En 2002, Bernard Kouchner, dans la loi relative aux droits des malades, proclamait le principe d’un consentement libre et éclairé du patient aux actes et soins qui lui sont proposés, ainsi que son droit à être informé sur son état de santé. En 2009, Roselyne Bachelot consacrait, avec la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST), l’éducation thérapeutique du patient (ETP). La France faisait de 2011 l’année des patients et de leurs droits. La démocratie sanitaire, concept émergé à la fin des années 1990 lors des États généraux du cancer et de la santé, s’est frayée un chemin dans l’Hexagone jusqu’à la naissance des universités des patients. Car la France est le premier pays à diplômer ses patients experts depuis 2009, grâce à la visionnaire Catherine Tourette-Turgis.
Chercheuse et professeure des universités, elle inclut 25 % de malades dans les formations diplômantes en éducation thérapeutique, qu’elle dirige à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris. Ses objectifs sont multiples. Elle veut « augmenter la capacité des malades à agir », mêler soignants et patients pour un meilleur partage des savoirs, permettre aux malades de discuter les orientations sur l’éducation thérapeutique des patients, valoriser les savoirs d’expérience…
Depuis, l’idée s’est propagée. Des universités des patients ont vu le jour à Marseille et Grenoble, et deux nouvelles formations sont proposées depuis la rentrée, notamment en démocratie de la santé, à Paris Sud. « La formation par les pairs a fait ses preuves à certaines périodes de l'histoire de la santé comme au temps du Sida, elle est recommandée par l'OMS et son efficacité a été mesurée, il n'y a donc pas de raison d'avoir peur de former et diplômer des malades », insiste Catherine Tourette-Turgis.
Partage des savoirs
Le patient acteur de sa santé s’est donc progressivement implanté et modifie en substance la relation avec le soignant. Des travaux sur cette évolution relationnelle avec le médecin traitant et l’infirmière soulignent une nécessaire adaptation des comportements. Et l’officine n’échappe pas à la règle. « Personne ne peut détenir tous les savoirs sur un sujet, c’est pourquoi toutes les compétences sont nécessaires », rappelait récemment Agnès Buzyn, présidente du collège de la Haute Autorité de santé (HAS), à la Journée de l’Ordre des pharmaciens. La HAS est d’ailleurs en pointe en matière de prise en compte de la parole du patient. Depuis plusieurs années, la représentation des usagers est une réalité dans plusieurs de ses instances, et vient de prendre un nouveau tournant avec l’expérimentation qui a commencé en novembre sur leur participation à l’évaluation des produits de santé en vue du remboursement par l’assurance-maladie et de la fixation de prix par le Comité économique des produits de santé (CEPS). « Ces représentants associatifs qui siègent dans les commissions de la HAS ont d’ailleurs un statut d’expert depuis 2008 », précise Agnès Buzyn.
En toute logique, les savoirs expérientiels des patients commencent à être entendus et pris en compte par les soignants, qui considèrent désormais le malade comme un membre à part entière de l’équipe de prise en charge. D’autant qu’il n’est pas rare que les connaissances du patient dépassent celles du soignant. Même quand une part de ces connaissances provient d’Internet. Quand certains professionnels s’offusquent encore de la « plaie » de ces sites aux informations non validées, mal expliquées et incomprises par les profanes, d’autres voient dans la Toile un formidable moyen de partager les savoirs. Une militante d’une plus grande présence des médecins sur Internet s’amuse de recevoir des patients qui ont déjà posé un diagnostic sur leur mal, documents imprimés sur Internet à l’appui. Certains sont justes, d’autres dans l’erreur, et parfois, les documents imprimés sont des articles que le médecin a lui-même rédigés. À l’officine, certains confrères, quand ils peuvent, prennent le temps de regarder avec le patient les informations glanées sur Internet, à partir d’un ordinateur ou d’une tablette. Une façon de rendre l’information explicite, de vérifier la source et au besoin de réorienter vers des sites sérieux.
Éducation thérapeutique
Mais ce sont surtout les malades chroniques qui deviennent de véritables patients experts. Ils n’ont d’ailleurs plus le choix avec le développement de l’éducation thérapeutique du patient. Car mieux le patient comprend sa maladie et ses traitements, plus il sera observant et à même d’adapter sa thérapie.
