Bruno Métairie (Cofisanté) : ne pas attendre
« Il est toujours intéressant de disposer des données chiffrées telles que celles présentées par la FSPF. Surtout lorsqu’elles correspondent à la réalité économique. Car cela n’a pas toujours été le cas ! En l’occurrence je pense et j’espère que cette présentation contribuera à faire découvrir la réalité du monde officinal et permettra à ceux qui en doutaient encore de prendre conscience que nombre d’officines sont aujourd’hui confrontées à de sérieuses difficultés économiques. Y compris au sein de notre groupement où des pharmacies réalisant plus de deux millions de chiffre d’affaires sont en situation très précaire. Et il y a fort à craindre que le nombre de procédures collectives, déjà en croissance, ne s’accélère Il est donc temps de voir la réalité en face et d’admettre que les pharmaciens sont loin d’être des nantis. Car il faut bien distinguer le chiffre d’affaires de l’officine et le revenu effectif du pharmacien !
À l’heure où se pose la question de nouvelles rémunérations pour le pharmacien, je reste en revanche dubitatif quant à l’intérêt des modèles qui ont pu être présentés. Car ni le Québec, ni la Suisse, ni la Belgique ne sont véritablement comparables à la France. J’aurais donc souhaité que les syndicats réagissent et puissent avancer des propositions plus concrètes sur ce qui attendait les pharmaciens. D’autant que leur apparent front commun est bienvenu et devrait permettre de basculer plus facilement vers l’émergence d’une nouvelle forme de rémunération. Encore faudrait-il qu’ils précisent le pourcentage de la rémunération à l’honoraire et la part qui demeurera liée à la marge. En outre, il me semble dangereux de vouloir attendre cinq années avant de changer le type de rémunération. Au risque de laisser un certain nombre de confrères sur le bord de la route, il faudrait basculer dans les deux prochaines années. »
Michel Quatressous (Optipharm) : préparer les équipes au changement
« Nous sommes arrivés au terme d’un système. La profession ne peut donc qu’évoluer. Et la mise en place d’une rémunération qui prendrait la forme d’honoraires me semble clairement la bonne solution. Toute la question est de savoir comment permettre au réseau d’effectuer cette mutation. Et c’est là qu’est le sujet d’inquiétude… Car il est impossible de tout changer du jour au lendemain. Dans la mesure où le réseau est actuellement dans l’incapacité la plus totale d’assumer les nouvelles missions qui nous sont proposées, le délai de cinq ans, proposé par les syndicats, me semble assez pertinent. Reste à savoir s’il sera suffisant pour préparer les équipes à ce changement. Outre d’éventuels aménagements des officines, il faudra en effet former les équipes à ces nouvelles responsabilités.
Par ailleurs, alors que le nombre de pharmacies en difficulté ne cesse de croître, je m’interroge sur les motivations de futurs pharmaciens pour acquérir une officine dont le chiffre d’affaires ne refléterait plus l’activité commerciale. Il y a là une source de questionnement, dont peu de confrères semblent aujourd’hui se soucier. La seule solution, me semble-t-il, serait de permettre une entrée progressive dans le capital. D’où la nécessité d’organiser au plus vite des holdings. Malheureusement l’évolution du dossier des sociétés à participation financières des professions libérales (SPFPL) me laisse craindre le pire. »
Willy Hodin (PHR) : le temps perdu ne se rattrape jamais
« Je suis un peu abasourdi par tout ce que j’ai pu entendre au cours de cette journée sur l’économie de l’officine et les nouvelles rémunérations des pharmaciens. Non que je sois en désaccord. Au contraire ! Mais je regrette qu’il ait fallu attendre aussi longtemps pour rallier l’ensemble de la profession à ce que PHR propose depuis des années. En même temps, il est vrai qu’il incombe aux groupements d’effectuer un véritable travail de pédagogie pour faire évoluer les choses. Il est cependant regrettable de devoir maintenant freiner afin que tous les confrères soient capables de s’engager dans une voie désormais inéluctable. Car aujourd’hui, l’heure semble enfin venue de proposer des services à l’officine. Cette évolution est d’autant plus évidente que le temps où les pharmaciens pouvaient gratter quelques remises ou s’orienter vers du discount est bel et bien révolu. Encore faudrait-il s’entendre sur le taux qui correspondra à ces fameux honoraires. Mais je ne suis pas plus inquiet que cela, car le consensus qui semble se faire jour sur un taux d’environ 46 % est très proche de celui prôné par PHR.
