Le Quotidien du pharmacien.- Pourquoi les adjuvants sont-ils très vite devenus nécessaires dans l’histoire des vaccins ?
Nathalie Garçon.- Pour pouvoir induire une réponse immune, nous avons besoin de deux signaux : celui de l'antigène, qui est spécifique au pathogène, et un autre qui apporte le signal de danger à la cellule afin que celle-ci enclenche le processus de défense. Et c'est bien la somme de ces deux signaux qui permet à la cellule d'adapter sa réponse. Le deuxième signal est celui de l'adjuvant. Tous les pathogènes ont des adjuvants. Bactéries et virus contiennent ainsi en eux les PAMPS (Pathogen associated molecular patterns) qui signalent aux cellules présentatrices d’antigènes la réalité du danger qu’ils représentent.
Dans l'histoire de la vaccinologie, avant même la découverte des virus et bactéries, on a observé la possibilité de protéger contre les maladies (instillation nasale de croute de varicelle, utilisation du pue des pustules de vaches atteintes du virus de la vaccine pour protéger contre la varicelle). C’est Pasteur qui a alors commencé à les isoler, à les multiplier pour la réalisation de vaccins. Même s'il ne s'agissait pas au début de vaccination de masse, on a pu observer leur impact positif sur la protection des gens vaccinés.Les scientifiques sont ensuite parvenus à casser les micro-organismes, puis à les purifier de façon à isoler au sein d'un pathogène les antigènes protecteurs. Par exemple, dans l’hépatite B, l’antigène de surface S. Ils y ont alors ajouté l'adjuvant aluminium qui permet d'obtenir une réponse immune compétente. Cet antigène seul, dépourvu du signal de danger, n'induisait pas une réponse suffisante. C'est ainsi, qu'en 1926, l'aluminium a été le premier adjuvant utilisé dans les vaccins. Mais avant même cette introduction, dès le début des années vingt, on doit les prémices de la découverte des adjuvants au vétérinaire français Gaston Ramon. Celui-ci, utilisant produisant des sérums hyper-immuns par injection du pathogène à des chevaux, avait remarqué l'apparition d'abcès au niveau du site d'injection. Pour réduire cet effet secondaire, il a alors testé plusieurs substrats pour tenter de limiter la réaction nécrotique. Il y est non seulement arrivé, mais il a obtenu en outre une production plus importante d'anticorps. La découverte des adjuvants est vraiment le fruit du hasard et de la nécessité. Le hasard, parce qu'il s'agissait d'observations réalisées au décours de l'expérimentation, et des avancées technologiques qui ont permis de faire des cultures cellulaires et d'améliorer les techniques de séparation et de purification des antigènes, éliminant de facto les signaux de danger. Il était donc de plus en plus évident qu'il fallait augmenter l'immunogénicité des antigènes qui se révélaient de moins en moins efficaces. Les progrès des adjuvants ont suivi ceux réalisés en immunologie, et en microbiologie. Et c’est en particulier le prix Nobel de médecine 2011, décerné à l'Américain Bruce Beutler, au Français Jules Hoffmann et au Canadien Ralph Steinman qui a permis de mettre en évidence l'existence de ce signal de danger émis par les pathogènes, la compréhension des mécanismes de l'induction de la réponse mémoire, et surtout le rôle des cellules présentatrices d'antigène comme plaque tournante entre la réponse initiale non spécifique, et la réponse mémoire secondaire spécifique du pathogène concerné. Ce sont ces découvertes qui ont expliqué le déclenchement de la réponse immunitaire après une infection, et leur criticité dans les vaccins purifiés qui constitue aujourd’hui la plus grande majorité des vaccins actuels.
Quels sont les divers objectifs assignés aux adjuvants ?
La première règle à retenir, c'est qu'un adjuvant ne créera jamais à lui seul de réponse immune. Il faut pour cela, l'antigène et l'adjuvant. L'adjuvant ne fait qu'augmenter la réponse à l'antigène auquel il est associé. Il amplifie un signal pré-existant. Plus précisément, il amplifie la capacité d'un antigène à induire une réponse immune. Ce qui veut dire que l'adjuvant est totalement agnostique.
Le revers de la médaille, c'est que cet effet ne vient pas sans réactogénicité puisque, par définition, l'adjuvant agit dans la première étape, celle de la réponse innée durant laquelle il stimule les cellules présentatrices qui vont, elles, sécréter des cytokines et chémokines qui recrutent les autres cellules de la réponse immunitaire. C'est ce phénomène qui génère potentiellement des réactions au site d'injection (rougeur, chaleur, gonflement) et parfois même des effets systémiques (fièvre). Ces réactions sont le signe même de l'induction de la réponse immune et varient d’une personne à l’autre.
