Les règles encadrant les préparations à l’officine n’ont fait que se durcir ces dernières années. Après les bonnes pratiques de fabrication publiées en 2008, l’interdiction de quarante substances amaigrissantes dans les préparations magistrales en 2012, c’est un décret de 2014 qui est venu pilonner une fois de plus la réalisation de préparations à l’officine. Ce décret stipule qu’il n’est plus possible d’exécuter à l’officine certaines préparations pouvant présenter un risque pour la santé, à moins d’en avoir fait la demande à son agence régionale de santé (ARS) avant le 16 mai 2016.
Les préparations concernées par cette interdiction sont les préparations stériles, celles à base de substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR*), les préparations pédiatriques réservées au moins de douze ans, sauf les préparations topiques.
Un marché fragilisé
Rappelons que le marché de la préparation magistrale s’est déjà considérablement rétréci ces vingt dernières années, avec l’explosion des médicaments industriels, qui répondent à la grande majorité des pathologies et des petits maux. Conséquence : les prescriptions de préparations magistrales et officinales par les médecins sont devenues de plus en plus rares. Les restrictions législatives ont également rendu plus difficiles l’activité des préparatoires des pharmacies libérales. « Aujourd’hui, les officines qui réalisent leurs préparations eux-mêmes de façon régulière ne seraient que 100 à 120 sur les 22 600 pharmacies du territoire, estime Pierre Cabret, de la pharmacie de l’Europe, à Paris. Et le dernier décret a donné un coup de frein supplémentaire à l’activité de ces pharmacies. » À ce jour, très peu d’entre elles auraient fait leur déclaration de préparation de produits dangereux avant la date fatidique du 16 mai. Ainsi, confronté à ces restrictions et à une nette diminution de la demande de préparations, bon nombre de pharmaciens ont donc jeté l’éponge.
Des inquiétudes justifiées ?
Dans ce contexte, certains pharmaciens s’interrogent sur l’avenir de la préparation magistrale envisagé par les ARS : « S’oriente-t-on vers leur disparition en officine, au bénéfice des pharmacies d’hôpital, ou des laboratoires d’officines agréés ? », s’inquiète-t-on dans certains milieux syndicaux régionaux.
Pour Maryse Pandolfo, pharmacien inspecteur de l’ARS Nord-Pas-de-Calais-Picardie, il n’y a pas de volonté d’exclure la préparation magistrale de l’officine. « Lorsque les bonnes pratiques de préparation sont respectées, il n’y a pas de problème : on n’empêche jamais les préparations magistrales », souligne-t-elle.
En ce qui concerne les pharmacies hospitalières, il semble peu probable qu’elles s’emparent de l’intégralité du marché de la préparation. « Si celles-ci réalisent en effet certains types de préparations bien spécifiques -notamment les préparations de chimiothérapie -, elles n’ont pas les capacités et les connaissances pour fournir l’intégralité des préparations magistrales et officinales sur le marché français », explique Pierre Cabret.
Quant aux officines sous-traitantes, il est vrai qu’un marché s’est organisé pour pouvoir répondre aux nouveaux besoins des pharmaciens, leur garantissant une démarche de qualité, de sécurité et de traçabilité. Avec un succès certain : « Aujourd’hui, quasiment tous les pharmaciens font appel à un confrère sous-traitant, même s’ils réalisent encore eux-mêmes certaines préparations », avance Hubert Corbet, chef de projet chez Carron consultants.
Les pharmacies sous-traitantes seraient une soixantaine sur le territoire et bon nombre d’entre elles ont obtenu l’agrément pour la préparation de substances dangereuses pour la santé. En Ile-de-France, par exemple, les sept officines réalisant une activité de sous-traitance, l’ont toutes obtenu. Idem pour la région Grand Est. En Bourgogne-Franche-Comté, sur les trois qui font de la sous-traitance, deux sont agréées pour les préparations dangereuses.
Par ailleurs, il semblerait que l’activité de sous-traitance soit en augmentation avec le durcissement de la législation. « J’ai 5 à 10 nouvelles pharmacies qui font des demandes de sous-traitance chaque mois », confirme Pierre Cabret. Quant à Olivier Courbet, installé à Salouel, dans la Somme, il a créé un laboratoire de sous-traitance en 2011 qui compte d’ores et déjà 585 clients et 21 salariés. « Cependant, je viens juste de parvenir à l’équilibre cinq ans après avoir démarré », modère le pharmacien.
Un abandon pas intégral
Si les officinaux n’hésitent plus à confier la réalisation de certaines préparations complexes aux sous-traitants, ils n’ont pas pour autant totalement abandonné le préparatoire et conservent en général une activité magistrale de base : des mélanges de produits, des adaptations posologiques, des préparations à réaliser en urgence, ou pour le compte de leurs clients les plus fidèles. « 76 % des officinaux continuent de faire des préparations malgré tout, selon une enquête menée par un collectif de 12 pharmacies sous-traitantes engagées dans une démarche de certification ISO 9 001 », avance Hubert Corbet. En général, ce sont des préparations faciles et composées de produits peu dangereux, mais qui doivent néanmoins être réalisées dans le respect des bonnes pratiques de fabrication de 2008.
Problème, malgré la nouvelle réglementation, certaines officines continueront sans doute à utiliser des produits classés CMR ou à réaliser des préparations pédiatriques autres que topiques, souvent par ignorance ou pour répondre à des situations d’urgence. De source syndicale, on admet en effet que plusieurs officines n’ont pas mis aux normes leur préparatoire et se font retoquer lors de visites par un pharmacien inspecteur, notamment à propos de ces produits dangereux.
Toutefois, « il faut avouer que, en ce qui concerne la nouvelle réglementation sur les produits dangereux pour la santé, il n’est pas toujours aisé pour les officinaux de savoir ce qu’ils ont le droit de réaliser ou pas », relève Dominique Martin-Privat, titulaire d’une pharmacie-préparatoire à Montpellier et présidente de la Société des officinaux sous-traitants en préparations (SOTP). Par exemple, la liste complète des substances classées CMR est quasi impossible à obtenir, étant donné qu’elle ne cesse d’évoluer et qu’aucune liste officielle n’a été établie par la Direction générale de la santé (DGS). De même, il faut être vigilant à certains classiques du préparatoire, comme le cérat de Galien ou l’eau boriquée, qui ne peuvent plus désormais être réalisés en pharmacie sans accréditation, car l’acide borique ou les dérivés qu’ils renferment sont classés « toxique pour la reproduction » (CMR). « Pour les officinaux, une des solutions consiste à demander au fournisseur de matière première la fiche de chaque produit commandé. La classification CMR doit obligatoirement figurer sur celle-ci, précise Dominique Martin-Privat. Parfois, ce sont les fournisseurs en matières premières eux-mêmes qui s’assurent en aval de la commande que la pharmacie a bien obtenu son autorisation pour les préparations dangereuses avant de délivrer certains produits. »
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