AUJOURD’HUI, plus de la moitié des cessions d’officines sont effectuées par le biais d’une société d’exercice libéral (SEL), et près de 60 % des officines sont exploitées en SEL. En outre, de très nombreux pharmaciens et SEL de pharmaciens détiennent des parts dans une ou plusieurs SEL, en plus de celle dont ils sont titulaires. La société d’exercice libéral est donc devenue le vecteur numéro un pour entrer au capital d’une officine exploitée en société ou pour exploiter une officine après son rachat. Pourquoi ce succès ? Pour trois raisons principales.
D’abord parce que la SEL, comme toute société commerciale soumise à l’impôt sur les sociétés, permet de développer l’officine dans de meilleures conditions fiscales et financières qu’avec une structure soumise à l’impôt sur le revenu. En effet, dans une société à l’IS, les remboursements d’emprunt sont optimisés et les investissements sont effectués en franchise d’impôt, seules les distributions de bénéfices étant imposées au niveau de la société. La SEL permet de faire des réserves hors prélèvements fiscaux et sociaux et, donc, de lisser l’activité de l’officine. Certains experts-comptables estiment que l’économie fiscale est d’environ 15 % par rapport à l’impôt qui serait dû dans une pharmacie soumise à l’impôt sur le revenu.
Deuxième raison du succès des SEL : elles permettent aux jeunes pharmaciens d’acquérir une officine en entrant dans son capital, d’abord avec une participation minoritaire, puis en rachetant progressivement les parts du titulaire pour devenir finalement le successeur du titulaire. La titularisation se fait ainsi progressivement, avec des charges financières étalées dans le temps. Sans cette solution, de nombreux jeunes adjoints n’auraient pas forcément les moyens d’acquérir le fonds ou l’ensemble des parts du pharmacien titulaire. « C’est ce que font beaucoup de jeunes, explique Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils et Auditeurs Associés. Ils acquièrent d’abord une petite fraction des parts de l’officine, puis le reste par la suite. »
Troisième raison du succès des SEL et troisième utilisation possible de ce support juridique : un pharmacien peut prendre actuellement jusqu’à deux participations minoritaires en droit de vote dans deux officines en SEL autres que celle où il exerce, et une SEL peut posséder des participations au capital de deux autres sociétés d’exercice libéral. La SEL est donc également un outil d’investissement patrimonial pour les pharmaciens « investisseurs ».
Dans la profession, la SEL est majoritairement déclinée sous forme de SELARL (SEL à responsabilité limitée). Très proche de la SARL commerciale, la SELARL est la plus souple des sociétés d’exercice libéral. Lorsqu’elle est constituée d’associés d’une même famille, elle permet aussi aux associés d’être soumis, sur option, à l’impôt sur le revenu, au lieu de l’impôt sur les sociétés.
Modalités d’acquisition.
Mais pour travailler dans une société de capitaux, un jeune pharmacien qui souhaite s’installer a, en pratique, deux possibilités : il peut soit racheter le fonds officinal et créer ensuite une SEL pour l’exploiter, soit acheter directement les parts d’une SEL existante en entrant dans le capital de cette société. Juridiquement, les deux approches ne sont pas les mêmes. L’acquéreur de parts achète un actif et un passif, ce qui diminue la valeur de ces parts dans le cas où l’officine est endettée et supporte des emprunts. Il peut donc payer un prix moins élevé, mais, en contrepartie, il reprend à sa charge des dettes de la société. C’est pourquoi l’acte de cession des parts comprend en général une clause de garantie de passif, qui garantit l’acquéreur contre le risque d’apparition d’un passif non apparent au moment de la transaction.
Au contraire, lorsque le pharmacien acquiert un fonds d’officine, la transaction porte seulement sur les actifs inscrits au bilan : clientèle, droit au bail, matériels et équipements, stock, notamment. Le passif attaché au fonds n’est pas transmis.
Attention aussi car, comme l’explique en substance Me Thomas Crochet, avocat au barreau de Toulouse, les intérêts des cédants et des acquéreurs de parts de SEL ne sont les mêmes, et ils sont même contradictoires. Sur le plan fiscal, il est plus avantageux, en effet, pour l’acquéreur, d’acheter le fonds d’officine exploité par la SEL par l’intermédiaire d’une société constituée pour les besoins de la cause, ce qui lui permet de rembourser l’emprunt contracté dans les conditions optimales de la fiscalité des sociétés, plutôt que les parts de la SEL exploitant l’officine. « Mais le cédant qui opterait pour une telle solution serait doublement imposé : sur l’éventuelle plus-value réalisée par la SEL lors de la cession de l’officine, puis lors de la liquidation de la SEL, étape nécessaire si le cédant souhaite appréhender à son profit les fonds retirés de la cession », explique Me Thomas Crochet.
