Si l'inflation est sur toutes les lèvres, elle impacte la pharmacie très indirectement. En effet, l'augmentation des prix en pharmacie, bien qu'indiscutable, reste globalement en deçà de l'inflation générale. Plus que la hausse de quelques dizaines de centimes des médicaments à base d'amoxicilline, c'est la flambée du prix des carburants, de l'électricité et de l'alimentation qui amènent les patients à être attentifs à leurs achats. Ainsi, plus d'un tiers des Français déclare limiter sa consommation de certains produits d’hygiène du fait de l’inflation (1). Une nouvelle mentalité de consommation, à laquelle les groupements vont devoir s'adapter (lire page 24).
Une marge en danger
Par ailleurs, la croissance actuelle dans le chiffre d’affaires est portée par les médicaments dits chers (+ 27,43 % pour les médicaments de plus de 1930 euros, + 19 % pour ceux de plus 150 euros), sachant que les pharmaciens n'ont pas de marge sur ceux de plus de 1930 euros. Selon les experts-comptables lors de la « Journée de l’économie de l’officine », sans les médicaments chers, le produit des ventes en pharmacie reculerait de près de 5 %. En 2023, la marge brute globale aurait régressé de 10,42 % par rapport à la période de référence 2022, atteignant 29,87 % du chiffre d'affaires.
Une tendance à la baisse qui risque de persister, en partie car les pharmaciens ne peuvent pas forcément compter sur la disponibilité des médicaments remboursés pour la contrebalancer. De même, les activités liées au Covid ont diminué de près de 95 %, toujours selon les cabinets comptables. S'ajoute à cela les effets délétères liés à la hausse des charges, des frais de personnels et globalement à une augmentation des coûts d'exploitation estimée à 4 % en fin d'année.
De nombreuses approches
Certaines réponses font consensus au sein des groupements. La mise en avant de la carte de fidélité en soutien aux consommateurs et la constitution de paniers anti-inflation, proposant des produits à prix réduit sont les actions les plus communes. Beaucoup de groupements ont aussi accéléré le développement de leur marque de distributeur (MDD). D'autres décident de travailler l'optimisation des achats, notamment via l'utilisation des nouvelles technologies (lire page 20), un point particulièrement important alors que les négociations avec les laboratoires sont plus compliquées que jamais (lire page 20). Mais la lutte contre l'inflation et pour l'augmentation de la marge est aussi indirecte, via l'élargissement de l'offre des services rendus aux officines (numérisation de l'officine, conseils en merchandising, animation commerciale, aide au recrutement, conditions d'achat…).
Certains, comme Hello Pharmacie, jouent sur la marge en réduisant les dépenses, en négociant des partenariats préférentiels avec des prestataires, avant de mettre ces options à disposition des adhérents, sans les leur imposer. « Fournisseurs d'énergie, installations électriques, sécurité incendie, robotique, véhicule de livraison, jusqu'au poseur d'adhésif ! », énumère son président Marc Mougenot. Ce type d'actions permettent de limiter l'inflation liée aux dépenses courantes et d'énergie.
Accompagner sur les nouvelles missions
Un autre aspect de ce combat est de rendre le pharmacien moins dépendant de la seule vente de médicaments. « Je ne pense pas que la réponse à l'inflation des pharmaciens doive suivre la même voie que la grande distribution, revendique Didier Le Bail, président du groupement Les Officinales : Vendre plus et moins cher, c'est ne mettre en avant que l'aspect financier de notre métier. S'il ne faut pas exclure un certain dynamisme commercial, notre avenir, pour ne pas dire notre survie, passe par un recentrage prioritaire sur notre rôle de pharmacien de proximité. »
Ainsi de nombreux groupements voient dans les nouvelles missions l'opportunité pour le pharmacien de renforcer son rôle de soignant, mais aussi de consolider une marge moins vulnérable aux aléas économiques.
Par exemple, en plus d'un soutien complet (accès à des outils de gestion, support commercial, carte de fidélité), Les Officinales s'appuie sur une académie de formation. Cette dernière comprend plusieurs cursus visant à former des « référents » spécialisés (diabète, orthopédie, micronutrition…) en fonction de l'orientation que le titulaire souhaite donner à sa pharmacie. Une approche partagée par Apothera, qui à travers son organisme de formation Pharmacade, forme ses adhérents aux nouvelles missions.
