Titulaire à Alençon (Orne) depuis 2011, Isabelle B. est sur le point de jeter l’éponge. Depuis le mois de janvier, elle cherche le pharmacien qui pourra la remplacer pendant ses vacances d’été. Les annonces passées auprès de ses grossistes-répartiteurs n’ont rien donné, pas plus que le bouche-à-oreille ou la diffusion sur Facebook. « Au début je cherchais un remplacement aux dates de vacances de mon conjoint, j’ai rapidement élargi la recherche de juin à septembre. Je paye les frais de déplacement, je laisse ma maison… Et rien. Pas une seule réponse. » Jusqu’alors Isabelle pouvait compter sur sa remplaçante « officielle », mais celle-ci a rejoint les effectifs hospitaliers en janvier dernier, laissant les titulaires de sa zone d’intervention dans l’expectative.
Une situation qui n’étonne pas Armand Grémeaux, dirigeant du cabinet Pharm-Emploi qu’il a créé en 1994. « Nous sommes face au même problème que pour les médecins. On a restreint le nombre de places et créé un goulot d’étranglement. Même si la suppression du numerus clausus va permettre de former davantage de pharmaciens, il va falloir attendre le temps de la formation pour en ressentir l’effet. En attendant la situation est catastrophique, je réponds à peine à 10 % des demandes de titulaires et il ne faut pas qu’ils fassent la fine bouche. » Non pas que les pharmaciens disponibles soient moins valables, mais plutôt qu’il n’est pas possible de répondre à certaines exigences comme parler telle langue étrangère ou connaître tel logiciel métier. Une pénurie qui pousse Armand Grémeaux à remettre en cause les chiffres publiés par Pôle Emploi, « qui comptabilise le nombre de demandeurs d’emploi se déclarant pharmacien sans vérifier que leur diplôme permet bien d’être pharmacien en France. Or les diplômes délivrés hors Union européenne ne le permettent pas ».
Dernière minute
Sans pousser l’analyse aussi loin, Muriel Darniche, ancienne titulaire et fondatrice en 2013 de l’agence de recrutement Team Officine située à Nantes, se demande aussi où sont cachés tous ces pharmaciens au chômage. « Je confirme qu’il y a plus de difficultés pour trouver des remplaçants cette année que l’année dernière, qui elle-même était plus difficile que l’année précédente. Le problème s’accentue puisque le nombre de diplômés engagés dans la filière officine diminue, le manque de préparateurs est non résolu depuis plusieurs années et provoque un glissement vers les pharmaciens adjoints, et on assiste à une fuite des diplômés. » En revanche, pour Muriel Darniche, la fin du numerus clausus ne va pas résoudre la « crise des vocations ». Team Officine ne peut satisfaire toutes les demandes des titulaires, d’autant que les candidats deviennent plus exigeants. C’est pourquoi elle incite les officinaux à repenser l’attractivité du métier auprès des jeunes. « Ils doivent se poser la question de savoir ce qui leur permettrait d’avoir l’avantage sur un confrère lors d’un recrutement. Il faut montrer ce que l’entreprise sait faire, se soucier du bien-être au travail des pharmaciens recrutés pour pouvoir continuer l’aventure avec eux », préconise Muriel Darniche.
Marjorie Puthot est aussi une ancienne titulaire et son agence de travail temporaire 24/7 Services est parfaitement au fait des besoins d’une officine. « L’été est la période pour laquelle nous recevons le plus de demandes, même si leur volume est important tout au long de l’année. » Principalement basée à Paris et sa région et plus récemment à Lyon, 24/7 Services rayonne sur tout le territoire grâce à un volant de « pharmaciens sac à dos ». Elle peut aussi compter sur ses « pharmaciens pompiers » pour les urgences de dernière minute : le remplaçant qui « plante » le titulaire au dernier moment, une hospitalisation imprévue, un accident de la vie…
Créée en 1994, l’agence d’intérim 3S Santé constate aussi que la situation « ne s’améliore pas ». Elle répond néanmoins à environ 70 % des demandes de remplacement pendant la période estivale grâce à un important vivier de candidats. « De plus en plus de pharmaciens préfèrent faire appel à l’intérim quand ils ont besoin de quelqu’un pour une semaine ou un mois, indique le directeur fondateur Jean-Luc Sicnasi. Cela leur évite les déclarations de remplacements, les bulletins de salaires, etc. L’agence s’en charge : nous signons un contrat, nous offrons une prestation clé en main, le titulaire règle une facture de prestations de services. »
Qualité de vie
Pourtant, les intérimaires se font plus rares. Selon les données publiées par l’Ordre des pharmaciens en mai dernier, une décroissance importante des effectifs a été enregistrée en 2016 (-14,4 %) et en 2017 (-18,6 %). Elle ralentit en 2018 (-2,8 %) pour atteindre un effectif de 2 647. Ce que Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D de l’Ordre, analyse comme une « tendance à la baisse des remplacements occasionnels au profit d’une présence accrue d’adjoints pour assurer les missions de santé publique de l’officine ». Une vision positive partagée par Philippe Denry, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), même si la baisse d’intérimaires impacte les recherches de remplaçants. « Les difficultés, variables selon les régions, sont une réalité. Les remplaçants ont des exigences en termes de qualité de vie qui n’existaient pas il y a 10 ou 15 ans. » Une réalité à laquelle Philippe Denry est lui-même confronté. Titulaire à Gondreville (Meurthe-et-Moselle), son remplaçant habituel ne pourra finalement pas assurer une partie de la période initialement prévue.
Brigitte Jacques, titulaire dans le Doubs, a connu cette situation il y a une dizaine d’années. « Le remplaçant nous a laissés tomber une semaine avant sa prise de poste. » Mais la chance lui sourit. Un pharmacien de Strasbourg, nouvellement retraité, lui propose immédiatement ses services après avoir lu son annonce désespérée dans un journal professionnel. La leçon est tirée. Brigitte Jacques propose désormais à d’anciens titulaires d’assurer ses remplacements. Ce sera d’abord Chantal, contactée peu après qu’elle a vendu sa pharmacie. Enthousiaste à l’idée de ne pas couper brutalement ses liens avec l’officine, elle assurera les remplacements pendant cinq ans. « Ce sont des personnes de qualité qui connaissent le métier, sérieux, réglo, c’est pourquoi je conseille aux titulaires de se tourner vers d’anciens confrères voisins. » Depuis le départ à la retraite de Chantal, Brigitte Jacques fait appel à un autre pharmacien au profil similaire, ravi de rendre service tout en gardant un pied derrière le comptoir.
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