« Le cannabis thérapeutique est un sujet compliqué et parfois mal compris », souligne Ludovic Rachou, membre de l’Union des Industriels pour la Valorisation des Extraits de Chanvre (UIVEC), le syndicat professionnel représentant l'ensemble de la filière des extraits de chanvre non stupéfiants, comme le cannabidiol (CBD).
La France a mis en place une expérimentation du cannabis thérapeutique depuis mars 2021, sous l’impulsion d’Olivier Véran. Initialement autorisée pour deux ans, cette expérimentation a été prolongée d’une année. « L’Espagne a annoncé récemment un projet de loi pour lancer sa propre expérimentation. En tout, en Europe, 22 pays ont un programme sur le cannabis médical », détaille-t-il. Les modèles sont différents selon les pays, mais beaucoup sont en lien avec la préparation magistrale, réalisée par des pharmaciens à destination des patients. Les pathologies ciblées sont principalement le traitement de la douleur, notamment pour les formes inhalées, ou l’épilepsie. « Des travaux sont en cours au niveau de l’agence du médicament européenne, l’EMA, afin d’aboutir à terme à un cadre pour le cannabis thérapeutique », indique Ludovic Rachou. En 2023, le plus gros marché était le marché allemand, avec près de 400 millions d’euros. « La cible potentielle de ces traitements pourrait représenter 1 % de la population européenne », estime-t-il.
En France, cinq indications thérapeutiques ont été retenues pour expérimenter l’usage du cannabis à des fins médicales : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non) ; certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes ; certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements ; des situations palliatives ; la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central. Le cannabis est prescrit en dernière ligne de traitement pour des patients en impasse thérapeutique.
Les fleurs bientôt plus disponibles
Les produits utilisés dans le cadre de l’expérimentation sont des huiles ou des fleurs. Mais le fournisseur actuel de fleurs de cannabis et son exploitant ont informé les autorités sanitaires de leur décision de ne pas poursuivre la fourniture de fleurs séchées pour vaporisation après le 26 mars 2024. Elles ne seront donc bientôt plus disponibles. Par ailleurs, l’expérimentation avait été prolongée une première fois jusqu’en mars 2024 et va être à nouveau prolongée jusqu’à ce qu’un médicament à base de cannabis soit autorisé et disponible et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024. Cela permettra d’assurer la continuité de traitement pour les patients déjà inclus au 26 mars 2024. Après cette date, aucun nouveau patient ne pourra plus entrer dans l’expérimentation.
En France, cinq indications ont été retenues pour expérimenter l’usage du cannabis à des fins médicales
« Le but de cette expérimentation était de tester le mode de prescription et de dispensation et de vérifier s’il y avait une adhésion des professionnels de santé », rappelle Ludovic Rachou. Il ne s’agissait donc pas de contrôler l’efficacité du cannabis thérapeutique.
Aujourd’hui environ 2 000 patients sont inclus, sur un total prévu de 3 000. 800 établissements de soin participent et de nombreux pharmaciens sont représentés dans l’expérimentation.
Autorisation temporaire de 5 ans
« Depuis le 21 avril 2023, la direction générale de la santé pilote un groupe de travail sur le cannabis thérapeutique afin de réaliser une ébauche du cadre potentiel d’autorisation. Les fournisseurs de produits participent à la rédaction d’une proposition détaillée réglementaire », souligne le représentant de l’UIVEC. Parmi les dispositions particulières à prévoir, il faut notamment se pencher sur les critères d’évaluation des médicaments en vue de leur autorisation, sur l’étiquetage, les modalités de fixation du prix, de prescription mais aussi de délivrance, etc. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 prévoit que les médicaments à base de cannabis feront l'objet d'une autorisation d'utilisation pour une période temporaire de 5 ans, délivrée par l'ANSM. « Les demandes d’autorisation devraient débuter au 2e semestre 2024. Nous espérons que la généralisation commencera au 1er janvier 2025 », prévoit Ludovic Rachou.
D’après un webinaire organisé par l’Union des Industriels pour la Valorisation des Extraits de Chanvre (UIVEC), Vegepolis Valley et Atlanpole biothérapie.
L’expérimentation valide la faisabilité du circuit hôpital-ville
Démarrée en mars 2021, l’expérimentation du cannabis thérapeutique n’est pas terminée, mais de premiers enseignements peuvent en être tirés. Le point avec le Pr Nicolas Authier, psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand.