C’est dans cette démarche que Denis Cassaing, pharmacien adjoint à la Pharmacie des Étoiles – Antunes à Fleurance, dans le Gers, s’est inscrit en créant en 2011 le programme Eduphar. « Je suis quotidiennement face à des patients présentant une pathologie chronique, notamment le diabète. Des stages d’éducation thérapeutique du patient existaient à l’hôpital, mais pas en ville. C’est à partir de ce constat que l’association Eduphar a vu le jour en 2011. » Le programme proposé par le pharmacien séduit l’agence régionale de santé (ARS) de Midi-Pyrénées qui décide d’accompagner son projet. Une fois sur pied, il obtient la validation de l’ARS en juillet 2012. Denis Cassaing organise une soirée d’information à l’intention des pharmaciens de son département, une soixantaine d’entre eux se déplace et une quarantaine adhère immédiatement à l’association. « Nous avons eu la chance de pouvoir inclure un patient expert de l’Association française des diabétiques (AFD) lors de la conception de notre programme. Nous avons vérifié avec lui que nous percevions bien les mêmes problématiques et il nous a aussi aidés à clarifier notre discours pour être compréhensibles par tous. »
Tous les pharmaciens membres d’Eduphar peuvent recruter des patients diabétiques de type 2 pour participer à ce programme, et ceux qui ont suivi la formation d’ETP peuvent mener le premier entretien individuel d’une heure pour explorer les connaissances du patient, les problèmes qu’il rencontre et ses besoins particuliers. Le patient participe ensuite à deux ateliers collectifs d’une demi-journée. Le premier compte une rencontre de deux heures avec un médecin, d’une heure avec une diététicienne et d’une heure avec un éducateur sportif. Une semaine plus tard, le second atelier l’amène à passer 1 h 30 avec un pharmacien et une infirmière, 1 heure avec l’éducateur sportif et 1 heure avec la diététicienne. Et la réussite est au rendez-vous. « Le patient qui m’a le plus marqué est l’un des premiers à avoir suivi le programme. Lors du deuxième atelier, on demande aux patients de contrôler leur glycémie, et de faire une demi-heure de marche avant de se contrôler à nouveau. Rien de tel pour prendre conscience de l’efficacité de l’activité physique. Depuis, ce patient vient régulièrement à la pharmacie faire contrôler sa glycémie après l’effort et il a perdu énormément de poids », note Denis Cassaing. Sans parler de patients devenus experts de leur maladie, le pharmacien note un gain en autonomie et en motivation, certains malades demandant à aller plus loin dans l’ETP. Dans ce cas, il les adresse aux stages hospitaliers. Il aimerait que ce projet s’étende à d’autres départements et qu’il prenne en charge d’autres pathologies chroniques.
S’ouvrir aux autres
Dans une autre démarche, des pharmaciens choisissent de se former à l’université des patients. Plus exactement, ils ont eu la surprise de se retrouver en master d’éducation thérapeutique du patient avec des soignants de tous horizons, mais aussi des patients experts. C’est le cas de Charlotte Ménage-Anjuère, interne en pharmacie à l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine), qui a suivi le master 1 et 2 en ETP. « Je ne connaissais pas la notion de patient expert, on en a beaucoup débattu entre étudiants dans ma promotion. Aujourd’hui, ça me paraît évident que des patients en fassent partie et leur apport en termes d’expérience du patient est important. Au début, on a été confronté à nos façons différentes d’aborder des sujets, on ne donne pas priorité aux mêmes éléments. Au final, on se complète bien et assez rapidement, on ne faisait plus de différences entre patients et soignants, nous étions tous étudiants. » Dans la pratique, la jeune femme constate des changements importants dans son rapport aux autres, qu’ils soient soignants ou patients. « Je suis davantage à l’écoute, je pose plus de questions, je cherche à mieux comprendre l’autre. Le fait de côtoyer de nombreuses personnes différentes en master aide à s’ouvrir aux autres. » Fini le cloisonnement, tous deviennent des partenaires face aux pathologies.
Olivier Aupée, pharmacien chef à l’hôpital Percy à Clamart, a aussi découvert la présence d’étudiants patients lors de son premier jour de master 2. « J’ai fait un DU ETP pour proposer des consultations pharmaceutiques en oncologie pour mettre à disposition de l’information à l’intention des patients. Mais je sentais que je n’arrivais pas à franchir une limite dans ces entretiens. » Après la surprise d’une formation mixte réunissant soignants et patients, Olivier Aupée constate que la distinction s’efface très rapidement. « Chacun apporte sa pierre à l’édifice. Le fait de ne plus être dans l’entre soi des soignants est d’une grande richesse, et chaque fois qu’on commence à essayer de penser à la place du patient avec nos savoirs théoriques, on nous replace dans le monde réel. » Olivier Aupée ne voit plus ses malades de la même manière. Chaque jour, quelles que soient ses missions et ses réflexions au travail, il intègre systématiquement le point de vue du patient. « Mes consultations pharmaceutiques en oncologie n’ont plus rien à voir. Fini la mise à disposition d’informations, maintenant j’essaie de comprendre le patient, sa façon de voir, ses problématiques et ses besoins, et j’y réponds, ces consultations sont bien plus pertinentes. »
Un discours qui s’applique aussi aux pharmaciens d’officine, qui se sentent plus efficaces face à des patients experts, chroniques, ou en phase d’apprentissage de leur maladie. La question clé a changé : exit le « comment allez-vous ? » pour privilégier le « comment faites-vous ? » qui ouvre bien des perspectives de dialogue et d’accompagnement.
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