Le Quotidien du pharmacien : Dans quelle mesure, un groupement peut-il imposer l’exclusivité à ses affiliés ?
Me Sébastien Beaugendre : Comme en mariage, on parle dans les réseaux de « clause de fidélité ». La légitimité d’une telle clause - reconnue en jurisprudence - tient à la transmission d’un véritable savoir-faire qui va rendre plus efficiente l’activité officinale de l’affilié. Celui qui transmet ce savoir-faire secret, substantiel et identifié est fondé à le protéger pour éviter toute porosité au profit d’un autre réseau.
N’y a-t-il pas une contradiction ou incompatibilité avec le statut d’exercice libéral du pharmacien à exiger de lui une telle exclusivité ? Certains pharmaciens n’hésitent pas à évoquer un lien de subordination.
Le lien de subordination est réservé aux salariés. Toute requalification d’un contrat d’affiliation en contrat de travail nécessiterait que le groupement donne des directives au pharmacien sur ses horaires, l’embauche du personnel et que l’animateur du réseau s’immisce dans la vie de l’entreprise avec des pouvoirs de sanction et de contrôle ; bref, qu’il sorte de son rôle. Ces faits - déjà rares dans la franchise - n’ont, à ma connaissance, jamais été caractérisés dans l’activité de pharmacies en réseau. S’agissant d’une coordination entre exclusivité et exercice libéral, l’affilié pharmacien étant par nature un professionnel de santé, cet attribut le distingue d’un franchisé lambda. Cependant, en soi, l’affiliation n’implique pas l’abandon de son indépendance. D’ailleurs, nombre de présidents de groupements, eux-mêmes pharmaciens, veillent farouchement à préserver cette liberté, tout en fixant certaines règles à respecter pour assurer l’unité du réseau. Il en résulte un dosage entre critères obligatoires et facultatifs. À mon sens, les pharmaciens disposent d’une forme de « clause de conscience » qu’ils pourraient mettre en œuvre - à condition de ne pas en abuser - s’ils estimaient se mettre dans une situation contraire à leur statut de professionnel de santé.
Quelles sont les nouvelles dispositions inhérentes à la « Loi Macron I » pour les réseaux de distribution qui sont entrées en vigueur le 6 août ?
Deux nouveaux articles du Code du commerce vont impacter les réseaux, y compris ceux de pharmaciens puisque la pharmacie est un commerce de détail (1). En premier lieu, le nouvel article L341-1 (2) consacre une indivisibilité entre les différents contrats conclus dans le but commun de servir l’exploitation de l’unité affiliée, ici de l’officine. La jurisprudence avait déjà consacré la notion « d’ensemble contractuel indivisible ». La loi s’en inspire, qui prévoit un alignement des différents contrats par définition d’une « échéance commune ». Par voie de conséquence, la résiliation d’un des contrats entraînera celle des autres.
En second lieu, l’article L341-2 (3) va impacter la clause de « non-réaffiliation » dans les réseaux de pharmacies. Par principe interdite, elle sera licite si elle répond à 4 critères cumulatifs énoncés par la loi. L’interdiction, pour un pharmacien qui quittera son réseau, de s’affilier immédiatement à un réseau concurrent exigera que la clause soit indispensable à la protection d’un savoir-faire « spécifique » et « secret » du groupement affiliant. Elle sera limitée à un an et pour l’officine même (donc non opposable en cas de transfert ou de regroupement d’officines dans les locaux d’une tierce officine).
Il n’est pas dit que tous les dirigeants de groupements utiliseront ces outils contractuels. Certains préfèrent - et continueront peut-être - ne pas imposer de contraintes à leurs affiliés à la sortie du réseau, pour mieux les convaincre d’y entrer. Il est aussi du rôle de l’avocat spécialiste de l’activité en réseau que de conseiller sur de tels aspects stratégiques, car la relation d’affiliation ne se borne pas à sa dimension juridique.
* Cabinet Hubert Bensoussan, avocats, barreau de Paris
** Union des groupements de pharmaciens d'officine
(1) Le code APE d’une pharmacie étant « 47.73 Z » pour « Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé » ; on notera par exemple que l’arrêté du 21 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques en fait un élément d’identification administrative du site et de l'officine (cf. art. 1.1 de l’annexe).
(2) Article L341-1LOI n°2015-990 du 6 août 2015 - art. 31 (V) L'ensemble des contrats conclus entre, d'une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l'article L. 330-3 et, d'autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d'un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l'exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d'exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune. La résiliation d'un de ces contrats vaut résiliation de l'ensemble des contrats mentionnés au premier alinéa du présent article. Le présent article n'est pas applicable au contrat de bail dont la durée est régie par l'article L. 145-4, au contrat d'association et au contrat de société civile, commerciale ou coopérative.
(3) Article L341-2LOI n°2015-990 du 6 août 2015 - art. 31 (V) I.-Toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite. II.-Ne ne sont pas soumises au I du présent article les clauses dont la personne qui s'en prévaut démontre qu'elles remplissent les conditions cumulatives suivantes : 1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l'objet du contrat mentionné au I ; 2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat mentionné au I ; 3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat mentionné au I ; 4° Leur durée n'excède pas un an après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats mentionnés à l'article L. 341-1.
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