Dans cette optique, la qualité sera bien évidemment un préalable incontournable. Et je ne peux m’empêcher de me gausser en me remémorant toutes les barrières qui ont été dressées sur notre chemin, à l’époque – dans les années 2004-2005 - où nous mettions en place notre certification de service. Et si je m’interroge sur les raisons qui ont pu conduire le Collectif des groupements à rester en retrait, je me félicite néanmoins que les syndicats, d’une seule et même voix, incitent toute la profession à s’engager dans cette voie. Ma seule inquiétude réside dans le calendrier proposé. Outre que cinq ans me paraissent un peu longs, je crains que le calendrier ne s’accélère avec la dégradation économique et donc ne laisse que peu de marges de manœuvre aux plus faibles. Car le temps perdu ne se rattrape jamais. »
Christian Grenier (Népenthès) : le pharmacien conforté dans son rôle
« La profession a enfin pris le virage qu’elle devait prendre. Car ces nouvelles missions vont conforter le pharmacien dans son rôle d’acteur de santé et lui permettre de s’affirmer comme acteur de premier recours, avec une réelle valeur ajoutée dans la chaîne de distribution des soins. Je crains néanmoins que cette évolution ne prenne un peu de temps. Or, à l’approche des prochaines échéances électorales, il n’est jamais bon de trop attendre. D’autant que le contexte économique est loin d’être favorable à l’officine. S’il devait y avoir de nouvelles baisses de prix, un certain nombre de confrères risquerait fort de ne pas s’en relever. Quelque 6 000 officines sont en effet dans une situation critique aujourd’hui. D’où l’urgence de franchir un pas qui, désormais, apparaît comme tout à fait naturel pour l’ensemble des pharmaciens. Et je ne suis pas étonné car, tous les dix ans, la profession a su évoluer et prendre son destin en mains, à l’instar de ce qui s’est passé avec SESAM-Vitale, puis avec le droit de substitution.
Je reste d’autant plus confiant, que les syndicats ont eux-mêmes évolué sur la question de la marge et de la rémunération pour aboutir à une position consensuelle. Ils devraient donc contribuer à faire bouger les lignes et favoriser la transition. D’autant que sur les 6 milliards d’euros générés aujourd’hui par les officines, il restera environ 5,4 milliards d’euros à préserver sur le médicament. Le chiffre d’affaires des honoraires qui sont liés aux nouvelles missions, et peuvent être évalués à quelque 600 millions d’euros, constitue donc une garantie économique. Et le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, semble être sur la même longueur d’onde, puisqu’il a lié langue avec chaque président de syndicat pour les accompagner dans cette évolution. »
Pierre-François Charvillat (Forum Santé) : non au fatalisme
« Je déplore la prise de position actuelle qui ressemble fort à une position fataliste. Il semblerait en effet que tous les acteurs de la pharmacie entérinent une situation économique dégradée sans chercher à lutter. Au final, le schéma qui nous est proposé conduirait à apparenter les pharmaciens à des membres de la fonction publique. Pour preuve : la réorganisation du réseau semble aujourd’hui pilotée par l’État. Face à cette apparente remise en cause du statut libéral des officinaux, je m’interroge donc sur les velléités de certains de rouvrir les dispensaires.
En outre, je ne suis absolument pas convaincu par les modèles de nos voisins belges et suisses, ni par celui de nos cousins québécois. Et ce pour deux raisons : dans ces pays, l’ouverture du capital est totale et la politique des remises totalement libéralisée. En clair, comparaison n’est pas raison ! Il n’en demeure pas moins urgent de faire évoluer les décrets d’application sur les SPFPL afin de permettre aux officinaux de récupérer une partie de leur fonds de commerce. D’autant que la transition vers une rémunération sous forme d’honoraires risque de se révéler réductrice sur le plan patrimonial. De même est-il urgent que les décrets d’application sur les SISA voient le jour, au risque de décourager toutes les bonnes volontés et de laisser les pharmaciens sur leur faim. En outre, il ne faut pas oublier que, derrière la notion de chaîne, existe une notion de qualité commune à tous les membres d’un même réseau. Et je reste convaincu que le phénomène de l’enseigne a encore de très beaux jours devant lui, car les pharmaciens sont proches d’une fédération basée sur des valeurs et une façon d’exprimer leur métier. A condition toutefois que l’impact économique actuel n’entrave pas les évolutions. »
Article précédent
L’exercice libéral de la pharmacie en danger
Article suivant
Le médicament en ligne de mire
Pour en finir avec les ruptures d’approvisionnement
L’exercice libéral de la pharmacie en danger
Savoir évoluer pour sortir de la crise
Le médicament en ligne de mire
Les chiffres clés de l’officine
Les enjeux d’un changement de rémunération