« Parmi les études publiées sur le cannabis thérapeutique, une grande partie n’ont pas un niveau de preuve suffisamment élevé pour conclure à l’efficacité de ces produits. Il y a beaucoup d’études observationnelles et beaucoup d’études où la qualité du produit n’est pas connue », regrette le Pr Nicolas Authier, psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand, spécialisé en pharmacologie et addictologie et chercheur dans l’unité Inserm Neuro-Dol. Les douleurs chroniques représentent la première indication de prescription.
« Les familles de médicaments utilisés sont à base de cannabinoïde tétrahydrocannabinol (THC) ou de cannabidiol (CBD), avec soit une dominance de l’un ou de l’autre, soit un mélange des deux. Il s’agit de médicaments qui sont aux standards pharmaceutiques et sont prescrits par les médecins et dispensés par les pharmaciens », détaille-t-il. Les huiles sont utilisées principalement par voie orale et pour des traitements de fond, par exemple dans la sclérose en plaques et les douleurs neuropathiques. Les fleurs, utilisées en inhalation après vaporisation, sont plutôt utilisées dans le traitement des crises, pour leur effet rapide mais de très courte durée. « Nous avions accès aux fleurs pour l’expérimentation, mais c’est en train de se terminer », rappelle le médecin.
Amélioration du score de douleur
Dans cette expérimentation, plus de 50 % des patients traités l’étaient pour des douleurs neuropathiques. « Cela concerne 5 à 6 % des Français et se caractérise par des douleurs intolérables, résistantes aux traitements dans deux tiers des cas », précise-t-il. 1 338 patients ont été inclus pour cette indication dans l’expérimentation. 32 % l’ont quittée à cause d’effets indésirables ou d’inefficacité. L’âge moyen était de 59 ans et les patients étaient en majorité des femmes. À partir du 3e mois de traitement, principalement avec du THC et parfois avec du CBD associé, 64 % des patients ont rapporté une amélioration légère de leur état de santé (déclaratif) et 28 % une amélioration importante à très importante. 32 % ont un score de douleur insupportable qui s’améliore d’au moins 30 %. Pour les patients anxieux, 69 % ont rapporté une amélioration de 3 points sur une échelle de 21. Et pour les patients déprimés, 57 % ont constaté une amélioration de 3 points.
La deuxième indication la plus courante, la sclérose en plaques, était traitée plutôt avec un mélange THC-CBD. Une amélioration importante à très importante de l’état de santé a été déclarée par 39 % des patients au 3e mois et par 35 % au 12e mois. Environ 20 % des patients ont rapporté une absence de spasmes. « Cette expérimentation confirme l’efficacité des résultats cliniques dès le 3e mois de traitement », note le chercheur. Par ailleurs, sur 2 054 patients traités, 1 274 effets indésirables ont été enregistrés, concernant 1 013 patients, mais seulement 5,8 % sont graves. « La majorité des effets indésirables (50 %) apparaissent pendant la phase de titration, en début de traitement. La sédation et la somnolence sont les plus fréquents. Des affections neurologiques, psychiatriques, cardiovasculaires et gastro-intestinales ont notamment été rapportées. Les événements indésirables sont plus fréquents avec le THC qu’avec le CBD », remarque-t-il. En tout, 8 effets indésirables en lien avec la pharmacodépendance ont été constatés.
« La conclusion du rapport à deux ans est une validation de la faisabilité du circuit du cannabis thérapeutique dans sa composante hôpital-ville, même s’il faut renforcer l’implication des médecins de ville », rapporte le Pr Authier. Pour lui « le cannabis médical est une médecine personnalisée. La forme galénique est à optimiser et il faut renforcer le niveau de preuves scientifiques avec des produits standardisés, des essais cliniques randomisés, contrôlés en double aveugle et des études médico-économiques ». Il estime enfin qu’il faudra bien identifier les profils des patients concernés et former les professionnels de santé.
À Angers, un protocole de recherche à l’étude en gériatrie
Utiliser les cannabinoïdes dans le traitement des troubles du comportement chez des patients âgés, telle est l’idée du Dr Alexis Bourgeais, gériatre au CHU d’Angers. « Une étude randomisée en Israël a montré une efficacité de ces produits sur l’agitation chez les patients âgés atteints de la maladie d’Alzheimer », explique-t-il. « C’est une population rarement ciblée par les études et il y a une nécessité de développement de nouvelles thérapeutiques pour les troubles du comportement. En première ligne, les méthodes non médicamenteuses sont recommandées mais sont parfois inefficaces et en deuxième ligne, les neuroleptiques sont utilisés mais sont source de nombreux effets secondaires. » Le protocole de cette étude est en cours de rédaction et sa version définitive devrait être déposée en mars.
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