Lorsqu’une officine est vendue à un nouveau titulaire, le pharmacien vendeur reçoit un paiement comptant pour le fonds de commerce, mais il est très fréquent que le stock soit payé avec un étalement, un différé de paiement, autrement appelé « crédit-vendeur ». L’avantage principal est de soulager le financement de l’acquéreur ou de diminuer le montant de son apport, et donc de faciliter la vente de l’officine.
Les banques, en effet, n’apportent jamais leur concours pour un montant supérieur à celui de la valeur du fonds. L’acquéreur d’une officine doit donc financer lui-même, avec son apport personnel, non seulement le stock mais aussi les frais d’acquisition, c’est-à-dire les droits d’enregistrement, les frais de notaire, les frais d’avocat et éventuellement les frais d’agence. Quand le montant de cet apport n’est pas suffisant, il y a deux grandes solutions possibles : s’adresser à un groupement ou à un grossiste-répartiteur pour trouver un complément de financement, et opter pour le crédit-vendeur sur le stock.
Mais attention, prévient Michel Watrelos, expert-comptable à Lille : « le crédit-vendeur sur le stock ne joue pas dans le montage financier de l’acquisition d’une officine, qui est bâti, quant à lui, sur une durée moyenne de douze ans. C’est simplement une facilité de trésorerie que le vendeur consent à l’acquéreur, rien de plus ».
Un crédit sur le fonds ?
En officine, le crédit-vendeur ne porte donc en principe que sur les marchandises en stock, qui représentent en moyenne de 9 à 10% du chiffre d’affaires, soit environ 150 000 euros pour une pharmacie avec un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euros. La pratique du crédit-vendeur sur le fonds de commerce lui-même, assez répandue dans d’autres secteurs professionnels, n’est pratiquement pas en usage dans la profession. Néanmoins, selon les experts-comptables spécialisés dans la profession, c’est un financement que l’on commence à voir apparaître pour de toutes petites officines qui, autrement, seraient difficilement vendables, et également dans les cas où l’acquéreur ne peut pas emprunter auprès d’une banque pour des raisons financières ou des raisons de santé notamment. La durée n’est pas alors de douze ans comme pour un financement classique, mais beaucoup plus courte, de cinq à sept ans.
Du reste, le dispositif du crédit-vendeur sur le fonds de commerce a été rendu plus attractif fiscalement pour les cessions d’entreprises réalisées depuis le 1er janvier 2016. Ainsi, le paiement de l’impôt dû par le cédant sur les plus-values à long terme résultant de la cession d’une officine individuelle peut être étalé dès lors que celle-ci compte moins de 10 salariés et présente un total de bilan ou un chiffre d’affaires inférieur ou égal à deux millions d’euros.
En principe, cet étalement peut aller jusqu’à cinq ans maximum, moyennant le paiement de majorations de 10% mais plafonnées au montant de l’intérêt légal (0,93% au second semestre 2016).En pratique, toutefois, la durée du plan de règlement échelonné des plus-values ne peut excéder celle qui est prévue pour le paiement total du prix de cession.
Faciliter le démarrage
Dans un plan de financement de pharmacie, idéalement, le stock devrait être financé par l’apport personnel et non par de la dette, même s’il s’agit, en cas de crédit sur le stock, d’une dette à court terme. Mais le crédit-vendeur sur le stock permet de répondre en partie aux besoins de l’acquéreur, qui doit avoir un apport suffisant pour financer tous les autres les frais d’acquisition. Attention à ce propos : le crédit porte sur le montant hors taxes du stock, la TVA étant payée comptant par l’acquéreur du fonds une fois l’inventaire effectué.
« En pratique, l’intérêt du crédit sur le stock est de faciliter le démarrage de l’activité, le temps que le crédit fournisseur se mette en place dans l’officine puisque, en réalité, c’est le fournisseur qui porte le stock.Ce qui signifie qu’après six mois ou un an de crédit-vendeur, le fournisseur prend en quelque sorte la place du vendeur par le crédit-fournisseur », explique Patrick Bordas, associé et responsable national du réseau professions de santé chez KPMG. Il faut rappeler aussi qu’un stock représente en moyenne 30 jours de vente alors que le crédit-fournisseur est de 40 jours en moyenne.
