ADJOINTS ET TITULAIRES possèdent le même diplôme, le doctorat d’État en pharmacie. C’est pourquoi ils sont amenés à effectuer, à peu de chose près, les mêmes actes à l’officine. Pour autant, certaines missions particulières peuvent être plutôt dévolues au titulaire, qui peut alors choisir de déléguer à son ou ses adjoints. Dans tous les cas, le titulaire (ou gérant de l’officine) doit « définir par écrit les attributions des pharmaciens qui l’assistent ou auxquels il donne délégation », comme le précise l’article R. 4 235-14 du Code de la santé publique. Les délégations les plus courantes concernent la prise de commande, la gestion de caisse, le pointage du tiers payant, l’animation de la vitrine et de l’ensemble de la pharmacie… Mais elles évoluent aujourd’hui vers des délégations à plus forte valeur ajoutée.
Magali Dreger-Chistmann, adjointe à Niderbronn-les-Bains, a ainsi pu s’investir dans l’éducation thérapeutique du patient (ETP) après avoir suivi la formation auprès de l’ETP Alsace, en partenariat avec l’IFMO. Après cinq mois de travail pour la conception de l’entretien des patients, elle a recruté des patients sur la base de l’utilisation d’une molécule traitant le diabète. Les patients qui acceptent sont suivis par le biais de trois rendez-vous à un mois d’intervalle, pour faire le point sur leur traitement et pour améliorer l’observance. L’expérience a pris fin pour le moment mais l’adjointe reconnaît avoir eu beaucoup de plaisir à échanger autrement avec les patients. « Actuellement je n’ai plus le temps de mettre en place un tel accompagnement, car nous travaillons à flux tendu. De plus, c’est une nouvelle titulaire qui a repris la pharmacie depuis trois ans, dont le but était de remettre les choses à plat et de prendre l’ensemble des tâches à bras-le-corps afin de connaître parfaitement sa nouvelle officine. » Il n’est donc pas question pour le moment de demander à son adjointe d’assurer certaines gardes ou de devenir la référente EHPAD. « La titulaire est très investie et elle tient à se charger elle-même de certains domaines. C’est par exemple le cas des deux EHPAD que nous fournissons, mais il faut aussi le temps qu’elle apprenne à connaître son équipe et à lui faire confiance. Progressivement, elle me délègue de nouvelles tâches, et par l’effet pyramidal, je délègue moi aussi davantage. Je peux assumer certaines décisions seule sans la consulter au préalable et elle me laisse la charge des commandes directes aux laboratoires. » Une autre délégation est d’ailleurs prévue dans les mois à venir. En effet, l’officine alsacienne vient de recruter un apprenti. La titulaire a souhaité être la personne référente pour commencer, mais elle laissera les rênes à Magali d’ici peu. L’adjointe a suivi la formation assurance-qualité il y a près de 10 ans. Dans ce cadre, elle avait mis des procédures en place mais tout est en cours de remise à plat.
Des formations pour toute l’équipe.
Dans l’officine de Martial Fraysse, à Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), la délégation de tâches est devenue un art de travailler. Chacun a sa spécialité et les formations se succèdent pour avoir les connaissances les plus actuelles possibles. Par exemple, les entretiens pharmaceutiques ont été mis en place avant même le décret qui officialisait cette mission, afin de voir en pratique l’organisation que cela demanderait. « On a bénéficié à ce moment-là de la présence d’une étudiante en 6e année qui avait suivi le DU éducation thérapeutique du patient et était bien rodée sur l’entretien avec le patient », se souvient le titulaire. Après avoir été formées, les deux adjointes se sont chargées du planning de rendez-vous et du recrutement. « Ensemble, nous regardions sur le site ameli.fr pour voir où nous en étions, on se réunissait régulièrement et même encore maintenant pour parler de l’avancée des choses et notamment aborder les refus de patients. Nous n’avons pas tous les mêmes arguments ou les mêmes rapports avec les patients, le bilan est aussi l’occasion d’adapter la stratégie de recrutement en fonction du patient », explique Martial Fraysse. Aujourd’hui, l’équipe est parfaitement rodée aux entretiens pharmaceutiques, mais cela n’a rien d’exceptionnel pour le titulaire : « C’est une mission qui figure dans la loi, il est donc normal de le faire et je dirais même qu’il est difficile d’exercer une profession qu’on ne fait pas à part entière. L’obligation est de se former et nous le faisons régulièrement. Ne pas proposer de formations à son équipe, c’est partir à l’abandon. Je ne cesse de le répéter : si vous ne vous formez pas, Leclerc et La Poste feront mieux que vous », ajoute le pharmacien, qui enseigne aussi à la faculté de sciences humaines de Rouen et à La Pitié-Salpêtrière. C’est aussi l’une de ses adjointes qui est chargée de la gestion des congés. Elle s’est proposée d’elle-même et l’initiative a plu à Martial Fraysse qui constate que le sujet est plus facile à aborder dans l’équipe par un adjoint, même s’il reste la personne qui valide le planning et la prise de congés. Résultat : mieux gérés, les congés sont prévus plus en amont et de manière plus standardisée.
Connaissances pointues.
