Définition et critères diagnostiques
La dénutrition correspond à une diminution des apports alimentaires, pouvant provoquer des carences multiples et une détérioration de la santé.
Cliniquement, elle se traduit par :
- Un amaigrissement de 5 % du poids en un mois, ou de 10 % en six mois, la masse musculaire étant la plus impactée.
- Et/ou un IMC < 21.
- Et/ou une albuminémie < 35 g/L, l’albumine étant la protéine la plus abondante dans le sang (à interpréter en fonction de l’état inflammatoire et hydroélectrolytique du patient puisqu’elle diminue en cas d’inflammation et augmente en cas de déshydratation).
- Un score MNA (Mini Nutritional Assessment) < 17/30.
On parle de dénutrition sévère lorsque la perte de poids est > à 10 % en un mois ou à 15 % en six mois, si l’IMC est < 18 ou si l’albuminémie est < 30 g/L.
Il existe plusieurs sortes de dénutrition :
- L’endogène (ou syndrome d’hypercatabolisme) : provoquée par une pathologie infectieuse, de la cicatrisation et de la réparation tissulaire comme les escarres…
- L’exogène : due à une diminution des apports alimentaires.
- La mixte : endo- et exogène.
Plus la prise en charge de la dénutrition est précoce, plus elle est efficace.
Facteurs de risque
De nombreux facteurs favorisent la survenue d’une dénutrition chez les sujets âgés.
- Facteurs psychosociaux : isolement social, deuil du conjoint, difficultés financières, changement des habitudes de vie (hospitalisation, entrée en institution).
- Facteurs pathologiques : affection aiguë ou décompensation d’une pathologie chronique.
- Facteurs médicamenteux : polymédication, médicaments entraînant une sécheresse de la bouche, une dysgueusie ou des troubles digestifs.
- Troubles bucco-dentaires : difficultés à mastiquer, appareillage mal adapté, candidose oropharyngée, sécheresse de la bouche, dysgueusie.
- Régimes restrictifs : sans sel, diabétique, hypocholestérolémiant…
- Syndromes démentiels, troubles neurologiques et syndromes dépressifs.
- Troubles de la déglutition.
- Dépendance pour l’alimentation et la mobilité.
Effets néfastes de la dénutrition
La dénutrition a de nombreuses conséquences sur la santé. Tout d’abord, elle entraîne une asthénie et une baisse de l’immunité ; les patients sont alors fragilisés et plus à risque d’infections ou d’escarres. La fatigue augmente également le risque de chutes et chez les sujets âgés atteints d’ostéoporose, les fractures sont fréquentes. Or celles-ci sont des facteurs de risque importants de perte d’autonomie. La dénutrition a également des effets délétères au point de vue médicamenteux. En effet, l’albumine se lie dans le sang à de nombreux médicaments se trouvant alors inactifs. L’hypoalbuminémie que l’on observe dans la dénutrition est donc à l’origine d’une augmentation de la part de formes non liées et donc actives du médicament, cela pouvant entraîner un surdosage (notamment avec les AVK). Enfin, les personnes âgées ont tendance à avoir moins de contacts sociaux lorsqu’elles sont fatiguées. Or l’isolement est une des causes de l’apparition d’une dépression. Au final, la dénutrition plonge le sujet âgé dans un cercle vicieux qui le fragilise et augmente la morbidité, d’où l’importance de la prendre en charge le plus précocement possible.
Dépistage
Le dépistage de la dénutrition est primordial. Chez les personnes âgées n’étant pas à risque de dénutrition, il doit avoir lieu une fois par an en ville et lors de chaque hospitalisation. Pour celles vivant en institution, il est recommandé de le renouveler chaque mois. Enfin pour les sujets à risque de dénutrition, la surveillance doit être plus fréquente.
