Tendances & marchés

La cosmétique haut de gamme cible l'officine

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Publié le 27/06/2019
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Certaines s'y trouvaient depuis longtemps. D'autres ont fait récemment leur apparition dans les rayons… Les cosmétiques haut de gamme, par leur nombre, peuvent désormais constituer un rayon à part entière à l'officine. La fréquentation et le maillage qui caractérisent le circuit ne sont pas, aux yeux des marques premium, ses seuls atouts.

L'officine serait-elle le nouvel Eldorado des fabricants de cosmétique haut de gamme ? C'est ce que l'on pourrait croire au vu du nombre de gammes « premium » qui, depuis quelque temps, gagnent le circuit pharmaceutique. Différents cas de figure se dessinent, qu'il s'agisse de marques issues de la parfumerie désireuses d'intégrer l'officine, de marques présentes à l'officine qui peuvent se tourner aussi vers le circuit sélectif ou de gammes labellisées qui revendiquent un double référencement, en magasins bio et en pharmacie. Beaucoup ont en commun la technicité de leurs formules plutôt axées sur le traitement, la largeur de leur offre, un positionnement haut de gamme et la volonté d'être présentes sur des circuits spécifiques de distribution.

Pour Saeve, marque aux formules naturelles à base de composants certifiés bio, sève fraîche de bouleau et champignon chaga aux pouvoirs anti-oxydants, l'officine est le circuit de vente le plus performant. Référencée depuis moins d'un an en pharmacie, Saeve a choisi l'enseigne à la croix verte pour faire ses premiers pas. Le flux de clientèle qu'elle accueille et le maillage du territoire qu'elle opère n'étaient pas les seuls arguments à peser dans la décision du fabricant. « Le circuit officinal est le premier à intégrer les innovations cosmétiques, remarque Pauline Bony, créatrice de la marque. Il attire donc une clientèle en quête de nouveautés et très ouverte aux nouvelles marques. » L'équipe, en outre, est capable d'expliquer les formules, leur spécificité, la démarche qui a présidé à leur lancement. Des critères importants pour une marque qui revendique un positionnement clair et une identité forte. Récemment, Saeve a été contactée par Les Galeries Lafayette pour lui proposer d'y être distribuée. La marque, pour autant, conservera le positionnement qu'elle a adopté en pharmacie ainsi que son échelle de prix pour les 42 références qui composent sa gamme de soins.

La gamme Condensé Paris, également présente aux Galeries Lafayette et en pharmacie, a suivi un parcours inverse en intégrant, fin 2010, les rayons du grand magasin parisien avant de s'intéresser à l'officine deux ans après. « Nous cherchions un accès aux marchés internationaux et les Galeries Lafayette sont un lieu de shopping incontournable pour la clientèle étrangère », se rappelle Nathalie Lamandé, fondatrice de la marque. Mais dès qu'elle veut toucher une clientèle française, la directrice se tourne vers l'officine. « En pharmacie, on trouve un meilleur rapport qualité/prix, un conseil personnalisé et adapté à chaque type de peau, un grand choix de produits… Le circuit pharmaceutique est une spécificité française que nous envient les Asiatiques. »

Cibler

L'officine entre aussi en résonance avec le positionnement de nombreuses gammes premium dont l'éventail de soins et la complexité des formules nécessitent les conseils ou la validation d'un personnel formé à la cosmétique. Cet accompagnement viendra conforter une clientèle de femmes qui connaît son type de peau et qui est habituée à suivre une « routine de soin », c’est-à-dire l'utilisation successive de différents produits qui implique qu'elle ne se bornera jamais à l'achat d'un seul soin.

Présente dans 200 pharmacies par l'intermédiaire de sa marque, Nathalie Lamandé est très satisfaite du circuit officinal qui lui offre aussi la possibilité de cibler assez précisément la clientèle qu'elle veut toucher, notamment étrangère. « La clientèle asiatique est toujours à l'affût des nouvelles marques et certaines officines qui présentent un large éventail de gammes les attirent particulièrement. Nous pouvons toucher cette population grâce au circuit pharmaceutique. » Situés dans une échelle de prix allant de 15 à 80 euros, les soins Condensé Paris maintiennent un certain niveau de prix, un des critères qui justifie leur positionnement haut de gamme.

