C'est une annonce qui a pris de court l'ensemble de la profession. Dans le cadre du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), le gouvernement souhaite assouplir les règles de la vente en ligne de médicaments sans ordonnance. Comment ? En remplaçant l'obligation pour les pharmaciens d'obtenir une autorisation de l'agence régionale de santé (ARS) pour ouvrir un site de vente en ligne, par une simple déclaration d'ouverture. En permettant à plusieurs pharmacies de mutualiser leurs moyens pour que les « coûts de développement d'un site Internet soient réduits et que des officines de petite taille puissent vendre des médicaments en ligne », détaille Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances. Enfin, en ouvrant la voie aux entrepôts déportés que réclament depuis longtemps les pharmacies les plus investies dans l’e-commerce.
C'est à l'occasion de la 12e Journées de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), le 29 janvier dernier, que son président, Gilles Bonnefond, a lancé les hostilités en alertant la profession et les politiques. Depuis lors, le projet suscite un tollé dans l'ensemble, ou presque, de la profession. « Le gouvernement n'a pas pris la mesure du mécontentement, les pharmaciens sont mobilisés comme jamais. Beaucoup de députés et de sénateurs m'appellent, ils ne comprennent pas ce qui se passe, affirme Gilles Bonnefond. On demande aux pharmaciens de mettre le paracétamol derrière le comptoir, et là on faciliterait sa vente sur Internet, où est la logique ? »
Parasitisme économique
Le président de l'USPO n'est pas le seul à être monté au créneau. Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens a demandé le retrait d'un texte qui n'apporte « aucune garantie de sécurité ». Federgy, le groupe PHR, tout comme l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO) et son président, Laurent Filoche, sont vent debout. « Nous continuerons à lutter contre Leclerc, Amazon et les parasites de tout poil. L’UDGPO s’est assurée, par ses actions judiciaires tant au niveau français qu’européen, que le parasitisme économique des plateformes ne nuirait pas à la santé des Français ! Le gouvernement envisage de leur ouvrir grand la porte. Nous nous y opposerons fermement », promet-il. L'Académie nationale de pharmacie a elle aussi exprimé son inquiétude et ne voit pas comment ce texte pourrait avoir des « conséquences bénéfiques pour les patients ».
Dans un communiqué, l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) a également fait part de son courroux, en disant « non à l'ubérisation de la pharmacie ». Le syndicat étudiant redoute l'apparition d'une « pharmacie à deux vitesses » et estime que « les plateformes en ligne de mise en relation n'ont pas démontré leur intérêt pour le patient et seraient délétères pour la profession de santé publique ». Selon un sondage mis en ligne sur le site de l'USPO et auquel ont répondu près de 6 500 pharmaciens, 98,9 % d'entre eux sont « défavorables au développement des plateformes pour les médicaments » et 97,7 % des sondés ne pensent pas que « le commerce électronique soit nécessaire pour avoir accès aux médicaments en France ».
Un pont d'or pour Amazon
Le 5 février, jour de présentation du projet de loi ASAP en Conseil des ministres, Agnès Buzyn a rejeté toute idée d’ouvrir la vente de médicaments en ligne à Amazon. « Nous ne souhaitons pas que des plateformes vendent des médicaments comme on vend des livres (…) Ce que propose le gouvernement, c’est la capacité de mutualiser entre plusieurs pharmacies cette vente en ligne et que le stock ne soit pas forcément dans le local de la pharmacie. » Catégorique, Gilles Bonnefond, lui, ne veut rien concéder sur ce sujet. « En France aujourd'hui, des patients ont-ils des difficultés pour trouver une pharmacie ? Non, il y a en a forcément une près de chez eux. Souhaitent-ils attendre trois jours pour avoir des médicaments contre le rhume et payer des frais de livraison ? Non plus. Ils ont besoin d'un service pharmaceutique de qualité et les officines, elles, n'ont pas besoin de plateforme. » La priorité pour lui ? Empêcher que la notion de plateforme ne soit incluse dans le code de santé publique. « Si on le fait, on offre un pont d'or à Amazon et il ne faut pas imaginer qu'ils se contenteront de l'OTC », prévient-il.
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), a lui aussi affirmé sa ferme opposition aux assouplissements évoqués. « Ce projet de loi est désespérant parce qu’il permet à des pharmacies françaises de déstructurer le réseau d’officines en les autorisant à avoir un entrepôt déporté de 10 000 m2 pour distribuer sur tout le territoire, ce qui n’a rien à voir avec la pharmacie d’officine et de proximité. » Bien que les dispositions du projet de loi n’ouvrent pas la voie à d’autres acteurs, Philippe Besset, comme le reste de la profession, y voit un premier pas vers Amazon et une certaine incohérence compte tenu des missions récemment confiées aux officinaux. « Tout cela est très dichotomique : d’un côté on demande aux pharmaciens de s’investir dans les territoires, notamment dans les CPTS aux côtés des médecins et des infirmiers, et de l’autre on déstabilise l’officine de proximité par ce type de projet de loi. »
Mobilisation générale
Même si l’avis rendu en avril 2019 par l’Autorité de la concurrence laissait présupposer un futur assouplissement des règles concernant les médicaments en ligne, d’autant que le Premier ministre s’y était montré favorable, les représentants des pharmaciens ont le sentiment d’avoir été trahis. « Nous travaillons sur le sujet depuis deux ans avec le ministère de la Santé pour que l’ensemble des officines françaises puissent avoir un prolongement numérique. Nous étions arrivés à un texte assez satisfaisant l’été dernier, puis la concertation s’est brusquement arrêtée, relate Philippe Besset. Et aujourd’hui on voit apparaître un texte qui n’a rien à voir, issu du ministère de l’Économie. Je ne comprends pas qu’Agnès Buzyn se soit fait déposséder de ce projet de loi au profit de Bercy, il faut absolument que le ministère de la Santé reprenne la main. » Car l'opposition quasi unanime des officinaux pourrait aboutir à une mobilisation générale de la profession. Comme en 2014, lorsque les pharmaciens avaient baissé leur rideau pour contrer Leclerc. « Nous sommes prêts à faire la même chose cette année, annonce le président de l'USPO. La mobilisation générale, ce n'est pas une menace en l'air. » Prochaine étape : le projet de loi ASAP sera examiné au Sénat à partir du 17 février.
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