Le Quotidien du pharmacien.- Les DM semblent comme charriés par le courant de l'innovation. Comment la CNEDIMTS parvient-elle à suivre le rythme de ce secteur très fécond ?
Isabelle Adenot.- Nous sommes dans l'ère de la convergence d'évolution des technologies. Qu'il s'agisse des progrès de la robotisation, de la miniaturisation, de l'impression 3D, de la production, du traitement et du stockage des données… Toutes ces évolutions se font simultanément et à une vitesse, en effet, élevée. Résultat, nous allons assister à un essor considérable en matière d'innovation des dispositifs médicaux. Mais dans cet environnement pléthorique, il faut savoir que la CNEDIMTS n'évalue finalement que très peu de dispositifs médicaux (N.D.L.R., environ 280 par an). Le travail de notre commission ne concerne en effet que ceux qui demandent à être pris en charge par la solidarité nationale, c'est-à-dire à être inscrit sur la liste LPP. Ce qui signifie que la très grande partie des DM utilisés à l'hôpital ne sont pas évalués par nous, car ils sont pris en charge par le budget hospitalier. Il en va de même de certains DM utilisés en ville qui font l'objet d'une facturation à l'acte (dentisterie, par exemple).
Quels sont les critères clés requis pour la rédaction des avis de la CNEDIMTS en vue d’un remboursement ?
Contrairement à l'évaluation graduée des médicaments, notre évaluation est de type binaire : « suffisant » ou « insuffisant ». Il n'y a donc pas plusieurs niveaux d'évaluation. Le caractère « suffisant » ou « insuffisant » vient objectiver des bénéfices cliniques de morbi-mortalité ou en termes de qualité de vie. Lorsqu'un DM est jugé « suffisant », une deuxième analyse évalue l'amélioration du service attendu (ASA) échelonnée sur 5 niveaux. Il s'agit là de comparer le DM à d'autres DM équivalents et d'estimer si le dispositif étudié fait mieux, aussi bien ou moins bien que les DM de référence. Le CEPS tient compte de ce profil établi lorsqu’il fixe ses tarifs de remboursement. Si le produit est très innovant - ASA 1 ou 2, donc qu'il fait bien mieux que ceux déjà sur le marché remboursé -, il aura très probablement un meilleur prix.
Comment l’avis des patients est-il intégré aux travaux de votre commission ?
Intégrer les patients aux évaluations était l'un de mes objectifs lorsque je suis arrivée à la CNEDIMTS, objectif partagé avec la HAS. Cet objectif est parfaitement atteint puisque le nombre de patients membres de la commission a augmenté pour passer à 3. Sur les 29 membres (titulaires + suppléants), il y a donc 3 patients et 26 professionnels. Par ailleurs, dans mon propre bureau, il y a également un patient invité permanent et surtout, tout patient ou association de patients peut s'exprimer sur l'évaluation d'un dossier. Auparavant il fallait l'autorisation de l'industriel. Il arrive aussi à la commission de solliciter spontanément, d'auditionner, certaines associations de patients sur un dossier particulier avant même que celles-ci se manifestent.
Enfin, la CNEDIMTS ayant beaucoup travaillé sur les critères de qualité de vie, les industriels intègrent désormais cet item à leur dossier de demande, non plus de façon incantatoire, mais avec preuves à l’appui. Ce qui se voit dans les attributions d’ASA et dans les nouveaux principes d'évaluation de notre commission.
L’innovation n’est pas forcément synonyme d’utilité. Quelles sont les dérives que vous observez le plus souvent dans le domaine des technologies de santé ?
Une innovation technologique n'est pas forcément une innovation clinique. Or notre évaluation est avant tout clinique. Donc, quel que soit le caractère innovant d'un matériel, si in fine celui-ci n'est d'aucune utilité pour le patient, on ne le valorisera pas. Les moyens technologiques doivent se mettre au service de la clinique et non l'inverse.
Nous recevons parfois des demandes pour des DM dont l'utilité est tellement peu évidente - absence de preuves cliniques - qu'il ne nous faut pas longtemps délivrer un avis insuffisant. En moyenne, toutes raisons confondues, nous refusons 25 % des demandes de première inscription.
Quelles sont les principales difficultés de l’évaluation des DM connectés ou faisant appel à l’IA ?
Pratiquement la moitié des DM sont aujourd'hui connectés. Ces matériels ont pour particularité de changer très vite de version. Ce qui suppose, et cela n'est pas évident, que les données cliniques présentes sur la version antérieure puissent s'adapter à la nouvelle version. Une autre question se pose avec ces dispositifs connectés, celle de leur éventuel impact organisationnel. Ainsi par exemple, l'équipement d'une personne au moyen d'un défibrillateur connecté à une télésurveillance va modifier le parcours du patient. La qualité de cet impact organisationnel sera prise en compte dans notre évaluation.
