Histoire de la dermocosmétique

À la recherche de l’onguent perdu

Publié le 31/05/2010
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Si la grande majorité des « recettes de beauté », de la plus haute fantaisie ou franchement toxiques, ont été fort heureusement abandonnées, le cérat de Galien a traversé les siècles et certains ingrédients restent d’actualité.

DES RECHERCHES archéologiques ont permis de dater des jarres contenant encore des produits de beauté quelque 5 000 ans avant J.-C., mais les premiers onguents élaborés ont été retrouvés dans des sépultures égyptiennes de la Ire dynastie (plus de 3 000 ans av. JC). Des crèmes à base d’huiles végétales ou de graisses animales mélangées à des herbes aromatiques étaient utilisées, par les hommes comme par les femmes, pour adoucir la peau et l’empêcher de vieillir, des pâtes de cendres et d’argile faisaient office de savons et des emplâtres concoctés avec des cervelles ou de fientes d’animaux délayées dans du lait d’ânesse ou des pommades à base d’albâtre blanchissaient le teint.

La mode du teint blanc.

Comme l’ont montré les techniques modernes (microscopie électronique à balayage, diffraction des rayons X), les produits de soins, de beauté et de maquillage de l’Égypte Ancienne étaient des mélanges complexes, relevant déjà de la chimie, à base de constituants minéraux (dérivés du plomb, oxydes de cuivre ou de fer, malachite…), dont certains, repris par les Grecs et les Romains, se sont révélés très toxiques. Au Ier siècle après J.-C., les recettes de beauté données par Pline l’Ancien (dans son Histoire naturelle) et Ovide (L’Art d’aimer) contiennent toujours des pigments dangereux. C’est Galien, au IIe siècle, qui, le premier, attire l’attention sur la nocivité de cosmétiques à base de céruse (carbonate de plomb ou blanc de plomb), destinée à éclaircir la peau, cacher les taches et traiter les imperfections. L’analyse du contenu d’un petit pot retrouvé intact il y a quelques années dans le sud de Londres, sur le site d’un temple romain du milieu du IIe siècle*, suggère que les effets néfastes du plomb sur la santé commençaient à être connus des belles Romaines. Selon les archéologues, qui ont analysé et reproduit cette crème de beauté, composée de graisse de bovin ou d’ovin, d’amidon (encore utilisée de nos jours pour diminuer l’aspect gras) et d’étain, la poudre d’étain, qui donnait à la peau un aspect doux, poudreux et blanc (toujours à la mode), remplaçait ainsi la céruse.

On doit également à Galien la formule d’une crème hydratante et protectrice pour peaux sèches, l’une des plus anciennes parvenues jusqu’à nos jours : le fameux cérat de Galien, à base de cire d’abeille, d’huile d’amande douce, d’eau de rose et de borate de sodium, plus connu de nos jours sous le nom de cold-cream.

Un succès : la poudre de riz.

En Europe, comme le visage pâle, signe de distinction, reste très longtemps un « must », les pommades, fards et « eaux virginales » à base de blanc de plomb continuent d’être employés jusqu’au début du XXe siècle. La céruse coûtant très cher, d’autres produits blanchissants (alun, talc) viennent s’ajouter, mais si les effets nocifs d’autres préparations, notamment à base de mercure, sont dénoncés dès le XVIe siècle, il faut attendre que l’utilisation du plomb soit condamnée en médecine pour que celle de la céruse soit remise en cause en cosmétique, à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les préparations pour avoir un teint aristocratique contiennent d’autres ingrédients blancs, en accord avec le principe admis par les médecins paracelsiens selon lequel « les semblables attirent les semblables » : fleurs blanches, fromage blanc, pain blanc, pigeons blancs, poudre de perles… Mais la céruse ne disparaît pas totalement des manuels de beauté. Aujourd’hui, la lecture de ces ouvrages est avant tout amusante, mais les recettes souvent hallucinantes et parfois peu ragoûtantes (à base de limaces, pieds de veau, poulet écorché vif…). Certaines tout de même comme dans « L’Ami des femmes », écrit en 1804 par un grand médecin de l’époque, P.-J. Marie de Saint-Ursin, comprennent davantage de substances végétales et « Le Parfumeur impérial » de C. F. Bertrand (1809) propose par exemple une pommade antirides, à base de miel, de cire blanche et de suc d’oignons de lys à appliquer tous les soirs, qui pourrait figurer dans un livre de cosmétiques bio !

A la fin du XIXe siècle, la grande innovation est la poudre de riz qui unifie le teint mais aussi absorbe l’humidité du visage, adoucit la peau, la fait paraître plus fine et camoufle imperfections et rougeurs. Puis, au début du XXe siècle, la poudre d’amidon de riz, plus matifiante, le blanc de baleine dans les crèmes de soin, la lanoline, très émolliente, maintenant synthétiques ou d’origine végétale… On connaît la suite.

* Evershed R. P et al, Nature, 2004;432:32-6.
› EVE OUDRY

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2754