DU FABRICANT de matières premières aux représentants des pharmaciens, en passant par la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) et le LEEM (Les entreprises du médicament) représentant les laboratoires, tous les acteurs de la chaîne du médicament ont répondu présents à l’invitation pour débattre du problème des ruptures d’approvisionnement.
Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, regrette d’abord que les médias aient « crié à la pénurie de médicaments durant l’été, ce qui a contribué à la désinformation. La chaîne du médicament française est reconnue pour son excellence, y compris à l’étranger », tient-elle à souligner, tout en rappelant que cette chaîne doit répondre à deux grands enjeux : l’accès aux médicaments à tous dans la proximité et la protection contre l’entrée de médicaments falsifiés sur le marché. « Les causes des ruptures d’approvisionnement sont multiples et il ne faut pas stigmatiser un des acteurs, plaide t-elle. S’il n’y avait qu’une seule cause, on aurait déjà réglé ce problème depuis longtemps. Mais c’est un problème qui a aussi une dimension internationale. »
Risques de contrefaçons.
Endossant son rôle d’ordinale, elle rappelle que « tous les acteurs de la chaîne ont des règles de santé publique à respecter ». Les officinaux doivent notamment « avoir un stock suffisant et faire de la vente au détail. Ils ne doivent pas se transformer eux-mêmes en grossistes ». Elle insiste également sur l’importance de l’information. « Il n’y a rien de plus désagréable, pour quelqu’un qui est en face du public, de ne pas savoir quoi dire par rapport à une rupture de stocks, témoigne t-elle. Parfois, dans certaines ruptures, les industriels ne peuvent pas savoir réellement quand cela va revenir. Mais quand ils le savent, il faut que l’information soit divulguée. » Selon elle, tous les acteurs doivent s’impliquer dans cette lutte contre les ruptures d’approvisionnement, sous peine de déboucher sur un risque majeur : l’approvisionnement des acteurs « en bout de piste », pharmaciens ou patients, sur d’autres circuits. Avec tous les risques de contrefaçon que cela peut impliquer…
De son côté, Jocelyne Wittevrongel, vice-présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), observe que le problème des ruptures d’approvisionnement peuvent maintenant toucher tous les produits, et pas seulement des molécules très spécifiques, comme c’était le cas au début. Tout comme Isabelle Adenot, elle plaide pour une meilleure information des officinaux, confrontés en première ligne à la méfiance des patients (voir encadré).
Un observatoire au niveau de l’AFSSAPS.
Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), se félicite pour sa part que le ministère de la Santé se soit enfin emparé du sujet. « Le ministre a reconnu que le problème était multifactoriel, ce qui veut dire qu’il faudra trouver toutes les réponses à tous les points soulevés. » Selon lui, « l’agence du médicament doit disposer en permanence d’une évaluation des incidents sur la chaîne de distribution : pour cela, il faut que le pharmacien pense à déclarer automatiquement chaque incident d’approvisionnement, comme il déclare aujourd’hui les problèmes de pharmacovigilance ou d’effets secondaires ». Gilles Bonnefond voudrait également que l’AFSSAPS puisse effectuer elle-même des réglages, si les quotas ne sont pas ajustés correctement. Au sujet des exportations parallèles, il réclame plus de transparence, afin d’éviter « une suspicion permanente, permettant aux laboratoires de fixer des quotas trop sévères ». Il demande aussi la mise en place de « stocks tampons » chez les industriels, afin de pallier d’éventuelles interruptions sur un site de production. Il souhaite par ailleurs que les grossistes ne fassent pas payer de frais de livraison aux pharmaciens, « car leur marge est prévue pour livrer à la pharmacie ». Enfin, le pharmacien « doit aussi être capable d’adapter ses stocks en fonction du patient », souligne-t-il.
Défiance sur toute la chaîne.
