POUR NOTRE ENQUÊTE, nous avons sollicité des témoignages sur le forum Pharméchange. La première réponse reçue résume bien la majorité des interventions. Éric* n’a pas « choisi » de ne pas devenir titulaire, il le vit comme une « obligation », parce que « nous n’avons pas tous 150 000 euros qui traînent », pour finalement se retrouver avec « une officine de moins d’un million d’euros et faire 55 heures par semaine ».
La grande enquête sur les adjoints, menée par « Le Quotidien du Pharmacien », en partenariat avec l’Ordre des Pharmaciens, il y a tout juste un an, avait permis de dresser plusieurs portraits. L’une des questions cherchait justement à connaître les raisons des adjoints qui pensaient ne pas devenir titulaires. Plus de la moitié des réponses mettait en avant un « manque de moyens financiers », le « prix exorbitant des officines déconnecté de la rentabilité qu’elles dégagent », mais aussi les banques qui ne jouent plus leur rôle et demandent au futur titulaire d’assumer l’essentiel du risque.
Une priorité cachée.
La seconde raison invoquée concerne l’incertitude de l’avenir officinal. En l’absence de visibilité, Joël admet : « Je voulais être titulaire, j’ai les moyens financiers pour y parvenir ; mais un jeune ne peut se lancer dans un système qui est voué à l’échec. » François renchérit : « Actuellement, c’est de l’inconscience d’acheter une officine. » Pierre préfère voir le verre à moitié plein : « Les perspectives d’évolution sont certes floues, mais les ambitions ne sont pas pour autant refrénées. Devenir titulaire demeure une priorité cachée. » À noter également deux autres séries de réponses qui ne sont pas anodines : le fait d’être désormais trop âgé pour acheter et celui d’avoir déjà été titulaire par le passé, « d’avoir déjà donné ». Thierry, ancien titulaire pendant 13 ans, assure que sa vie d’aujourd’hui est « devenue bien meilleure ».
Serge Caillier, vice-président de la section D de l’Ordre des pharmaciens, a suivi un parcours similaire. Adjoint pendant quelques mois à la sortie de la faculté, il s’installe rapidement à Laval (1981-1990), puis à Nantes jusqu’en 1999. Des difficultés le poussent alors à vendre. Parallèlement, il prend des responsabilités et multiplie les activités hors officine. Aujourd’hui, ce style de vie lui convient et il ne lâcherait pour rien au monde son poste d’adjoint. « Être titulaire n’est pas le but ultime. Notre métier, en tant que titulaire ou adjoint, peut vite devenir monotone, mais c’est à chacun de nous de diversifier ses activités, de s’engager. Je reçois, en tant qu’ordinal, aussi bien des témoignages d’adjoints heureux que d’adjoints qui auraient bien besoin de changer de poste. Pour ma part, je suis un homme épanoui. »
D’autres réponses de l’enquête du « Quotidien » de 2010, plus disparates, évoquaient une déception, un écart trop grand entre les valeurs inculquées à la faculté et la réalité du terrain, un manque de confiance dans l’avenir face aux revendications des grandes surfaces, des concurrents tels que DocMorris dont ils craignent l’arrivée en France, une ouverture de capital non souhaitée qu’ils imaginent inéluctable, etc. Des réponses qui ne positivent pas le statut d’adjoint. Michel, sur le forum Pharméchange, est d’accord. « Dans la grande majorité des cas, la non-installation résulte davantage d’une contrainte financière que d’un réel choix. Faire carrière comme adjoint, ça n’existe pas (…) Un pharmacien qui ne s’installe pas aura raté sa vie professionnelle à mon sens. »
Bien dans sa blouse.
Des propos qui font réagir d’autres confrères, notamment des adjoints bien dans leur blouse. Diplômée en 1979, Annie ne s’est jamais installée, tout simplement parce qu’elle n’en avait pas l’envie. Ici, ce ne sont ni l’ambition, ni les moyens qui sont en cause. « J’ai adoré faire plusieurs postes. Je suis du genre très nomade et le réel plaisir a été d’exercer en tant que remplaçante de 15 jours à plusieurs mois. (…) Actuellement, cela fait 12 ans que je suis au même poste, par choix (…) la rigueur, l’ambiance et la mentalité des deux titulaires me conviennent. J’ai beaucoup de responsabilités, trop parfois, mais j’aime ça (…) A 54 ans, je suis professionnellement bien dans ma peau, même en faisant encore 40 heures par semaine. » Cette adjointe n’est pas la seule à penser ainsi. Marine annonce avoir l’apport suffisant pour se lancer, mais elle manque d’envie pour le faire. Parce que sa vie actuelle lui convient. « Mon quotidien est confortable, 35 heures, peu de trajet, les relations avec mon patron vont nettement mieux. Si un jour je me lance, ce sera à deux, pour conserver une vie de famille et profiter de mes enfants et de la vie tout simplement. » Judith insiste : « Je suis diplômée et adjointe depuis 3 ans. Même si je pouvais trouver les fonds et l’aide nécessaires, je n’en ai pas envie : peur d’un crédit de 12 ans qui se chiffre en centaine de milliers d’euros, caractère incompatible avec l’exercice en association… J’ai toujours eu envie de faire carrière en tant qu’adjointe. » La jeune consœur reconnaît néanmoins qu’elle s’ennuie parfois dans son travail et cherche à y remédier, pensant notamment se spécialiser, prospecter pour changer de poste. « Je cherche avant tout un épanouissement intellectuel dans le travail. »
Ces réactions ne sont pas l’apanage des femmes, qui ne sont pas moins ambitieuses que les hommes. On dénombre 15 200 femmes titulaires pour 12 800 hommes. En revanche, les adjointes crèvent le plafond : elles sont 21 600 face à 4 800 homologues masculins… « Je suis assistant, je le vis bien sans finalement être en recherche active de pharmacie, mais est-ce pour autant que je suis décidé à ne pas m’installer ? Pour moi, tout repose sur la qualité de vie, présente et future, mais je comprends aussi ceux qui désirent plus que tout être titulaires. (…) L’ambition et les motivations de chacun sont propres et chaque choix est un compromis entre toutes ses envies », analyse Matthieu.