Au contraire, le titulaire peut donc choisir, et c’est ce qui se passe le plus souvent en pratique, de céder directement les parts de la société exploitant l’officine. Sous certaines conditions, notamment en cas de départ à la retraite, la plus-value réalisée sur ses parts pourra alors être exonérée d’impôt, avec un gain total pour le cédant bien supérieur à celui qu’il aurait perçu en optant pour la solution précédente. Mais c’est le jeune pharmacien acquéreur de parts qui est, dans ce cas, désavantagé : il devra rembourser le capital emprunté avec une somme qui aura supporté l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales. En outre, la déduction de ses intérêts d’emprunt ne sera que partielle et limitée, dans les faits, à un montant d’emprunt qui ne dépasse pas trois fois sa rémunération. Compte tenu du prix actuel des cessions d’officines, l’acquéreur de parts devra donc disposer d’un apport personnel important pour pouvoir boucler son plan de financement.
Solutions alternatives.
Pour remédier à cette situation, encore aggravée par la baisse de rentabilité de nombreuses officines, de jeunes pharmaciens choisissent de s’associer avec un pharmacien investisseur dans une SEL. Le jeune pharmacien peut alors investir avec un apport plus faible, entrer dans une officine plus importante et bénéficier de la caution professionnelle et financière de l’investisseur.
Mais il faut prendre garde, ici, au modèle économique que l’on souhaite développer avec l’investisseur en question. Dans le cas le plus fréquent de la SELARL, par exemple, le gérant est majoritaire et dispose donc du droit d’organiser son exploitation comme il le souhaite. Or, en fonction de la personnalité des associés, le système peut parfois avoir des ratés. C’est une limite au système d’investissement dans les SEL : certains pharmaciens, alors même qu’ils n’ont qu’une seule SELARL mais des investissements dans une ou deux autres officines en SEL, ont des difficultés à imposer un mode de fonctionnement global, comme notamment des achats communs. Même le système des SEL par actions simplifiées (SELAS), qui permet de dissocier les droits de vote et le capital, n’évite pas de situations parfois très conflictuelles.
Pour que le système des participations dans les SEL puisse fonctionner, il faut non seulement un règlement intérieur mais aussi un pacte d’associés qui fixe les relations entre les associés dans la SEL et les conditions de sortie et de cession des parts, laquelle s’effectue, le plus souvent, par une réduction du capital. En général, lorsqu’un pharmacien investit dans une SEL d’officine dont il n’est pas l’exploitant, il revend ses parts à l’issue d’un délai de quatre ou cinq ans. Ces conditions de sortie doivent être clairement prévues dès le départ. « C’est pour cette raison que j’ai finalement choisi d’acheter une officine seul, en SELURL, et non pas en SELARL avec d’autres associés, explique Rémi Choplin, pharmacien à Paris. Quand on s’associe à d’autres pharmaciens, il faut savoir à quoi l’on s’engage, et, si ce n’est pas le cas, mieux vaut ne pas le faire. »
Le problème est donc aussi, plus largement, celui de l’investissement minoritaire. Lorsque le pharmacien investisseur n’est pas exploitant, et n’a donc pas de fonction rémunérée - dividendes mis à part -, ses prérogatives sont très limitées. Il exerce surtout un contrôle de la gestion de l’actionnaire majoritaire exploitant. Pour l’essentiel, il ne peut que donner son avis, regarder les comptes, vérifier le stock, participer aux assemblées générales, et c’est à peu près tout.
C’est pourquoi, quand on entre au capital d’une SEL, le choix du ou des autres associés est primordial. Il faut absolument éviter les situations dans lesquelles l’associé minoritaire a l’impression que le titulaire ne fait pas grand-chose pour valoriser le capital investi, ou celles qui font penser au pharmacien exploitant que l’investisseur valorise ses parts à bon compte, sans effort… Un équilibre entre les deux doit être trouvé, et ce n’est pas toujours facile.
Mais pour les investissements dans les SEL en général, tout pourrait changer demain, avec la mise en place des sociétés de participation financière de professions libérales (SPFPL). Le décret d’application est attendu depuis des années, mais il devra bien finir par aboutir. Si les modalités retenues sont suffisamment souples, la SPFPL pourra jouer un rôle très important de restructuration et de regroupement des officines, et faciliter la reprise et la transmission des fonds. Grâce au levier juridique et fiscal des holdings, les SEL pourront plus facilement posséder une ou plusieurs autres officines, les pharmaciens pourront investir dans différentes SEL, et les holdings racheter des officines dont les capitaux sont détenus par des pharmaciens.
Toutefois, comme le souligne l’Observatoire des métiers des professions libérales (OMPL), le risque existera alors de reprises réalisées surtout par les titulaires déjà en place, au détriment des adjoints souhaitant s’installer.
Quel sera l’impact réel des SPFPL sur l’installation des jeunes, les regroupements entre officines et la transmission des fonds ? Cela dépendra beaucoup du curseur juridique et fiscal retenu dans le décret sur les SPFPL.
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