Technologies et pharmacie

La lente gestation du cyberpharmacien

Publié le 27/06/2016
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Les pharmaciens sont certes habitués aux nombreuses technologies qui structurent leur activité, notamment du côté du back-office. Mais face à la généralisation des technologies numériques, il a encore un peu de mal à muer vers un profil de cyberpharmacien, qui demande un vrai labeur, au sens étymologique du terme.

Les pharmaciens sont rompus aux nouvelles technologies depuis plus de trente ans. Tiers-payant, gestion des stocks, gestion officinale, puis automatisation… Et pourtant, persiste l’image d’une profession un peu vieillotte, frileuse face aux nouveaux usages technologiques. C’est qu’au fond, malgré la généralisation des outils mobiles qui transforment nos vies, la santé reste encore à l’écart du phénomène.

Rien à voir avec les pharmaciens eux-mêmes, qui, dans leur coin et selon leur degré de motivation, poursuivent bon an mal an leur chemin et défrichent le terrain autant qu’ils le peuvent. Le « cyberpharmacien » n’existe donc pas encore, si ce n’est sous la forme de cas certes exemplaires mais isolés.

« Pour que la pharmacie numérique fonctionne il faut que l’ensemble de la profession y aille », commente Jean-Christophe Mercier, titulaire de la pharmacie Mercier à Montereau, en Seine et Marne. « Seuls, on se fait bouffer… » Une solitude qui doit affronter un paradoxe apparent, le grand public est de plus en plus sensible aux outils mobiles, les plus jeunes totalement habitués, et pourtant, la patientèle, bien souvent, ne semble pas mûre. Comment gérer ce paradoxe ?

Rester en face-à-face

Les exemples qui suivent montrent que pour surmonter cet obstacle, il faut une intention, un objectif auxquels les titulaires sont fermement attachés. Face à des usages devenus courants, Facebook par exemple « dont il faut bien dire que c’est un peu comme les Pages Jaunes d’hier, estime Jean-Christophe Mercier, il faut savoir s’en servir pour proposer un service, prolonger l’activité de la pharmacie. »

Le titulaire dispose d’une page Facebook qu’il alimente depuis deux ans, sur des sujets professionnels tels que la prévention. Par ailleurs, un système de click & collect disponible sur le site Web commence à donner de vrais résultats. Conditions sine qua none pour que ça marche, rester dans une perspective de face-à-face, « le contact est indispensable avec le patient, insiste Jean-Christophe Mercier, et l’équipe doit avoir cet esprit », utiliser les technologies interactives pour apporter un conseil. Une utilisation qui ne va pas de soi, il y a ceux pour qui c’est facile, et les autres.

Ne rien laisser au hasard

C’est aussi le problème auquel a été confrontée Ludivine Morvillez, co titulaire de la pharmacie du cœur de bourg, à Hermanville sur Mer, dans le Calvados. « Nous n’avons pas eu de changement radical jusqu’à récemment, que ce soit la mise en place du site Internet, du click & collect ou encore l’envoi de SMS pour les traitements de pathologies chroniques, mais il a fallu progressivement mettre en place des procédures pour ne rien laisser au hasard », raconte-t-elle. « Ce sont des choses certes très simples, savoir répondre à un message au bon moment, par exemple, mais cela demande en réalité une organisation rigoureuse, rater une information est très rapide si l’on n’est pas vigilant. »

Pendant toutes ces années, la pharmacie a petit à petit trouvé les bonnes procédures, boîtes mail dédiées, agendas partagés notamment de façon à ce que chacun sache ce qu’il a à faire. Les membres de l’équipe qui ont le plus d’affinités avec ces technologies forment les autres pour qui ce n’est pas toujours évident, les premiers doivent aussi comprendre les seconds, explique en substance Ludivine Morvillez. « Techniquement, c’est d’une grande simplicité à utiliser, mais derrière, cela demande presque une gestion de projet ».

Le pharmacien mobile

Cette expérience engrangée au fil des ans a permis à l’équipe officinale de faire face au grand changement opéré il y a plus de six mois qui, au terme d’un réagencement total, a intégré le concept de pharmacie digitale développé par PHR, groupement auquel elle est adhérente. Un changement plus radical que ce qu’elle a pu connaître jusqu’à présent, car il modifie fondamentalement la relation avec les patients et les clients.

« Nous ne sommes plus cantonnés aux comptoirs, nous bougeons beaucoup plus, allons vers les clients, munis de tablettes, pour les conseiller et les aider à utiliser les différents outils mis en place », décrit Ludivine Morvillez. « Cette nouvelle gestion de l’espace trouve son support dans celle du temps, nous ne pouvons en perdre, au moment où nous sommes avec le patient, nous sommes 100 % avec lui. »

Faire bien, assurer le conseil tout en optimisant le temps, en gérant les files d’attente, voilà ce qu’a réussi la pharmacie, pour preuve le succès que commence à avoir le pôle digital auprès des patients, mais qui n’est apparu qu’à partir du moment où l’équipe s’est mobilisée pour les y amener.

La gestion du temps va avec celle du conseil, et c’est ce qui a aussi motivé Pierre Olivier Masson, titulaire de la pharmacie Saint-Patrice à Bayeux, également dans le Calvados. Pierre Olivier Masson a choisi de remplacer son ancien robot vieux de 15 ans et en a profité pour se lancer dans une expérience digitale d’un autre genre, celle des linéaires OTC, derrière les comptoirs.

Mais pour l’ensemble de l’officine, s'il y a eu un moment de rupture, c’est celui de la première robotisation, qui a libéré du temps, temps qu’il a fallu consacrer à autre chose, par exemple à préparer l'équipe au conseil sur les sujets prioritaires de l’officine, la diététique, la micronutrition, les huiles essentielles etc…

« Les linéaires digitaux ne sont jamais qu’un prolongement de la robotisation, en tout cas pour l’équipe », explique Pierre-Olivier Masson. « C’est intéressant pour la gestion de stock et l’optimisation des commandes, mais ça l’est aussi en termes de communication, les patients sont beaucoup plus sensibles à l’information des linéaires digitaux que celles des écrans traditionnels, les écrans plus grands, les informations plus claires, la dynamique de l’image… C’est plus vivant. »

Hakim Remili

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3277