L’objectif est d’estimer l’appétit et les apports alimentaires du patient, de le peser, de comparer son poids aux mesures antérieures et de calculer son IMC (IMC = poids/taille2, le poids étant en kilogrammes et la taille en mètre). Le MNA (Mini Nutritional Assessment) peut également être utilisé. Il s’agit d’un outil validé pour dépister la dénutrition des personnes âgées. Il consiste en un questionnaire à la recherche des facteurs de risque de dénutrition avec une enquête alimentaire rapide et la mesure de marqueurs nutritionnels. Le « MNA court », qui correspond aux six premières questions, permet de faire un premier dépistage. Si son score est inférieur ou égal à 11 points, le test doit alors être réalisé en entier.
Prise en charge préventive
À l’officine, ouvrir le dialogue sur les apports alimentaires avec une personne âgée ou un membre de son entourage permet d’alerter sur ce qu’est la dénutrition, les risques qu’elle entraîne, mais aussi les moyens de l’éviter. Le pharmacien peut ainsi faire valoir son rôle de conseil, notamment auprès des proches du sujet. En effet, certains détails observés par l’entourage peuvent être de bons indicateurs sur un risque de dénutrition : un réfrigérateur vide, un animal de compagnie qui grossit (et mange peut-être à la place de la personne), des vêtements trop grands…
De plus, pour les personnes âgées en perte d’autonomie, la mise en place d’aides permet d’éviter d’arriver à une situation critique et plus difficile à prendre en charge :
- Pour les sujets en perte de mobilité, il convient de choisir du matériel adapté : couverts ergonomiques avec manches facilitant la préhension et antidérapants au bord de l’assiette par exemple.
- Aide à domicile pour les courses et la préparation des repas.
- Présence d’un aidant au moment des repas, en laissant du temps à la personne.
- Portage des repas si nécessaire.
L’alimentation doit également être adaptée au contexte clinique du patient. Ainsi, en cas de troubles de la mastication, il faut privilégier les aliments faciles à consommer, servir de la viande hachée, des soupes, du thon émietté, des fruits mûrs ou cuits… Pour ce qui est des troubles de la déglutition, une alimentation mixée mais pas trop liquide pour éviter le risque de fausse route doit être privilégiée, en prévoyant aussi de l’eau gélifiée.
Le côté social et psychologique des repas ne doit pas être négligé non plus. Il faut redonner du plaisir à passer à table. Si le goût s’altère, utiliser des aromates et autres condiments permet de relever le goût des plats et de rendre du plaisir à manger. Le fait d’établir un cadre agréable pour les repas est également très important : mettre une nappe, décorer l’environnement, servir le repas dans un plat… Il faut prendre son temps et si possible s’assurer que la personne âgée ait de la compagnie, au moins de temps en temps.
Enfin, des conseils alimentaires simples peuvent être donnés. Le rythme de trois repas quotidiens et d’un goûter doit être maintenu. Le dîner ne doit pas être pris trop tôt pour éviter les fringales en cas de réveil précoce. Les apports en protéines doivent être quotidiens afin d’éviter la fonte musculaire et la consommation d’au moins trois produits laitiers par jour permet un apport suffisant de calcium pour lutter contre l’ostéoporose et réduire les risques de fractures osseuses.
Prise en charge curative
Plus la prise en charge est précoce et plus elle est efficace. Elle doit inclure tous les facteurs de dénutrition, qu’ils soient médicaux, sociaux ou psychologiques. Les causes pathologiques doivent également être recherchées afin de mettre en place un traitement adapté. Le médecin vérifie ainsi l’absence de mycose buccale, d’ulcère gasto-duodénal, d’un appareil dentaire mal adapté… Les traitements habituels du patient peuvent aussi être révisés en cas de présence de médicaments responsables d’anorexie. Les objectifs chez une personne âgée dénutrie sont des apports énergétiques de 30 à 40 kcal/kg/j et des apports protéiques de 1.2 à 1,5 g/kg/j. Il existe plusieurs niveaux de prise en charge nutritionnelle : Par voie orale : en première intention et en l’absence de contre-indication : conseils nutritionnels, aide à la prise alimentaire, alimentation enrichie et compléments nutritionnels oraux (CNO).