« La première qualité du médicament c’est d’être là », ajoute Catherine Morel, vice-présidente de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). « Si le médicament n’est pas là, les patients pensent que c’est parce que l’industrie pharmaceutique produit et se fait de l’argent ailleurs. Ils nous interrogent alors sur la contrefaçon et font des amalgames qui jettent la défiance totale sur toute la chaîne. Nous avons intérêt à nous mettre tous autour de la table pour mettre en place une alerte de tension sur les flux, une anticipation sur les ruptures à venir », propose-t-elle.
Pour sa part, Claude Castells, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), se veut provocateur. « Nous avons commencé l’année en étant désignés comme les seuls responsables du problème. Il ne s’agit pas de nier les ruptures de stocks. Mais n’y a-t-il pas aussi une dramatisation visant à introduire des changements dans la chaîne de distribution ? » s’interroge-t-il. Prenant l’exemple des antirétroviraux, il souligne que la CSRP avait pris l’engagement de ne pas faire de commerce parallèle sur ces médicaments cet été. « Les statistiques montrent qu’il y a eu moins de ruptures de stocks sur ces produits, ce qui n’est pas vraiment en ligne avec ce qu’on a entendu cet été, où l’on avait l’impression qu’il y avait une catastrophe », s’insurge-t-il. De plus, « sur 8 000 AMM qui existent, il y a toujours eu entre 15 et 20 % de produits indisponibles. Mais on constate une sensibilité plus grande à ces sujets », remarque-t-il.
Un problème international.
Autre motif d’agacement : les quotas (voir encadré). « Ils sont calculés par rapport à des parts de marché globales d’un répartiteur. Pour des produits à très faible rotation, il est très difficile de disposer du bon produit au bon moment, dans tous les établissements de répartition », note-t-il. « L’autre problème, c’est que les quotas ne sont pas décidés en France, mais au niveau des maisons mères des laboratoires. Les quantités pour un marché étant figées, si un acteur fait du commerce parallèle, ce qui est parfaitement légal, le marché ne peut plus être alimenté. Ce problème ne pourra pas être réglé sur le marché français, tant que les quotas seront décidés par les maisons mères », estime Claude Castells. Cependant, il souligne que « les pays qui n’ont pas de quotas ont exactement les mêmes problèmes ». De plus, « tous les pays qui ont appliqué un changement du mode de distribution, ont constaté une dégradation du système », ajoute-t-il. Hostile à la fixation d’un double prix pour les médicaments d’exportation parallèle, il estime que ce n’est « qu’une façon de déplacer le problème vers des zones beaucoup plus opaques ».
Quant au numéro d’urgence mis en place par les laboratoires, « il permet de démontrer que le système est défaillant, juge-t-il, pointant une fausse bonne idée ». « Le laboratoire va toujours répondre positivement, mais, dans ce cas, pourquoi ne pas livrer directement le patient ? », lance-t-il, à nouveau provocateur. Enfin, il s’insurge contre les baisses des marges des grossistes prévues dans le PLFSS 2012 : « Les répartiteurs qui souffrent seront amenés à avoir recours à des expédients, comme les exportations parallèles », prévoit-il. Plutôt que ces « mauvaises solutions », la CSRP propose notamment d’identifier une liste de produits sensibles et de mettre en place pour eux un système de distribution sélective, tracée, avec un contrôle des laboratoires concernés et/ou des autorités de tutelle.
Danger pour la santé publique.