Quant à l'intelligence artificielle (IA), il convient avant tout d'appréhender ses diverses définitions. Car en l'absence de véritable glossaire, l'IA désigne parfois des concepts bien différents qui interrogent différemment l'évaluateur. Par exemple, même si on imagine que le terme « algorithme auto-apprenant » est suffisamment explicite en lui-même, dans les faits, sous ce même terme on ne trouve des éléments très différents. Il existe par exemple des algorithmes qui sont auto-apprenant durant leur période d'apprentissage, et une fois celui-ci terminé, sont figés dans une version qui n'évolue plus. L'évaluation ne présente alors pas tant de difficultés. En revanche, si ces systèmes poursuivent leur apprentissage durant leur utilisation, selon des logiques qui nous sont inconnues, cela complique notre mission d'évaluateur. Car il n'est pas question pour nous d'évaluer en permanence des DM qui auraient évolué. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'HAS vient de rendre public, après son « rapport d’élaboration du guide sur l’évaluation des DM connectés », son projet de grille d’analyse pour les DM qui comportent un volet Intelligence artificielle. Une grille qui, à notre connaissance, n'existe jusqu'à ce jour nulle part ailleurs et qui explique ce que nous analyserons cette grille d'analyse, à l'état de projet, est depuis quelques jours soumise à consultation publique. Cette démarche, exceptionnelle pour l'HAS, vise à bénéficier de l'intelligence collective afin de vérifier la pertinence et la compréhension de nos demandes exigences. Comme nous ne procédons pas à des évaluations successives avec une fréquence plus élevée, l'idée est donc de comprendre et prévoir le comportement des algorithmes dans différentes situations. En attendant ces évolutions, ce qui est rassurant aujourd'hui, c'est que les seuls DM connectés exploitant l'IA en ville - ceux qui concernent le suivi du diabète -, fonctionnent à partir d'apprentissages très supervisés et qui n'utilisent que des données du patient lui-même.
Le pharmacien peut-il, voire doit-il, être un prescripteur d’applis santé ?
Avant de répondre à votre question, il faut d'abord rappeler qu'il existe trois catégories de dispositifs. Il y a d'une part les objets connectés et les applications qui n'ont pas véritablement de finalité médicale et sont hors marquage CE. Puis ceux qui peuvent avoir une vocation médicale, et demandent ou non un remboursement, et enfin ceux qui ont un intérêt médical et sont destinés exclusivement à des professionnels de santé (logiciels d'aide à la prescription, logiciels d'aide au diagnostic…). Dans un tel environnement, beaucoup demandent des conseils aux pharmaciens pour leur conseiller des applis. C’est une lourde responsabilité pour les pharmaciens, car qu’ont-ils comme moyen pour les évaluer, les comparer ? En revanche, de plus en plus de patients vont se présenter à l’officine avec des applis santé évaluées et remboursées. Prenons l’exemple de Moovcare, une application à laquelle la CNEDIMTS vient d'accorder un avis suffisant. Ce DM sera capable de détecter précocement le risque de rechute de cancer du poumon par le simple biais d'un questionnaire hebdomadaire que le patient remplira sur son smartphone. Le seul usage de cette application ferait gagner 7 mois de survie au patient. Rendez-vous compte, aucun médicament n'atteint cette performance ! Si je vous parle de Moovcare, c'est pour vous dire que selon moi, le rôle des pharmaciens n'est pas vraiment celui de prescripteur d'applis santé. Car ces applis ne sont pas toutes, loin s'en faut, évaluées sur leur intérêt en clinique. Medappcare ou d’autres réalisent bien une évaluation, mais plutôt sur les questions de confidentialité des données ou le respect de recommandations officielles… Pas sur leur efficacité clinique. Pour les pharmaciens, conseiller des applis non validées cliniquement parlant et dont les versions se succèdent à un rythme effréné, est une gageure et une lourde responsabilité. Toutefois, la donne pourrait changer car il est prévu que dans l'espace numérique de santé (ENS), comme c'est déjà le cas en Angleterre, les applis santé « validées » soient répertoriées.
Plus globalement, là où je vois un rôle très important pour le pharmacien, c'est auprès des patients utilisant des DM ou applis connectés, type Moovcare par exemple. Avec la multiplication de ces usages, l'officinal sera amené à répondre à grand nombre de situations : « l'appareil ne se connecte plus, on m'a expliqué mais je ne sais plus l'utiliser, comment répondre à cette alerte ? etc. » En un mot, le pharmacien d'officine pourrait être, parmi d'autres, un médiateur de e-santé. Au-delà de la simple réponse à une demande, il doit même, à mon sens, s'approprier ce nouveau rôle. Face à l'accélération phénoménale de l'innovation technologique, il ne faut en effet laisser personne, aucun patient, sur le bord de la route. Le pharmacien peut contribuer à éviter cette exclusion liée à une disruption technologique. Nul doute que les responsables professionnels feront évoluer les rôles et missions des pharmaciens au vu de l’avancée technologique.
* La CNEDiMTS est la commission de la HAS qui examine toute question relative à l’évaluation en vue de leur remboursement par l’assurance-maladie et au bon usage des dispositifs médicaux et des technologies de santé.
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