La marque Patyka, à l'identité premium, chic, glamour et bio très marquée, est quant à elle référencée à l'officine, mais aussi en parfumerie et dans des enseignes très urbaines comme Mademoiselle Bio, ou au positionnement de niche comme Oh My Cream. Si elle n'a pas modifié, en fonction du circuit de distribution, la fourchette de prix (34 à 79 euros) dans laquelle se situe sa ligne anti-âge, elle vient de lancer une nouvelle gamme plus abordable (entre 14 et 35 euros) proposant des soins dits essentiels relevant d'une routine plus simple (hydratation, exfoliation…). « On répond aux attentes des deux types de clientèle qui existent en pharmacie : la femme experte dans sa routine de soins, qui n'hésite pas à investir dans des formules pointues, techniques, semblable à la clientèle du circuit sélectif ; et la femme novice qui ne connaît pas son type de peau ni ses besoins et qu'il faut éduquer », explique Mélia Roger, directrice marketing chez Patyka. Présente dans 350 pharmacies, la marque réalise 80 % de son chiffre d'affaires dans ce circuit où elle connaît une croissance de 50 % par an. « On envisage d'étendre notre présence à 1 500 officines. C'est un circuit porteur dont le choix est légitime pour Patyka puisque l'Huile absolue, formule iconique à base d'huiles essentielles et d'huiles végétales, a été créée par un apothicaire dans les années 1920. » Les valeurs de santé de l'officine entrent en résonance avec l'histoire de la marque et l'image sécuritaire de ses produits certifiés bio. « Le succès d'applications mobiles comme Yuka qui permettent de contrôler la composition des formules montre à quel point les clientes ont besoin de transparence. La cosmétique conventionnelle et les grandes marques de luxe font aujourd’hui l’objet de défiance et cela explique probablement pourquoi les chaînes de parfumerie voient leur fréquentation baisser. »

Légitime

Cette tendance morose n'empêche pas le circuit sélectif d'occuper la seconde place des distributeurs de cosmétiques en France, avec une part de 28 % en valeur pour l'année 2018, devant la pharmacie et la parapharmacie (21 %), mais derrière la GMS qui reste le segment majeur avec 51 % des parts (source FEBEA*). Les enseignes bio, quant à elles, constituent un circuit à part entière souvent associé à la diététique. À l’instar de nombreuses marques de cosmétique au positionnement naturel (Caudalie, Nuxe, Garancia) ou bio (Melvita, Taaj, Sanoflore, Gamarde, Jonzac…), la gamme Cattier a trouvé dans l'officine un réseau capable de mettre en avant des critères qui lui sont chers. La sécurité et la qualité des formules, l'expertise bio font aussi partie, pour elle, des valeurs premium. Également référencée en parapharmacie, chez Monoprix et en parfumerie, la gamme qui compte plus de 150 produits est présente dans 1 000 pharmacies en direct, son second réseau distributeur après celui des magasins bio. « Depuis 2016 nous privilégions l'officine où nous voulons développer des produits toujours plus sains et écoresponsables pour répondre aux attentes des consommatrices, indique Hélène Coiffet, responsable marketing chez Cattier. L'offre bio constitue un levier de croissance pour la pharmacie. Il y a une grande adéquation entre nos valeurs et celles du circuit. »

D'autres marques ont fait le choix de l'officine pour développer leurs gammes de soins premium. Quelques unes y sont présentes depuis longtemps comme Lierac ou encore Darphin. D'autres – SkinCeuticals, Filorga – l'ont investi plus récemment. Certaines gammes très sélectives, historiquement développées en institut ou en parfumerie - Payot, Orlane, Clarins, Clinique, Sisley, La Mer, La Prairie… - se trouvent aujourd'hui dans quelques pharmacies. La marque Institut Esthederm, pour sa part, a renforcé sa présence en pharmacie depuis deux ans. La possibilité, pour sa clientèle « multicanal », de trouver la marque au sein d'un circuit de proximité sur tout le territoire n'est pas la seule justification à cette démarche. « Le circuit officinal, à travers la présence du titulaire et des conseillères, se prête parfaitement à l'accompagnement personnalisé qu'appelle notre gamme, explique Anthony Lallier, directeur général de Naos France. De plus, notre expertise formulatoire autour de la science cellulaire fait d’Institut Esthederm une marque totalement légitime au sein d’un circuit animé au quotidien par des professionnels de santé. » Pour répondre aux demandes des clientes achetant particulièrement à l'officine, la marque a choisi 50 références clés (parmi 120) permettant de couvrir 4 étapes de la routine beauté : démaquiller et préparer la peau, booster, traiter, protéger. « Nous choisissons et maîtrisons notre développement en circuit officinal avec l’objectif d'être notamment présents dans des points de vente qui témoignent d'une vraie affinité avec notre philosophie de l’écobiologie. »

* Fédération des industries de la beauté.

Anne-Sophie Pichard

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3531