Aprium possède aussi sa propre académie de formation, Aprium Schooll, qui forme chaque année 4 500 pharmaciens et 170 apprentis préparateurs sur le savoir-être, la stratégie d'officine, le développement business, ainsi que sur les nouvelles missions en fonction de leurs besoins. Une priorité pour Laurent Keiser, directeur général d'Aprium : « Les nouvelles missions constituent une réelle chance, et il faut tout mettre en œuvre pour simplifier le parcours de soins du patient au-delà du parcours d’achat. S'il faut apporter une réponse au pharmacien afin qu'il fasse de la marge, cette réponse doit aussi être adaptée au patient. »
Podologie, optique, téléconsultation
Des initiatives dont se félicite Lucien Bennatan, président d'Act Pharmacie, qui a mis en place de nouvelles activités telle que la podologie, l’optique ou la téléconsultation dont l'investissement est pris en charge en majorité par le réseau. « Au-delà de l'optimisation des achats et services back et front office, développer dans l'avenir le rôle du pharmacien dans le système de santé est aussi le devoir des groupements. Il faut être force de proposition, pas juste se contenter d'augmenter la marge. »
Cet accompagnement des pharmaciens est particulièrement important, car la mise en place des nouvelles missions est difficile. « Le manque de place, de temps et de connaissance constitue le principal obstacle », explique Christophe Besnard, directeur réseau pour les pharmacies Lafayette.
Or, « Le service sera une part majeure de notre futur métier, car c'est l'attente de nos patients ! », explique Guillaume Paquin, Président d'Objectif Pharma. En plus d'aider ses adhérents à gérer le back-office (lire en page 22) et à former ses adhérents aux nouvelles missions, son groupement s'est attaché les services du prestataire D Medica pour optimiser l'achat et la location de matériel médical.
L'aide à la gestion
Sur cet aspect, Hygie 31 (Lafayette, Pharmacyal, Pharmacorp) répond également présent. Le réseau propose des services de réaménagement de locaux afin de libérer de l'espace pour mettre en place les TROD ou la téléconsultation. De plus, la présence de Medical Lafayette et du distributeur de matériel médical « Mieux vivre à domicile » lui permet de garantir le bon approvisionnement de ses membres et apporte un savoir-faire supplémentaire sur ce sujet. Les adhérents de Pharmacyal sont également conseillés par des pharmaciens animateurs afin d'adopter une stratégie d'entreprise en phase avec leurs capacités, et donc, plus susceptible d'être rentable. Pharmacorp propose de nombreux services gratuits de gestion de back-office ainsi que d'affacturage pour augmenter les délais de paiement. Enfin, la grande taille du réseau lui permet de négocier des prix moins élevés auprès de ses prestataires.
Si les nouvelles missions figurent l'avenir de la pharmacie, le présent reste plus important que jamais. « Certes, les nouvelles missions sont une voie d'avenir, mais pour l'instant, 80 % de l'économie de l'officine reposent sur le générique : il faut donc optimiser cet aspect, pour dégager du temps et de la marge », tempère Nicolas Lion, directeur de Flexiplus Pharma. Le groupement se concentre sur l'optimisation des achats et des flux de génériques de ses adhérents, basé en partie sur un extracteur de données prenant en compte les sorties produits des officines afin de considérablement fluidifier le processus, économiser du temps et de l'argent.
De son côté, Apothera combine sa centrale d'achat (CAP Optipharm) avec sa société de regroupement à l'achat (SRA) lancée en 2023. Réservée aux adhérents coopérateurs, elle se charge de toutes les étapes entre la commande du pharmacien et la livraison, y compris dans les échanges entre officinaux du groupe. « Elle permet au pharmacien d'obtenir ses produits dans des conditions proches du direct, sans s'engager à atteindre des volumes spécifiques auprès des laboratoires et sans s'occuper de la logistique », explique son directeur Julien Daou. Petit bonus, ses utilisateurs reçoivent également une prime à l'échelle de leur engagement.
Les frais généraux liés au stockage sont un autre levier d’économie. Un sujet dont s’est emparé Giphar, qui dispose de 35 000m2 d’entrepôts et peut livrer les commandes des adhérents en une journée. Un système qui diminue significativement la charge financière due au stockage, « ce qui peut représenter jusqu’à 50 000 euros d’économies », explique Benoît Le Gavrian, président du directoire de Giphar.
L'union fait la force
Si les groupements abordent la lutte contre l'inflation de manière globale, certains se focalisent sur leur spécialité. C'est le cas de DPGS. Constitué à l'origine en 1988 pour améliorer la gestion du tiers-payant des pharmacies, le groupement poursuit ses efforts dans ce domaine. « C'est notre ADN. Nous passons par le prestataire Agetip, qui sert en quelque sorte de caisse d'avance aux pharmaciens, en les aidant dans le cadre du tiers-payant (indus, rejets…). Ainsi, nos adhérents ont le moins possible de problème de trésorerie », explique son président Jean-Claude Pothier.