La durée du crédit-vendeur est en effet très courte, douze mois dans le cas général, mais elle est parfois allongée jusqu’à dix-huit mois pour les stocks importants ou au contraire raccourcie à six mois pour les stocks faiblement valorisés. Le paiement est effectué chaque mois ou chaque trimestre par l’acquéreur, au choix des parties. Il peut être prévu ou non un taux d’intérêt, mais, sur une durée de six à douze mois, il s’agit généralement d’un crédit sans frais : le loyer de l’argent étant au plus bas aujourd’hui, assortir le crédit-vendeur d’un taux d’intérêt est beaucoup moins pertinent que par le passé, surtout sur une très courte période.
Le vendeur de l’officine prend-il un risque à accorder à l’acheteur un tel crédit ? Dominique Leroy, expert-comptable au cabinet Normeco à Mont Saint-Aignan et membre du réseau Exco, pense que non : « sur une durée si courte, le vendeur prend en réalité très peu de risques. Je n’ai encore jamais vu d’officine déposer le bilan moins d’un an après son rachat ».
Toutefois, il est normal que le vendeur soit assuré d’être payé du prix du stock jusqu’au terme prévu pour l’étalement. Pour sécuriser le crédit, il est donc possible de l’assortir d’une garantie au profit du vendeur. Elle consiste le plus souvent en un nantissement, mais de second rang seulement. En effet, lors de la vente du fonds de commerce de l’officine, la banque demande de son côté un nantissement du fonds de premier rang à son profit, ce qui lui permet, du reste, d’être payée en priorité sur la majorité des créanciers.
D’autres garanties que le nantissement sont également possibles, comme une caution sur les biens personnels de l’acquéreur, si la banque n’a pas déjà pris cette garantie pour le financement du fonds. Certains vendeurs exigent aussi des effets de commerce signés par l’acquéreur, sous forme de billets à ordre ou de traites, ce qui permet au vendeur de pratiquer des saisies sur les biens de l’acquéreur si certaines des traites ne sont pas payées.
Enfin, outre le risque de non-paiement, le vendeur a également intérêt à prévoir dans l’acte le risque de décès de l’acquéreur.
Un nouveau modèle ?
Aujourd’hui, cependant, les pharmaciens achètent de moins en moins de fonds d’officines individuels et de plus en plus de parts de société. Les dernières statistiques de la société Interfimo, par exemple, montrent que plus de la moitié des acquisitions se font déjà, aujourd’hui, par le biais d’une société d’exercice libéral (SEL).
Or, cette évolution devrait à l’avenir changer la donne de la pratique du crédit-vendeur. « Quand un pharmacien acquiert une officine en société, à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, il achète à la fois le fonds de commerce, le stock, la trésorerie, les créances et les dettes. Il n’y a donc plus de crédit possible sur le stock puisqu’il n’y a plus de stock séparé, celui-ci étant inclus dans la valorisation des parts », prévient Dominique Leroy.
Autrement dit, plus les cessions de parts se développent dans la profession, et plus la pratique du crédit-vendeur va diminuer. Dans ces conditions, comment les acquéreurs pourront-ils résoudre leurs problèmes d’apport et de financement ? Peut-être avec de nouvelles formules qui commencent, selon les experts-comptables, à se faire jour, et notamment les financements participatifs pour la constitution d’apports personnels plus importants. Un phénomène encore balbutiant, mais que l’on voit dans certains plans de financement. Certains groupements et grossistes-répartiteurs mettent aussi au point de nouvelles mesures d’accompagnement des acquéreurs dans le financement de leur stock, afin de faciliter la reprise de l’officine.
Au total, le financement traditionnel des pharmacies, basé sur un crédit sur douze ans pour le fonds de commerce et un crédit-vendeur sur douze mois pour le stock, pourrait donc évoluer vers un autre modèle.
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