Hospitalisations, décès, dépendance… Dans un rapport publié en février, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) souligne une montée du mauvais usage des antalgiques opiacés. Les hospitalisations dues à ces médicaments ont augmenté de 167 % entre 2000 et 2017, passant de 881 à 2 586. Le nombre de morts liés aux opioïdes (médicaments et drogues confondus) a progressé de 146 % entre 2000 et 2014, passant de 76 à 204 décès. Les premiers antalgiques responsables de cette mortalité sont le tramadol (37 décès en 2016), la morphine (22 décès) et l’oxycodone (8 décès).
Toutefois, la situation française n’a rien de comparable avec les États-Unis qui comptent près de 72 000 décès par overdose en 2017 (dont 17 000 dus à des opioïdes obtenus sur prescription). « La France dispose de meilleurs garde-fous pour encadrer la prescription de ce type de médicaments, assure Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments antalgiques et stupéfiants à l’ANSM. Mais la crise qui ravage les États-Unis nous incite à être vigilants. »
Des mesures en vue
Des mesures sont à l’étude pour limiter le mésusage. Par exemple, « il est essentiel de renforcer la formation des prescripteurs et d'améliorer l'information des patients sur ces médicaments et sur leurs risques, en répétant les messages dans le temps », martèle Nathalie Richard. Une communication qui, pour le moment, reste à mettre en œuvre.
Toutefois, « il ne s’agit pas de moins prescrire ces médicaments indispensables dans la prise en charge de la douleur, mais de mieux les prescrire », avise le Pr Nicolas Authier (CHU de Clermont-Ferrand), président de l'Observatoire français des médicaments antalgiques.
En ce qui concerne les opioïdes forts (morphine, oxycodone, fentanyl), il faut les employer largement dans les douleurs cancéreuses et palliatives. En revanche, on les réservera en dernière intention dans les douleurs chroniques non cancéreuses : arthrose de hanche et du genou, lombalgies chroniques, etc. « En effet, les opioïdes forts sont trop prescrits dans les douleurs non cancéreuses. Or ils ne sont pas forcément les plus efficaces, et c’est dans ce type de situation que l’on rencontre le plus de problèmes de mésusage », constate Nicolas Authier.
Par ailleurs, les opioïdes forts sont à proscrire en cas de fibromyalgie, de céphalées primaires et de migraines, selon les recommandations de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD).
Pour les opioïdes faibles (tramadol, codéine, poudre d'opium), le problème est que l'on manque cruellement de recommandations récentes. « Un tel document pourrait proposer d'utiliser certains opioïdes faibles en première intention et d’autres en seconde. Aujourd’hui, les médecins ne sont pas guidés dans le choix de ces molécules », pointe Nicolas Authier.
De nouvelles règles de prescription
Les autorités sanitaires s’interrogent également sur une modification des règles de prescription et de dispensation des antalgiques opioïdes. « Déjà, une mesure a été prise en juillet 2017 pour la codéine, qui est passée sur prescription obligatoire en raison d’un usage détourné à des fins récréatives chez les adolescents, à l’origine de 2 décès. Ainsi, tous les opioïdes faibles sont désormais disponibles uniquement sur ordonnance », rappelle Nathalie Richard. Leur durée maximale de prescription est de 28 jours, renouvelable. Mais « cette possibilité de renouvellement en pharmacie pouvant aller en théorie jusqu'à un an, sans revoir le médecin pour réévaluer le traitement, n’est pas pertinente », estime Nicolas Authier, qui préconise de la réduire.
Pour les opioïdes forts, qui sont tous sur ordonnance sécurisée, le problème du renouvellement n’existe pas, puisqu’il est interdit. En revanche, les formes orales peuvent être prescrites jusqu’à 28 jours. « Ce qui, dans certains cas, est trop long », reconnaît Nathalie Richard. Par exemple, pour les douleurs aiguës (post-traumatiques, post-opératoires), il est inutile de prescrire pour un mois : cela occasionne un stockage du traitement non consommé dans l’armoire à pharmacie, qui pourrait dans un second temps être utilisé en automédication, pour soi ou un proche.
Autre piste : l’ANSM réfléchit à une adaptation de la taille des conditionnements afin de limiter le traitement à 7 ou 14 jours, ce qui serait notamment utile dans les douleurs aiguës et pour les opioïdes faibles. « Nous sommes en discussion sur ce point avec les entreprises du médicament », précise Nathalie Richard, tout en admettant n’avoir aucun levier réglementaire sur ce sujet.
Le tramadol en question
Enfin, la situation particulière du tramadol a retenu l’attention des autorités de santé. Il est l’antalgique opioïde le plus utilisé avec 5,8 millions de personnes en ayant consommé en 2017. Son utilisation a connu un bond de 68 % en 10 ans, car il a bénéficié d’un report des prescriptions de dextropropoxyphène, molécule interdite en 2011. Mais le tramadol pose problème. Il est le premier antalgique opioïde en cause dans les décès et les hospitalisations dus aux antalgiques, et dans le mésusage et les falsifications d'ordonnances.
« Le tramadol fait partie des opioïdes, faibles comme forts, les moins bien tolérés. Il possède en plus de son effet opioïde une action similaire aux antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine. De par ce mécanisme d’action, et à la différence des autres opiacés, il peut provoquer des épilepsies, des syndromes confusionnels, plus rarement des hypoglycémies », explique Nicolas Authier. Face à ces risques d’effets indésirables et d’abus, on pourrait envisager de passer le tramadol sous ordonnance sécurisée, comme cela a été le cas pour le zolpidem (Stilnox et génériques) en 2017. « Cela permettrait de reporter certaines prescriptions de tramadol sur les autres opioïdes faibles (codéine et poudre d’opium) qui resteraient sous ordonnance classique », poursuit-il. On pourrait également se poser la question de placer tous les opioïdes faibles sur ordonnance sécurisée. Mais comme les médecins sont plus réticents à utiliser les ordonnances sécurisées, on risque alors d’être confronté à une chute importante des prescriptions de ces antalgiques, au détriment de la prise en charge la douleur. « Ces médicaments sont très utiles, il ne faut pas en réduire l’accès, mais trouver le juste équilibre entre accessibilité et sécurité d’emploi », conclut Nathalie Richard.
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