Conscient que l'union fait la force, son groupement fait partie d'Apsara (2), qui s'est allié à Agir Pharma (3) (réunissant 12 groupements et près d'un millier de pharmacies) afin de peser lors des discussions avec les laboratoires et servir de contrepoids face à ceux financés par des investisseurs extérieurs à la pharmacie. Un rapprochement qui présente aussi l'avantage de coordonner les actions des groupements : animations réseaux, formation sur la communication, l'accueil des clients et la définition des objectifs, prise en charge des augmentations de coût, système de contrôle de factures pour récupérer les remises omises, gestion des réseaux sociaux…
C'est cette union qui permet à des groupements comme Excel Pharma de négocier des prix plus avantageux pour ses adhérents et de contenir ses frais de fonctionnement malgré le contexte inflationniste. Tout comme Cap'Unipharm qui a gelé ses frais logistiques et le montant de sa cotisation, dont les membres peuvent être dispensés s'ils mettent en avant les produits des partenaires prioritaires. En outre, les groupements affiliés ont accès aux MDD des deux entités, un autre avantage de taille pour leurs pharmaciens.
La marque de distributeur, plus indispensable que jamais ?
Car s'il y a bien un outil qui fait l'unanimité, c'est la MDD, qui permet aux pharmaciens groupés de réaliser de la marge additionnelle, tout en faisant profiter le patient d'un tarif attractif (généralement entre 15 à 30 % moins cher que les marques nationales). Au départ concentrées sur le secteur de l'hygiène, les MDD investissent désormais les cosmétiques et le bien-être. Elles donnent aussi au pharmacien l'occasion de se différencier de ses confrères et concurrents, en proposant des produits uniques.
Leur place dans la stratégie des groupements est plus prépondérante que jamais (lire en page 24). Pour beaucoup d'entre eux, comme Giropharm, Évolupharm, Univers Pharmacie et Giphar, le gel et la réduction des prix ainsi que la promotion des références MDD sont des parts importantes de leur stratégie anti-inflation.
Certains réseaux incluent également leurs adhérents dans leur stratégie de communication. C'est ainsi le cas chez Santalis, qui distribue des kits complets d’outils de communication et de recommandations merchandising à ses adhérents. Un outil de mise en avant des MDD constitue, lui, le panier anti-inflation initié par les pharmacies Lafayette dès septembre 2022. « Pour les pharmaciens, c'est l'occasion de rendre accessible les médicaments aux clients/patients », explique Christophe Besnard, qui affirme que le groupement va continuer sur cette lancée jusqu'en 2024, en fonction de l'issue des négociations avec les laboratoires. Ces dernières suscitent l'inquiétude des groupements, mais renforcent aussi leur détermination, tous étant bien décidés à rester fermes, malgré une position bien peu à leur avantage. « Notre force, c'est la discipline collective. À partir du moment où le groupement n'agit pas que pour son intérêt, mais aussi dans l'intérêt de ses pharmaciens, et que ces derniers le sentent, nous sommes capables de peser face aux laboratoires et d'éviter les accords locaux », observe Sébastien de Larminat, directeur général de Totum Pharmaciens.
Choisir un groupement en phase avec ses valeurs
Ces initiatives suffiront-elles à encaisser le choc de l'inflation, voire à transformer cette période difficile en opportunité de développement ? Trouveront-elles un écho positif auprès de la population Française ? Il est encore trop tôt pour le dire. Si aucun groupement ne prétend apporter une réponse parfaite, tous ont conscience que la profession se trouve à un moment charnière. « Si vous êtes jeune titulaire ou voulez vous installer, groupez-vous ! Nous sommes plus forts ensembles ! affirme Laurent Keiser, mais groupez-vous bien, choisissez un groupement en phase avec vos valeurs, vos attentes, et la pharmacie que vous voulez incarner. Avec les nouvelles missions et l'ouverture du répertoire biosimilaire, le métier devient de plus en plus complexe. Il faut avoir de bons outils et être accompagné par des professionnels. » Après tout, pourquoi rester seul lorsqu'on peut être bien accompagné ?
(1) étude Ifop pour Dons Solidaires (mars 2023)
(2) DPGS, Pharm & Free, Pharmasud, Unipharm Gironde, Unipharm Grand Ouest, Unipharm Loire Océan et Unipharm Normandie-IDF
(3) Cap’Unipharm, Excel Pharma, Les Officinales (ex PUC Pharma), Objectif Santé, Tag Pharm.
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