LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Lors de votre conférence sur la première installation au dernier salon Pharmagora, vous avez fait passer un message d’espoir et de prudence aux candidats à l’achat d’une officine. Pourquoi ?
PHILIPPE BECKER.- Parce que nous sommes aujourd’hui dans une situation qui comporte deux caractéristiques particulières. D’un côté, le prix des officines est en baisse, comme le montrent d’ailleurs les dernières études statistiques réalisées récemment, et les taux bancaires sont extrêmement attractifs. Et, d’un autre côté, la crise que connaît la profession fait que de nombreuses pharmacies connaissent des difficultés telles que certaines d’entre elles ne pourront pas s’en sortir. Il faut donc savoir les éviter. Et dans tous les cas, en raison de la stagnation de la rentabilité, il faut plus que jamais acheter au juste prix.
Pensez-vous que le prix des officines va continuer de baisser dans les prochains mois ?
PHILIPPE BECKER.- Oui, très certainement. Surtout, près de 5 000 pharmaciens vont prendre leur retraite dans les prochaines années, et le marché devra absorber ces nouvelles cessions en tirant davantage encore les prix à la baisse. Il y aura donc de nouvelles opportunités d’achat, mais à condition de rester très sélectif.
CHRISTIAN NOUVEL.- Les jeunes qui veulent s’installer doivent aussi prendre en compte le fait qu’ils ne pourront plus compter sur une forte croissance de leur chiffre d’affaires. Si l’on achète aujourd’hui une officine trop chère et que le chiffre d’affaires stagne ou baisse dans les années qui suivent l’installation, cela signifie que l’on a, en réalité, acheté encore plus cher ! Dans tous les cas, il faut donc bâtir un budget prévisionnel sérieux !
Justement, comment savoir si l’officine que l’on souhaite acquérir est à un juste prix ?
ALAIN FILS.- Il faut essentiellement se baser sur la rentabilité en intégrant les éventuelles perspectives de croissance. Acheter une officine sur la base de sept fois son excédent brut d’exploitation (EBE) est déjà un bon prix. Pour évaluer la rentabilité réelle de l’officine, il faut donc absolument se faire aider par des spécialistes et notamment un expert-comptable.
En dehors de la question du prix et de la rentabilité, quels sont les autres écueils à éviter lors de l’achat ?
PHILIPPE BECKER.- Il y a un certain nombre de conditions nécessaires et suffisantes. Il faut d’abord éviter les pharmacies qui ont des défauts non apparents. Par exemple, il faut vérifier s’il y a ou non un projet de transfert dans le secteur, il faut s’assurer que la démographie locale est satisfaisante, que la commercialité locale est bonne, que les prescripteurs locaux sont bien présents et ne risquent pas de partir à court terme…
CHRISTIAN NOUVEL.- De façon, générale, il faut être curieux et ne pas hésiter à pousser la porte de tous les organismes et de tous les partenaires locaux. Il ne faut surtout pas se contenter des affirmations du vendeur.
Quelles sont les autres vérifications à effectuer ?
PHILIPPE BECKER.- Elles sont nombreuses. On doit examiner la composition du chiffre d’affaires pour voir s’il y a ou non des fournitures à des collectivités, s’il existe des rétrocessions, si le poids des médicaments chers pèse ou non dans l’activité, notamment. Sur le plan social, ne pas oublier non plus de vérifier les contrats de travail et l’organisation du travail dans l’officine. Sur le pan juridique, le bail doit faire l’objet d’une attention particulière, surtout en ville, car un bail sous-évalué risque d’être augmenté rapidement…
ALAIN FILS.- Pour étudier la composition du chiffre d’affaires, l’acquéreur doit demander les trois derniers mois de facturation du grossiste-répartiteur. Par ailleurs, s’il y a des spécificités dans l’activité, il faut les faire mentionner dans l’acte de cession afin de se ménager un recours ultérieur, le cas échéant, en cas de besoin.
Au total, vous conseillez donc aux jeunes qui veulent s’installer de se lancer, ou de rester prudents ?
PHILIPPE BECKER.- Les deux ! Ce qui compte aussi beaucoup, c’est d’avoir un projet professionnel solide et bien défini, et d’être motivé ! Nous n’en avons pas encore parlé, mais un apport personnel en adéquation avec le projet est également nécessaire. Rappelons que les banques, en général, demandent entre 20 et 30 % d’apport personnel, selon les cas. C’est souvent le talon d’Achille des primo accédants. L’aide financière de la famille ou un pharmacien investisseur sera souvent la clé indispensable pour mener à bien le projet. Il faut en être conscient. S’installer en officine est toujours un challenge, mais il peut parfaitement être relevé !
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