Conseils nutritionnels : il s’agit en premier lieu de respecter les repères du Programme national nutrition santé (PNNS) :
- Viandes, poissons ou œufs : deux fois par jour.
- Lait et produits laitiers : trois à quatre fois par jour.
- Pain, autres aliments céréaliers, pommes de terre ou légumes secs : à chaque repas.
- Fruits et légumes : au moins cinq portions par jour.
- Eau (ou autres boissons : jus de fruits, tisanes, etc.) : 1 à 1,5 litre par jour sans attendre la sensation de soif.
Il faut également augmenter la fréquence des prises alimentaires dans la journée, éviter une période de jeûne nocturne trop longue (> 12 heures), privilégier des produits riches en énergie et/ou en protéines et adaptés aux goûts du patient, organiser une aide au repas (technique et/ou humaine) et favoriser un environnement agréable. Une consultation chez un diététicien est une aide supplémentaire.
Enrichissement de l’alimentation : son but est d’augmenter l’apport énergétique et protéique d’une ration sans en augmenter le volume. Pour cela, on ajoute à l’alimentation traditionnelle des produits tels que fromage râpé (20 g = 5 g de protéines), œufs (1 jaune = 3 g de protéines), crème fraîche épaisse (1 cuillère à soupe = 80 calories), lait concentré entier (3 cuillères à soupe = 8 g de protéines)…
CNO : Ce sont des mélanges nutritifs complets administrables par voie orale, hyperénergétiques (> 1.5 kcal/mL ou g) et/ou hyperprotidiques (protéines > 7 g/100 ml ou 100 g), de goûts et de textures variés. Le but est d’augmenter les apports de la journée ; ils ne doivent donc pas se substituer à un repas. L’idéal est de les consommer lors de collations (à 2 heures de distance d’un repas) ou éventuellement en fin de repas. Ce sont des Aliments Destinés à des Fins Médicales Spéciales (ADDFMS) et leur prescription entre dans le cadre des dispositifs médicaux.
Stratégie thérapeutique : en cas de dénutrition modérée, la prise en charge débute par des conseils nutritionnels et l’enrichissement de l’alimentation. En cas d’échec de cette thérapeutique ou de dénutrition sévère d’emblée, des CNO doivent être ajoutés en collation.
La prescription initiale des CNO est établie pour un mois maximum. Les ordonnances ultérieures peuvent mentionner un traitement de trois mois après réévaluation. La HAS (Haute Autorité de Santé) recommande une prescription de CNO permettant d’atteindre un apport alimentaire supplémentaire de 400 kcal/jour et/ou de 30 g/jour de protéines. Cela nécessite le plus souvent deux unités quotidiennes. La variété de leurs formes et de leurs saveurs permet de s’adapter aux goûts de chacun et d’éviter une certaine monotonie, source de lassitude et de non-observance du traitement. Il existe ainsi des compléments sucrés sous formes lactées (en version liquide ou en crème dessert), de jus de fruits, de compotes ou de biscuits mais aussi des salés avec des soupes ou des plats cuisinés mixés. Si les sucrés sont souvent plus appréciés lorsqu’ils sont servis frais, les salés peuvent être réchauffés au bain-marie ou au four à micro-ondes. Une fois ouvert, ils peuvent être conservés deux heures à température ambiante ou 24 heures au frais. Certains laboratoires proposent également des fiches recettes.
L’observance du traitement, la reprise de poids et l’estimation des apports alimentaires spontanés constituent les critères d’efficacité de la nutrition par voie orale. Si la situation se dégrade, une autre stratégie doit être mise en place.