Par ailleurs, l’une de ses adjointes a suivi une formation sur l’accompagnement en oncologie. Depuis lors, elle partage ses connaissances avec le reste de l’équipe et est devenue la référente sur ce sujet, ses collègues n’hésitant pas à la solliciter au besoin. « Martial Fraysse a parlé d’une formation sur les prothèses mammaires et voulait savoir si l’une de nous était intéressée, ce qui était mon cas. Finalement nous ne référençons pas de prothèses mammaires car c’est assez complexe à mettre en place », explique Mai Ngyuen-Pham, adjointe depuis 5 ans dans cette pharmacie. La jeune femme a néanmoins continué à suivre différentes formations sur les cancers et présente aujourd’hui des connaissances pointues concernant les cancers du sein et le cancer colorectal. Des connaissances dont elle fait bénéficier les patients cancéreux qui sont de plus en plus nombreux à venir chercher leur traitement à la pharmacie, conséquence directe des sorties hospitalières. « Je commence par valider l’ordonnance et la posologie, puis j’explique bien au patient les effets secondaires possibles pour qu’il soit parfaitement averti et que l’adhésion au traitement soit moins difficile. J’insiste aussi beaucoup sur le fait qu’il peut revenir vers nous à tout moment, qu’il n’hésite pas à signaler un effet secondaire même si c’est un effet connu et courant comme la nausée. C’est le meilleur moyen de savoir si le patient supporte son traitement, s’il est observant, et nous pouvons aussi en avertir son oncologue. » Tout récemment, Mai Nguyen-Pham a suivi, avec sa collègue Florence Serindou-Bernard, une formation sur l’homéopathie pour les patients cancéreux. Un accompagnement visant à réduire les effets secondaires induits par les traitements par chimiothérapie. « Nous pouvons proposer de l’homéopathie ou de la phytothérapie pour améliorer le confort des malades, mais nous leur demandons toujours d’obtenir l’accord de leur oncologue en lui montrant le plan de prise que nous avons établi. » La jeune femme compte bien continuer à se former dans ce domaine et se félicite de travailler avec des préparatrices « très soucieuses du confort du malade », l’une d’elle ayant aussi suivi une formation dans l’accompagnement du malade cancéreux. « Sur tous ces sujets, nous associons toujours le médecin en indiquant au patient de lui en parler, que ce soit pour les entretiens concernant les AVK ou les patients sous anticancéreux. »
Formaliser par écrit.
La prochaine délégation de tâches sera le test angine. Martial Fraysse a déjà suivi trois formations sur le sujet et il compte mener lui-même les formations auprès de ses adjointes et préparatrices, réparties en deux matinées. « Même si les préparateurs ne peuvent faire les tests, ils ont les mêmes patients que nous au comptoir, il faut qu’ils soient impliqués dans la démarche, et donc avoir les bons mots pour les orienter au mieux. »
Ainsi la délégation de tâches peut concerner de bien nombreux aspects du métier de pharmacien. Certains titulaires délèguent ainsi leur rôle de maître de stage, l’adjoint devenant alors officiellement « maître de stage adjoint ». Ils peuvent le faire depuis 2007 après avoir averti la faculté de pharmacie et le conseil de l’Ordre concerné. L’adjoint n’est pas le maître de stage officiellement reconnu par l’université mais il peut participer, au sein de l’officine, à la formation de l’étudiant stagiaire. De la même façon, avec l’autorisation de vente en ligne de médicaments sans ordonnance, des titulaires ont choisi de s’engager résolument sur ce créneau et ont fait le choix d’embaucher pour assumer pleinement cette nouvelle tâche, comme cela est prévu dans l’arrêté de bonnes pratiques de juin 2013. L’arrêté précise en effet que « la composition de l’équipe officinale est adaptée en conséquence si le commerce électronique de médicaments mis en œuvre conduit à un développement de l’activité ». Les adjoints ayant reçu délégation « peuvent également participer à l’exploitation du site Internet de l’officine ». Là encore, la délégation doit être formalisée par écrit.
États généraux.
Quoi qu’il en soit, l’activité des adjoints au sein des officines, et même hors les murs, intéresse au plus haut point l’instance ordinale. Pour la préparation des états généraux du pharmacien adjoint d’officine qui se tiendront le 19 janvier prochain, la section D de l’Ordre national des pharmaciens a mis en place un recueil de témoignages sur le site www.ega2015.fr, dans la rubrique « La parole est à vous ». De nombreux témoignages sont déjà sur les bureaux de l’Ordre et touchent à des sujets aussi divers que les réseaux, les EHPAD, l’ETP, les SISA, les entretiens pharmaceutiques, les tests rapides d’orientations diagnostique, la coopération interprofessionnelle… « Les pharmaciens adjoints qui assurent pleinement ces missions le font par conviction et par envie de se mettre au service de la santé publique et des patients, mais d’une autre façon. Ils le peuvent parce qu’ils sont pharmaciens à part entière. Le résultat est double : pour l’adjoint qui met à profit ses compétences et pour le titulaire qui a à ses côtés un professionnel de santé totalement investi auprès des patients », souligne Valérie Bourey de Cocker, vice-présidente de la section D. Là encore, la pharmacienne ordinale rappelle aux confrères l’importance de la formation pour évoluer en même temps que le métier change. « Je ne peux qu’inciter tous les pharmaciens adjoints à acquérir les compétences indispensables pour qu’ils puissent renforcer leur rôle d’acteur de santé publique auprès du patient, cela ne peut être que gratifiant. Le pharmacien adjoint est plus que jamais un maillon essentiel de la chaîne de soins. Avec une grande polyvalence et dans un cadre de qualité de son exercice, il ne pourra qu’avoir une légitimité pour assurer ces nouvelles missions, aux côtés du titulaire, dans l’officine. »
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