Quelles doivent être les qualités de l'adjuvant idéal ?
Idéalement, l'adjuvant doit avant tout induire une réponse immunitaire protectrice à l'égard de la maladievisée. Mais il doit induire le moins de signes de réactogénicité possible et ne doit évidemment jamais induire la maladie contre laquelle on veut protéger. Il doit également être facile à produire, à coût bas, et être stable à basse comme à haute température. L'adjuvant doit aussi être adapté à la population concernée. Pour des vaccins pédiatriques, ou au contraire pour des personnes âgées, et selon les maladies concernées, nous n'aurons pas nécessairement recours au même adjuvant.
Peut-on parler de toxicité concernant un adjuvant ?
Vous ne l'ignorez pas, il existe deux types de « toxicité ». Mais il faudrait plutôt parler de réactogénicité, concernant les adjuvants. Il y a la réactogénicité iatrogénique, liée à la molécule elle-même. Et il y a celle qui est liée au résultat de l'activité de l'adjuvant. C'est alors la réponse immunitaire qu'il induit qui peut amener une réactogénicité, visible au site d'injection et/ou systémique. Certains adjuvants sont particulièrement agressifs. Tel l'adjuvant de Freund, mis au point par Jonas Salk, qui n'est d'ailleurs plus utilisé depuis longtemps. Avant d’être utilisé chez l’homme, les vaccins et les adjuvants sont soumis à des évaluations réglementées pour évaluer leur toxicité. Seuls ceux répondant à ces critères peuvent être utilisés. C’est donc bien sa capacité à stimuler des cellules dendritiques et la sécrétion des cytokines qui sont à l'origine de la réactogénicité d'un adjuvant.
Et dans le cas de l'aluminium, tant de fois décrié ?
Aujourd’hui, il a été démontré et accepté qu’il est possible de retrouver au site d’injection, un peu du sel d’aluminium présent dans le vaccin. Ce qui n'est pas démontré, c'est le lien entre la présence de sel d'aluminium au site d'injection et les troubles neurologiques dont on parle. Plus de 3 milliards de doses de vaccins contenant un sel d'aluminium ont été administrées à travers le monde. Un effet s’il est systématique, devrait être observé dans un plus grand nombre d’individus. L’existence d’une population plus sensible reste une question importante pour laquelle une approche systématique et contrôlée devrait être appliquée pour permettre d’établir des conclusions servant le besoin des patients.
Pourquoi, selon vous, la question des adjuvants a-t-elle cristallisé la défiance des antivax à l’égard des vaccins ?
Les anti-vaccins existaient bien avant les adjuvants. Mais il est vrai que c'est sur des vaccins adjuvantés, ceux contre l'hépatite B, que s'est surtout cristallisée cette défiance. On associait alors l'administration de ces vaccins à l'apparition de scléroses en plaques (SEP). Et c'est là que se situe le paradoxe du phénomène. Car l’analyse de nombreuses études épidémiologiques qui ont comparé personnes vaccinées versus non vaccinées, ont montré moins de cas de SEP chez les vaccinés, et que le vaccin n’induit ni n’aggrave la sclérose en plaque. Voilà pourtant ce qui a donné le coup d'envoi du mouvement anti-vaccin. Car ces doutes sont apparus à une époque où les gens commençaient à s'interroger sur l'intérêt de la vaccination, alors même qu'ils ne voyaient plus les maladies. Ce ne sont pas les adjuvants qui ont provoqué la naissance du mouvement antivax, mais ils y ont peut-être contribué, notamment au moment de la pandémie de grippe de 2009 où l'adjuvant d’un vaccin a été suspecté d’être à l’origine de la narcolepsie. De très nombreuses investigations ont été menées qui n’ont aujourd’hui pas démontré de lien direct entre la maladie et l’adjuvant. Une notion fondamentale de la vaccination est la notion de risque et de bénéfice. Une grande difficulté de l’acte de vaccination, est que l'appréciation de cette balance est très variable d'une personne à une autre. Lorsqu'on ne voit pas la maladie, la balance bénéfice risque est difficile à estimer, et le besoin de vaccination peut être questionné. Aujourd’hui même dans le contexte d’une pandémie durant depuis 1 an ½, la notion de vaccination dans les pays développés reste un débat personnel lorsqu’elle relève de fait d’un geste sociétal.
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