Qualité de vie.
Pour d’autres, les choix de vie évoluent avec les années. « Il y a trois ans, ça me titillait un peu ; aujourd’hui, plus du tout (…) Je me satisfais amplement de mon boulot au quotidien (varié et que j’adore), de mes horaires, de mon salaire, de ma qualité de vie. À l’heure actuelle, si j’avais 100-150kE en poche, je ne les mettrai pas dans une officine », affirme Élise. Agnès rejoint son propos. Diplômée depuis un an et demi, elle n’a connu qu’une expérience d’adjointe mais en est ravie. D’abord parce que dans cette officine, chacun occupe un poste précis qui permet de ne pas empiéter sur les plates-bandes de l’autre et ainsi mieux s’accepter. « La seule différence qui devrait exister entre un titulaire et un adjoint, c’est la responsabilité que prend le titulaire à investir son argent dans l’entreprise, et c’est celui qui doit trancher quand il y a une différence d’opinion. Pour le reste, on sort des mêmes bancs de fac, on a reçu la même formation et on devrait être capable d’assumer les mêmes fonctions. » Agnès va plus loin en affirmant qu’un adjoint doit s’intéresser tout autant à la gestion qu’au management de l’équipe ou qu’au merchandising. « Combien d’adjoints savent analyser un prix ? Combien sont consultés pour une question importante et influent sur la décision de leur titulaire ? Combien sont une référence pour les préparateurs et font profiter de leurs connaissances ? (…) Si vous vous contentez de faire machinalement du comptoir toute la journée, sans vous soucier de l’entreprise, effectivement, il y a de quoi être blasé. » Quant à savoir si Agnès viendra un jour grossir les rangs de ceux qui veulent devenir titulaires, la réponse est indécise. « Je sors de sept ans d’études, ma priorité c’est ma vie privée, avoir des enfants, investir dans une belle maison… Je n’ai envie d’investir que 35 heures par semaine à ma vie professionnelle pour l’instant. » Ou alors avoir l’assurance de générer un bénéfice suffisant pour payer un adjoint correctement et lui déléguer des responsabilités « pour ne pas faire 60 heures par semaine ». Cela dit, si Agnès pouvait avoir un poste à responsabilités, rémunéré « à (sa) juste valeur », dans la ville de son choix, tout en partageant la même vision éthique et commerciale du métier avec le ou les titulaires : « je resterai peut-être adjointe toute ma vie ».
Renonciation.
Le scepticisme d’Olivier n’est pas ébranlé à l’écoute de ses arguments qui, pour lui, ne font que confirmer que « le choix n’est pas éclairé ». Plus exactement, « l’argument du choix aurait toute sa place s’il était aussi facile que d’autres professions de s’installer. Aujourd’hui bien sûr, on peut plus ou moins décider de le faire, mais c’est un parcours du combattant semé de tellement d’embûches, de prérequis et d’incertitudes qu’il fausse justement la faculté de choisir. » La non-installation est un choix par dépit qui, par l’intervention d’un subconscient protecteur, se mue dans l’esprit de celui qui ne peut s’installer en conviction. Il s’agirait d’un « choix de renonciation qui permet l’acceptation psychologique d’une contrainte ». Un avis justement éclairé, qui révèle aussi une grande déception. C’est également ce que ressent Valérie, diplômée depuis 2007, enchaînant depuis lors les remplacements en CDD dans des officines rurales et urbaines, des cliniques, des parapharmacies, des PUI. « Être tout le temps dans la même pharmacie ne m’intéresse pas et mes remplacements de titulaires me permettent de me faire une idée précise de leur travail. Je gagne bien ma vie, cela me laisse du temps libre, pour autant j’essaie de charger mes semaines le plus possible, il m’est arrivé de faire des semaines de plus de 50 heures, la charge de travail ne me dérange pas. Tout cela m’a permis de voir des choses que je n’aurais pas dû connaître et qui ne m’incitent pas à reprendre une officine. Mon but reste de m’installer, je me donne encore quelques mois ou années car l’envie est là mais… sans évolution du marché, j’avoue que je pense à me réorienter complètement. » Au final, c’est Agnès qui a raison : « Ma vie professionnelle sera ratée si je ne m’épanouis pas dans mon travail, que j’occupe un poste d’adjointe ou de titulaire. »
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