LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Comment qualifierez-vous aujourd’hui le niveau de résistance (psychologique) de la population à la vaccination contre la grippe ?
DR JEAN-MARIE COHEN.- L’attitude des autorités en 2009 a décrédibilisé la vaccination et démobilisé ses ambassadeurs, les médecins et les pharmaciens. Ceci dit, la couverture vaccinale antigrippale reste élevée chez les personnes âgées ; les opposants sont peu nombreux. La population n’est pas hostile au vaccin mais elle ressent l’indécision des autorités et la démobilisation des soignants.
La France peut rattraper son retard : dans les pays où les pouvoirs publics adoptent une politique volontariste, comme l’Angleterre et les Pays-Bas, la couverture vaccinale est très forte et progresse.
Quelles sont les principales critiques et idées fausses qui circulent autour de cette vaccination ?
Les pharmaciens les entendent au comptoir de leur officine : « la grippe, ce n’est pas grave. Inutile de se vacciner ; je vais bien, je n’ai pas encore l’âge ; la grippe, moi, je ne l’ai jamais ; je me suis fait vacciner et j’ai eu la grippe ; j’ai peur des adjuvants et de l’aluminium dans les vaccins ; le vaccin contient du virus A(H1N1) pandémique, c’est dangereux ; pas de vaccin pendant la grossesse ; le vaccin contre la grippe n’est pas efficace… »
L’an passé, le vaccin avait été rendu moins efficace du fait d’une mutation d’une des souches circulantes. Ce risque est-il déjà exclu pour la campagne en cours ?
Le virus grippal est imprévisible. C’est ce qui rend difficile la lutte. Mais il ne faut pas exagérer : l’an passé, la mutation en question n’a concerné qu’un quart des virus grippaux circulant en France. Le vaccin protégeait très bien contre les trois autres quarts. Le vaccin contre la grippe ressemble à la ceinture de sécurité en automobile. Elle n’empêche pas les accidents mais elle réduit beaucoup la gravité des collisions.
Deux études évoquent une perte d’efficacité de la vaccination antigrippale, pour l’une à cause de la répétition annuelle du geste vaccinal, pour l’autre du fait de la prise concomitante de statines. Quel crédit faut-il apporter à ces études ?
Ces études ouvrent des pistes de recherche intéressantes pour… les chercheurs : Comment fonctionne la mémoire immunitaire ? Quel est le lien entre lipides et immunité ? En revanche, elles ne changent en rien les recommandations pratiques.
Elles suggèrent que la prise de statines modifie peut être un tout petit peu l’efficacité du vaccin, mais se vacciner contre la grippe n’empêche pas de continuer à prendre des statines et la prise de statines n’empêche pas d’être vacciné, bien au contraire : la grippe est plus dangereuse chez les personnes à risque cardiaque.
Par ailleurs, s’il se confirme que, dans quelques cas de vaccinations itératives, la mémoire immunitaire s’affaiblit, cela n’est pas une raison pour se priver d’une protection qui sauve la vie. Quelques automobilistes oublient parfois de « boucler leur ceinture », on ne la supprime pas pour autant !
Quels messages doivent, selon vous, véhiculer les pharmaciens pour contribuer à l’obtention d’une meilleure couverture vaccinale cette année ?
Les médecins n’ont pas à expliquer aux pharmaciens ce qu’ils doivent dire. En revanche, voici les arguments que j’emploie personnellement pour combattre les principales objections :
« La grippe, ce n’est pas grave. Inutile de se vacciner ». Ceux qui ont vu un de leur proche jusque-là en bonne santé être hospitalisé en réanimation à cause d’une détresse respiratoire savent que la grippe peut être très grave.
« Je vais bien, je n’ai pas encore l’âge. » La grippe touche tout le monde, surtout les gens jeunes et actifs. C’est parce qu’on est encore jeune qu’on risque d’attraper la grippe et… de la transmettre à ceux qu’on aime : enfants, petits enfants, parents âgés, amis…
« La grippe, moi, je ne l’ai jamais ». Chaque année, en France, 3 à 10 millions de personnes ont la grippe. On n’aura pas toujours la chance d’être épargné.
« Je me suis fait vacciner et j’ai eu la grippe. » Le vaccin ne contient que des fragments de virus tués, qui ne peuvent pas donner la grippe. En revanche, il ne protège pas contre les autres virus respiratoires susceptibles de provoquer les mêmes symptômes que la grippe.
« J’ai peur des adjuvants et de l’aluminium dans les vaccins. » Le vaccin antigrippal saisonnier ne contient ni adjuvant ni aluminium.
« Le vaccin contient du virus A(H1N1) pandémique, c’est dangereux. » Ce qui est dangereux, c’est le virus, pas le vaccin qui n’en contient que des fragments.
« Pas de vaccin pendant la grossesse. » C’est vrai pour les « vaccins vivants » mais, pour la grippe, il s’agit d’un vaccin à virus tués. Mieux vaut dire « pas de grippe pendant la grossesse ». Le vaccin antigrippal est recommandé aux femmes enceintes.
« Le vaccin contre la grippe n’est pas efficace. » L’année dernière, 69 % des personnes grippées admises en réanimation n’étaient pas vaccinées. Le vaccin n’est pas parfait mais il apporte une réelle protection.
Les pharmaciens et les médecins devraient poser systématiquement la question « êtes-vous vacciné contre la grippe ? ». Ce « conseil minute » est efficace. À propos, les pharmaciens et leurs équipes peuvent transmettre la grippe à leurs clients. Êtes-vous vaccinés contre la grippe ?
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