé. Ceci étant dit, s’il fallait, par exception, concevoir un TFR ciblé pour certaines molécules, nous pourrions accepter de l’appliquer une fois. A condition toutefois que cela ne soit pas appliqué de façon généralisée selon une règle récurrente dans le temps qui aurait pour conséquence de faire perdre sa dynamique au marché du générique. Globalement donc nous sommes d’accord avec le « TFR picking » qui peut légitimement servir à financer une partie de l’économie envisagée, mais contre le TFR généralisé. Nous sommes en revanche totalement opposés à une autre proposition syndicale, celle qui consiste à baisser le prix des génériques alors que nous sommes déjà passés de -30 % à -50 %, puis à -55 %. Nous allons d’ailleurs prochainement dévoiler une étude qui montrera le niveau de compétitivité du prix du générique français dans la communauté européenne. Rappelons également que le générique a encore contribué à hauteur de 100 millions d’euros l’an dernier à la baisse des dépenses de santé, avec notamment de très fortes baisses en avril 2010 sur les statines et les IPP (NDLR : inhibiteurs de la pompe à protons). Nous sommes arrivés à un niveau qui n’est plus supportable de baisse de prix. C’est un axe dans lequel on ne peut plus aller sans compromettre l’offre de qualité existant dans notre pays.
Le marché du générique semble avoir atteint aujourd’hui une certaine maturité. Comment pourrait-on encore le « booster » ?
Certes le marché est mature dans son fonctionnement. Mais il faut remarquer qu’une croissance de 8 % sur 2,6 milliards d’euros que représente le marché pharmaceutique, équivaut à une croissance très importante en valeur. Ce qu’il faut regarder c’est la croissance en valeur et en unités qui continuent d’être encore significative. Il y a encore une large marge de croissance possible. En effet, si l’on observe que 60 % des spécialités délivrées en Allemagne sont des génériques, cela revient à dire que 60 % des médicaments sont prescrits dans « l’équivalent du répertoire » en Allemagne (N.D.L.R. : sachant que ce pays n’a pas de répertoire). Ce qui veut dire que les médecins prescrivent des produits qui sont éligibles à la concurrence générique. En France, où l’offre générique fournie par les industriels couvre pourtant la quasi-totalité des médicaments éligibles, les médecins prescrivent trop peu dans le répertoire. Ce que nous souhaitons c’est une prescription plus importante dans le périmètre du répertoire assortie d’un renforcement des objectifs médicaments au sein du CAPI (Contrats d’amélioration des pratiques individuelles), notamment ; de telle sorte que la prescription se rapproche de celle de l’Allemagne. Aujourd’hui notre problème, et tous les rapports le confirment, est bien celui de la prescription. Notre équation revient à dire que l’efficience du générique c’est le prix, multiplié par le taux de substitution, multiplié par le périmètre de substitution. Nous avons à régler ce problème de périmètre.
Les chutes de brevets prévues au calendrier 2011 devraient-elles faire, selon vous, une « bonne année générique » ?
Nous sommes au milieu de trois années tout à fait exceptionnelles qui ont débuté fin 2009 avec le clopidogrel et autres grands lancements. Trois années au cours desquelles 1 milliard d’euros d’échéance de brevets va arriver. Une séquence que l’on ne reverra pas dans le futur immédiat.
En 2011, nous aurons l’oméprazole (Inexium) qui sera l’événement de l’année, mais aussi la seconde génération des sartans (valsartan et valsartan HCT), le risédronate (Actonel) lancé fin 2011… L’année 2011 et l’année 2012 devraient être marquées par un potentiel de près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Quelles seront les priorités du GEMME pour 2011 ?
Nous allons défendre quatre axes très importants. Le premier vise à obtenir l’élargissement de la prescription dans le répertoire, notamment grâce aux CAPI, avec pour objectif ultime de développer le périmètre de la substitution. Le second axe consistera à remobiliser l’ensemble des acteurs autour du médicament générique et à travailler avec les pharmaciens sur tous les produits de spécialité à gros chiffre d’affaires et faibles volumes mais qui représentent autant que certains médicaments à fortes rotations mais très peu chers. Il faut que nous repartions en campagne dans notre mission d’information, d’éducation du patient par l’intermédiaire des pharmaciens.
Nous allons également continuer à défendre le modèle français qui est un modèle efficace. Enfin, nous poursuivrons notre chantier pour un élargissement du répertoire. Nous avons déjà progressé avec ce qu’on appelle les quasi-génériques, les patchs et les crèmes, mais ce n’est pas encore suffisant, et la route est encore longue. Nous nous y engageons avec détermination.
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