Par voie entérale : il s’agit d’une prise en charge de deuxième intention. Le médecin y a recours si et seulement si la voie orale est impossible (en cas de troubles graves de la déglutition ou d’obstacle digestif au niveau de la bouche, du pharynx et/ou de l’œsophage) ou insuffisante (échec d’une alimentation enrichie bien conduite avec utilisation de CNO). Elle doit être initiée en hospitalisation pour s’assurer de la tolérance et proposer une éducation thérapeutique au patient et à son entourage. Elle peut ensuite être poursuivie à domicile. Elle consiste à administrer une solution nutritive dans le tube digestif par l’intermédiaire d’une sonde. Il existe deux types de sonde d’alimentation entérale selon la durée du traitement :
- La sonde nasogastrique : cette voie est à privilégier pour une utilisation provisoire, c’est-à-dire de moins d’un mois en général. Il s’agit d’un tuyau très fin introduit par le nez et qui descend jusqu’à l’estomac.
- La sonde de stomie : elle est utilisée lorsque l’alimentation entérale est prévue pour plus d’un mois ou qu’il existe une contre-indication à la sonde nasogastrique. Elle est directement introduite dans l’estomac (gastrostomie) ou l’intestin (jéjunostomie) grâce à la réalisation d’une stomie à travers la paroi abdominale. Cette intervention a lieu sous anesthésie, locale ou générale.
Les produits de nutrition entérale sont des aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales. Ils sont conditionnés en poches ou flacons prêts à l’emploi, que l’on accroche à une potence, et qui sont reliés à la sonde par une tubulure. Un régulateur de débit peut également être utilisé. La nutrition entérale peut être programmée de jour comme de nuit. Ils contiennent des protéines, des glucides et des lipides et sont supplémentés en oligo-éléments et vitamines. Certains contiennent également des fibres et sont destinés aux patients présentant des troubles du transit. Ils n’apportent par contre pas assez d’eau, le patient devra donc également être hydraté (poche à eau ou passage de liquide dans la sonde si le sujet a du mal à boire). Ils se conservent à température ambiante.
Enfin, la nutrition entérale peut être à l’origine d’effets indésirables tels que des diarrhées, une constipation, des nausées ou vomissements ou des reflux. De plus, la sonde doit être rincée à l’eau avant et après le passage des nutriments afin d’éviter qu’elle ne se bouche.
Par voie parentérale : cette voie correspond à du dernier recours. Dans ce cas, le mélange nutritif est directement introduit dans la circulation sanguine via une perfusion intraveineuse, et ne passe donc pas par le système digestif. Elle est mise en place en milieu hospitalier et peut également être poursuivie à domicile. Elle n’est qu’exceptionnellement utilisée et est réservée à trois situations :
- Malabsorptions sévères anatomiques ou fonctionnelles.
- Occlusions intestinales aiguës ou chroniques.
- Échec d’une nutrition entérale bien conduite.
Les mélanges nutritifs industrialisés couvrent les besoins nutritifs « standards ». On les qualifie de ternaires car ils sont composés de solutions de glucose, d’acides aminés et d’émulsions lipidiques. Des mélanges binaires sont également disponibles si l’on veut éviter l’apport de lipides. Ne contenant ni vitamines ni oligo-éléments, des supplémentations doivent être réalisées. Ces produits se conservent à température ambiante. Il existe aussi des mélanges nutritifs « selon la formule » qui sont fabriqués extemporanément et adaptés aux besoins d’un patient en particulier. Ces derniers doivent être conservés au frais.
À noter que pour les personnes âgées en fin de vie, la prise en charge nutritionnelle se limite à du plaisir et du confort pour le patient. La nutrition par voie entérale ou parentérale n’est pas recommandée.
Suivi de la dénutrition
Le suivi d’une dénutrition permet de voir si la prise en charge est efficace et de l’adapter au besoin. Trois critères doivent être étudiés :
- Le poids : la personne âgée doit se peser une fois par semaine. Selon son autonomie, l’intervention d’une personne tierce peut s’avérer nécessaire.
- Les apports alimentaires : ils doivent être suffisants et adaptés au contexte clinique du sujet.
- Le dosage de l’albuminémie.
En cas de dénutrition modérée, la réévaluation a lieu quinze jours après l’initiation du traitement. En cas de dénutrition sévère, elle est avancée à sept jours. Il faut également tenir compte de l’évolution des pathologies sous-jacentes.
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