BIOPIRATERIE. Le mot vous dit-il quelque chose ? Pour l’illustrer de façon simple, imaginez qu’une entreprise vienne un jour exploiter, sans autorisation, une source d’eau connue pour ses bienfaits dermatologiques. Au passage, l’entreprise a également collecté toutes les connaissances de la population locale concernant les vertus de cette eau. Vous l’aurez compris, la biopiraterie consiste en l’exploitation sauvage d’un savoir traditionnel ou des ressources génétiques d’un secteur (les plantes par exemple), sans en informer la population locale, sans lui demander son autorisation et sans prévoir de dédommagement à son égard. « Le parallèle avec une eau thermale, comme il y en a en France, est intéressant pour plusieurs raisons ; d’une part, l’exploitation des sources dans notre pays suppose un accord préalable de concession, entre les autorités locales représentant la population et l’entreprise exploitante. Dans le cas de la biopiraterie, il n’y a aucun accord. D’autre part, l’exploitation de ces sources crée de l’emploi et génère des fonds par le biais des taxes. Il existe un mécanisme de redistribution locale de la richesse. Dans le cas de la biopiraterie, la valorisation du bien collectif n’existe pas et la contribution des populations autochtones n’est pas prise en compte », explique Daniel Joutard, Président fondateur de la société Aïny*. L’alternative à la biopiraterie proposée par Aïny repose sur la valorisation de l’immatériel : « la partie immatérielle oriente et facilite la recherche et le développement d’un produit. Grâce aux savoirs des autochtones, on gagne beaucoup de temps, ce qui permet notamment de diminuer les coûts. De ce fait, nous avons choisi de ne jamais déposer de brevet. Nous partons plutôt du principe que la contribution, en terme de connaissances, des peuples autochtones est bien supérieure à nos 2 ou 3 années de recherche. C’est un principe moral. De même, il nous semble normal de payer un droit pour valoriser ces connaissances en terme marketing. Cela correspond donc à 4 % de notre chiffre d’affaire, somme qui est reversée aux autorités locales avec qui nous travaillons. »
Un parallèle paradoxal.
La biopiraterie serait-elle finalement la conséquence du système actuel de protection des découvertes par le brevet ? Pour Daniel Joutard, ce dispositif montre en effet certaines limites : « Le système actuel n’est à mon sens pas assez exigeant en terme d’innovation. Je ne remets pas en cause le principe du brevet, mais la facilité qu’il y a à obtenir un brevet en cosmétique. D’ailleurs, je pense qu’en cosmétique le brevet vaut plus pour l’image marketing que pour protéger les réelles innovations. »
La situation devient paradoxale quand on réalise le parallèle qui peut être fait entre les conséquences de la biopiraterie et celles de la contrefaçon. Dans le premier cas, des populations se voient privées d’une richesse qu’elles ont entretenue pendant des générations ; dans le cas de la contrefaçon, des employés subissent des conséquences économiques, se traduisant notamment par la perte des emplois. À propos de la contrefaçon, l’UNIFAB (Union des fabricants) explique volontiers que « le pillage du savoir-faire national copié le plus souvent à l’extérieur de nos frontières conduit à la suppression régulière des postes d’emplois traditionnels ». C’est exactement ce que pourraient dénoncer les populations victimes de biopiraterie. « À juste titre, les industriels sont toujours prompts à protéger leur intérêt. Ils sont moins sensibles en revanche au phénomène de biopiraterie, même si certains commencent à prendre conscience du problème et de l’enjeu que cela représente pour leur réputation. »
Pour le fondateur d’Aïny, la pression des consommateurs et des clients acheteurs est déterminante pour faire changer les choses. « À leur niveau, les pharmaciens peuvent interroger les marques qu’ils distribuent : d’où viennent les plantes ? Comment le laboratoire y a t-il eu accès ? Est-ce qu’il y a une autorisation d’exploitation de la part des populations locales, et une redistribution de la richesse ? ». Pour permettre cette prise de conscience, la société Aïny essaie de faire émerger le label « no biopiracy ».
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