Nathalie Chhun, chargée de mission remboursement, distribution, hôpital, au LEEM (Les entreprises du médicament), tient quant à elle à rappeler que les ruptures d’approvisionnement peuvent être liées à trois situations : des difficultés industrielles, qui ne sont pas prévisibles (défaut d’un outil de production, pénurie de matière première, etc.). Dans ce cas, les laboratoires informent immédiatement l’AFSSAPS et étudient avec elle les alternatives possibles. Le deuxième cas concerne des ruptures « anticipables », comme les décisions d’arrêt de commercialisation. « Nous proposons d’allonger les délais de transition, fixés à six mois actuellement, afin de mettre en place une alternative », indique Nathalie Chhun. Enfin, le troisième cas concerne des ruptures qu’on ne peut expliquer, comme dans le cas des antirétroviraux. « Quand on analyse les chiffres, on constate que les volumes livrés sont largement supérieurs aux besoins sanitaires », pointe-t-elle. « Dans ces cas, nous avons mis en place des circuits courts de distribution et nous avons livré parfois jusqu’au patient », explique Nathalie Chhun, provoquant un tollé dans la salle. « Les laboratoires disposent de stocks de dépannage et ont mis en place des numéros d’urgence, à la demande de l’AFSSAPS », se défend-t-elle. Par ailleurs, elle souligne l’inquiétude des laboratoires sur « l’essor de la revente à l’étranger de médicaments normalement destinés aux patients français, par des acteurs qui n’ont ni culture de professionnels de santé, ni responsabilité pharmaceutique dans la chaîne du médicament. Cela pourrait entraîner des problèmes de santé publique », s’alarme-t-elle.
Alerte sur le contrôle des principes actifs.
David Simonnet, président d’Axyntis, un laboratoire de chimie fine, fournisseur de matières premières pour l’industrie pharmaceutique, insiste lui aussi sur le caractère international du problème, alors que la dépendance de l’Europe à l’égard de la Chine et de l’Inde pour ses matières premières pharmaceutiques est passée de 20 % à 80 % en trente ans. Il s’inquiète de l’accélération du phénomène. « On a observé 33 messages d’alerte de l’AFSSAPS en 2011, contre 7 pour toute l’année 2010 », mentionne-t-il. « Sur le site de la Food and drug administration (FDA)*, 70 à 80 médicaments sont constamment indiqués en ruptures de stock. Le phénomène s’est accéléré, du fait de la pression sur les coûts de santé, qui encourage à délocaliser. On va au-devant d’un dérapage et de problèmes beaucoup plus graves à l’avenir », alerte-t-il, tout en soulignant que le niveau de contrôle de la chaîne du médicament avait diminué au cours des années passées.
« L’essentiel des principes actifs vient d’Inde et de Chine, mais ces producteurs sont cinq fois moins contrôlés par la FDA ou l’AFSSAPS. À tel point que l’Union européenne a modifié une directive en mai 2011, afin d’obliger les laboratoires à diligenter un audit de leurs fabricants, ce qui n’était pas fait auparavant », explique-t-il.
Des enjeux politiques.
Selon lui, les ruptures d’approvisionnement auxquelles les laboratoires sont confrontés peuvent être liées à une situation de monopole d’un fournisseur sur certains principes actifs. « L’Inde et la Chine, en détenant ces monopoles, détiennent un pouvoir considérable sur la santé publique d’un pays. Ce n’est donc pas seulement un problème économique, c’est aussi un problème politique », analyse-t-il.
David Simonnet propose donc que l’AFSSAPS puisse recenser, sur toutes les AMM, les situations de monopole ou de duopoles vis-à-vis des principes actifs et que le patient ait des informations sur l’origine des principes actifs de son médicament. Il souhaite aussi que soit réalisée une cartographie des risques de pénurie, ainsi qu’une typologie des causes des ruptures, afin d’identifier les actions à mener en priorité. Il plaide également pour un renforcement des inspections sur les producteurs et une promotion des laboratoires qui font appel à des fabricants contrôlés par les autorités sanitaires. Enfin, il demande la mise en place d’un crédit d’impôt qualité dans le domaine de la santé, sur le modèle du crédit impôt recherche. « Nous ne revendiquons pas une relocalisation des productions de matières premières, ce qui serait une utopie », explique-t-il. En tant que fabricant de matières premières, il souhaite simplement qu’une production occidentale soit préservée, afin de « servir de garantie au maintien d’un système sous contrôle ».
Article suivant
L’exercice libéral de la pharmacie en danger
Pour en finir avec les ruptures d’approvisionnement
L’exercice libéral de la pharmacie en danger
Savoir évoluer pour sortir de la crise
Le médicament en ligne de mire
Les chiffres clés de l’officine
Les enjeux d’un changement de rémunération
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion